1932-1945
Notoriété, obsessions et délires

 

    Céline, soucieux du style, va surveiller de très près la composition de son roman, finalement mis en vente le 5 octobre 1932. Le premier tirage est de 2000 exemplaires. Le 10 novembre, Céline accorde sa première interview et, le lendemain, son anonymat est levé. Il est reçu par Lucien Descaves, Léon Daudet et Jean Ajalbert, trois membres de l'académie Goncourt. Rapidement, Louis-Ferdinand Céline est annoncé comme favori pour le prix Goncourt mais, au dernier moment, quelques jurés préfèrent voter pour Les Loups de Guy Mazeline (six voix contre trois). Le scandale est immédiat et les premières querelles autour de Céline commencent. Voyage au bout de la nuit obtient le prix Renaudot et Céline répond aux journalistes tout en continuant d'exercer la médecine... Mais la grande peine de Louis Destouches en 1932 demeure la mort de Fernand, son père, le 14 mars...Céline en 1932
    En décembre 1932 il quitte Paris et part pour Genève avec sa mère. Le docteur Rajchman le nomme sur une mission en Autriche et en Allemagne et l'écrivain rédige un article, "Pour tuer le chômage, tueront-ils les chômeurs ?". Les fréquentations de Céline se diversifient et il commence à entretenir quelques correspondances avec Léon Daudet, Lucien Descaves, mais aussi Elie Faure, Georges Altman, Elisabeth Porquerol. Le 16 mars 1933, il publie "Qu'on s'explique" dans Candide afin de clore les débats autour de son roman.
    Le succès de librairie est tel que Denoël publie L'Église en avril 1933, alors que son auteur parcourt l'Europe pour oublier le départ définitif d'Elizabeth Craig. Voyage est traduit en italien, en russe (par E. Triolet et L. Aragon) et en allemand. Céline se lie à Evelyne Pollet, se rapproche de Karen Marie Jensen. Il entame la rédaction de Mort à crédit, rédige la préface d'un album, 31 cité d'Antin, rassemblant des fresques d'Henri Mahé. A la recherche d'Elizabeth Craig, il part aux Etats-Unis en prétextant le lancement de l'édition américaine de Voyage, de mai à août 1934.
    Le travail que lui demande son nouveau roman, d'abord intitulé "L'Adieu à Molitor", puis "Tout doucement" et enfin Mort à crédit, est colossal. En 1935, Céline se rend à Londres, Copenhague, en Autriche et se lie avec la pianiste Lucienne Delforge. 1935 est aussi l'année de sa rencontre avec Lucette Almansor... Enfin, en 1936, le manuscrit de Mort à crédit, dont les épreuves sont corrigées par Marie Canavaggia, est remis à Denoël. L'éditeur s'affole de l'obscénité de certains passages et imprime l'ouvrage en laissant des blancs. Mis en vente le 12 mai, le roman devient l'objet d'un véritable scandale orchestré par la critique et les publicitaires. Les premières rancœurs de Céline à l'égard des milieux littéraires surgissent. La critique le blesse ou l'ignore et il en est très affecté. Fin juillet, Céline part en URSS jusqu'en septembre et publie Mea Culpa la dernière semaine de décembre.
    Début 1937, Céline entame la rédaction de Casse-pipe, très vite abandonnée au profit de Bagatelles pour un massacre, pamphlet écrit en six mois et publié en décembre. Les polémiques sont instantanées, même si l'accueil reste plutôt tolérant. On considère alors ce pamphlet comme une farce (André Gide), comme un réquisitoire naïf... Céline démissionne du dispensaire de Clichy et, en 1938, compose à Dinard un nouveau pamphlet pacifiste et antisémite, L'Ecole des cadavres. L'écrivain est unanimement rejeté par la gauche qui avait encensé Voyage.
    En mai 1939, le décret Marchandeau oblige Denoël à retirer de la vente ces deux pamphlets. Céline est exclu de la vie littéraire. En proie à de violentes polémiques, une lettre adressée à Je suis partout le 21 juillet dénote de son état d'esprit : "Mes livres sont retirés de la circulation... Moi aussi."
    En septembre, le docteur Destouches ouvre un cabinet à Saint-Germain en Laye, puis revient chez sa mère, rue Marsollier. Le 9 novembre, il est réformé définitivement et déclaré invalide à 70 pour 100. En qualité de médecin, il s'embarque sur le "Chella". Le navire sera accidenté et Céline rapatrié. Nommé au dispensaire de Sartrouville, il part en exode à La Rochelle au volant d'une ambulance avec Lucette.
    Après la défaite, Céline s'installe 4 rue Girardon à Paris et écrit "Notre Dame de la débinette", publié en février 1941 sous le titre Les beaux draps par les "Nouvelles Editions Françaises", une succursale de Denoël. Céline envoie une trentaine de lettres à différents journaux pour y parler de son antisémitisme. Pourtant, il refuse obstinément de rallier un quelconque parti politique ou un journal.
    A partir de 1942, il cesse ses interventions publiques, écrit Scandale aux Abysses et l'essentiel de Guignol's Band. Denoël réimprime ses pamphlets. Voyage et Mort sont réédités, enrichis d'illustrations de Gen Paul. Le 23 février 1943, Louis Destouches épouse Lucette Almansor à la mairie du 18ème arrondissement de Paris. Ils passent l'été à Saint-Malo. Céline préface le livre d'Albert Serouille, Bezons à travers les âges, qui paraît en janvier 1944. L'écrivain est alors médecin-chef du dispensaire de Bezons.
    Le couple Destouches quitte Paris en juin 1944. Il séjourne à Baden-Baden où se trouve l'acteur Robert Le Vigan. Face à l'impossibilité de passer au Danemark, où Céline a déposé de l'or depuis plusieurs années, le couple se rend à Neu Ruppin, près de Krantzlin, chez la famille Scherz. En octobre, le couple, accompagné du chat Bébert et de Le Vigan, parvient à Sigmaringen. Céline loge à l'extérieur du château et soigne les réfugiés. Enfin, le 27 mars 1945, les Destouches réussissent à passer au Danemark et à atteindre Copenhague malgré les bombardements.