D'un château l'autre

 

D'un château l'autre. Ed. Gallimard : 1957C'est avec D'un château l'autre que Céline, en 1957, effectue son nouveau départ dans le paysage littéraire français. L'échec des deux volumes de Féerie pour une autre fois ont démontré à l'écrivain que, pour vendre un livre, il fallait se plier au jeu de la promotion et des interviews (Onze interviews ou interventions publiques sont recensées entre le début de juin et la fin d'octobre 1957). Publié en juin 1957, le roman de Céline est accueilli par une critique plutôt enthousiaste. L'auteur accorde à Madeleine Chapsal, journaliste de L'Express, son premier long entretien depuis son retour d'exil. Intitulé "Voyage au bout de la haine", cet entretien permet à Céline d'exposer au grand public sa conception de la littérature, de revenir sur son apport aux lettres françaises, comme il l'avait fait deux ans plus tôt dans Entretiens avec le professeur Y, mais aussi de relancer une polémique sur l'homme qui s'était un peu essouflée. Ainsi, le chapeau de l'article démontre clairement quelle image véhicule Céline à cette époque : "Ses réponses, ou plutôt son monologue, éclairent crûment les mécanismes mentaux de ceux qui, à son image, ont choisi de mépriser l'homme. Ed. du Livre de Poche, 1963.L'aveu de son formidable échec, la pitié que peut aujourd'hui inspirer cette face presque impersonnelle à force d'avoir été dénudée par l'existence ne doivent ni ne peuvent faire oublier que d'autres rêvent de cette victoire sur l'esprit que l'on nomme fascisme". L'écrivain reconnaîtra ensuite avoir volontairement provoqué la polémique.

Céline revendique de façon claire son rôle de chroniqueur d'une époque et le sujet central de D'un château l'autre est évidemment porteur. Narrer la déroute du gouvernement de Vichy, Pétain à sa tête, et l'exil à Siegmaringen du gratin de la collaboration suscite une curiosité légitime de la part des lecteurs, surtout quand le narrateur a vécu cette débâcle de l'intérieur et qu'il s'appelle Céline.

Ed. Folio, 1988.Gallimard, prudent, tire la première édition à 11 000 exemplaires et, le mois suivant, procède à une  réimpression de 11 000 exemplaires (juillet 1957), puis de 5 000 en septembre. Céline se prête au jeu de la promotion et livre son premier entretien télévisé à Pierre Dumayet dans l'émission Lecture pour tous. La querelle des pros et des antis Céline reprend de plus belle mais l'évidence est là : l'écrivain n'a rien perdu de son talent et l'on doit compter sur sa présence et son génie littéraire.

Si D'un château l'autre constitue le premier tome de ce que l'on appelle la trilogie allemande (les deux autres étant Nord -1960- et Rigodon -1969-), l'action de ce premier roman se déroule chronologiquement au milieu de celle de Rigodon, et fait suite à celle de Nord. Céline commence donc sa chronique de l'après-guerre en racontant ce qui est susceptible de rassembler un lectorat conséquent : le spectacle du gouvernement de Vichy exilé dans la petite ville de Bade-Wurtemberg et la fuite à Siegmaringen. L'écrivain confiera à Albert Zbinden, Ed. Folio, 1995.dans un entretien accordé en 1957 à la Radio suisse Romande que "c'est un moment de l'histoire de France, qu'on le veuille ou non", et qu'il [Céline] s'est "trouvé en des circonstances où par hasard la matière à écrire était intéressante". Il ajoute qu'en "faisant paraître un ouvrage qui est malgré tout assez public, puisqu'il parle de faits bien connus, et qui intéressent tout de même les français", il l'a écrit "il faut bien le confesser une fois de plus, pour des raisons économiques".

Céline en profite aussi pour régler quelques comptes puisque c'est l'écrivain, retiré à Meudon, que l'on retrouve dans les premières pages de ce roman. Achille et Loukoum (respectivement Gaston Gallimard et Jean Paulhan) font les frais de cette mise au point d'un écrivain rancunier et aigri, cultivant son personnage de pestiféré. La narration débute donc, comme dans toutes les fictions céliniennes depuis Mort à crédit, par l'actualité du narrateur, qui peu à peu se plonge dans ses souvenirs... : " Pour parler franc, là entre nous, je finis encore plus mal que j'ai commencé... Oh ! j'ai pas très bien commencé... je suis né, je le répète, à Courbevoie, Seine... je le répète pour la millième fois... après bien des aller et retour je termine vraiment au plus mal... y a l'âge vous me direz... y a l'âge !... c'est entendu !... à 63 ans et mèche, il devient extrêmement ardu de se refaire une situation... de se relancer une clientèle... ci ou là !... je vous oubliais !... je suis médecin..."

 

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