Pamphlets

Céline en 1937 (photomaton)

 

À l'exception de Mea Culpa, les pamphlets écrits par Céline entre 1937 et 1941 n'ont jamais été réédités. Cet état de faits est compréhensible. De son vivant, Céline s'y est toujours opposé et, depuis 1961, ses ayant-droits respectent cette volonté.
   Mea Culpa, publié en 1936, est un texte court dans lequel Céline évoque le régime communiste, à partir de sa propre expérience, à la suite du voyage qu'il a effectué en URSS en août et septembre 1936. Bagatelles pour un massacre, en revanche, laisse éclater l'antisémitisme violent de l'écrivain. Qu'importent les trois ballets "glissés" dans l'ouvrage, ce pamphlet frappe d'abord par la haine et le fiel développés à l'encontre des juifs. Céline s'en expliquera et justifiera ses positions antisémites par souci d'éviter la guerre, par volonté de pacifisme. En 1957, un entretien avec Albert Zbinden, montre comment Céline se défend d'avoir adopté une idéologie aussi extrême :
"Albert Zbinden : "Disons le mot, vous avez été antisémite."
Céline : "Exactement. Dans la mesure où je supposais que les sémites nous poussaient dans la guerre. Sans ça je n'ai évidemment rien - je ne me trouve nulle part en conflit avec les sémites ; il n'y a pas de raison. Mais autant qu'ils constituaient une secte, comme les Templiers, ou les Jansénistes, j'étais aussi formel que Louis XIV. Il avait des raisons pour révoquer l'édit de Nantes, et Louis XV pour chasser les Jésuites... Alors voilà, n'est-ce pas : je me suis pris pour Louis XV ou pour Louis XIV, c'est évidemment une erreur profonde. Alors que je n'avais qu'à rester ce que je suis et tout simplement me taire. Là j'ai péché par orgueil, je l'avoue, par vanité, par bêtise. Je n'avais qu'à me taire... Ce sont des problèmes qui me dépassaient beaucoup. Je suis né à l'époque où on parlait encore de l'affaire Dreyfus. Tout ça c'est une vraie bêtise dont je fais les frais." (Entretien avec Albert Zbinden, 1957) D'autres raisons peuvent être avancées.
    Durant son enfance, l'écrivain baignait dans le climat d'une France divisée par l'affaire Dreyfus, encore très présente dans les esprits. Les discours antisémites du père de Céline, Fernand Destouches, n'ont pu qu'influencer le futur auteur de Bagatelles pour un massacre. En attribuant l'origine des ennuis financiers de la famille aux juifs (les parents de Céline étaient de petits commerçants parisiens), Fernand Destouches a vraisemblablement contribué à faire naître l'antisémitisme de son fils. De plus, Céline sort à peine, à l'époque de Bagatelles pour un massacre, de l'échec de sa carrière à la Société des Nations, qu'il attribue à Rajchman (voir L'Église), d'un avancement compromis au dispensaire de Clichy à cause du docteur Ichok et surtout de la fuite d'Elisabeth Craig avec, semble-t-il, un américain d'origine juive. En clair, Céline se sent persécuté parce que non juif. Tous ces événements le touchent au plus profond, contribuant à cultiver son antisémitisme. Et puis, le contexte historique d'avant-guerre favorise l'antisémitisme en France. Le gouvernement du Front Populaire, avec Léon Blum à sa tête, ne fait pas l'unanimité en matière de relation diplomatique avec l'Allemagne. Blum est accusé de vouloir pousser la France vers la guerre contre l'Allemagne d'Adolf Hitler. Le sentiment pacifique de Céline se dresse contre les positions adoptées par ce gouvernement et l'écrivain propose une alliance avec l'Allemagne pour éviter le pire. Pour terminer, on pourra s'étonner de la rapidité avec laquelle ont été écrits les pamphlets. Ces textes ont été rédigés dans l'urgence, comme si Céline avait eu besoin de percer un abcès depuis longtemps douloureux. Les mots sortent comme d'un geyser et les hallucinations de Céline sont de plus en plus violentes, extrêmes et démentielles.

Il faut préciser que l'antisémitisme de Céline est toujours resté "littéraire" et verbal. Céline n'a ni collaboré avec le régime nazi (qui avait du reste interdit certains de ses ouvrages) ni soutenu le régime de Vichy. Les témoignages de ses proches l'attestent. De plus, les pamphlets ne sont pas seulement des textes antisémites. Le régime soviétique, l'actualité, la guerre, le système éducatif, les Etats-Unis, voici pêle-mêle différents sujets que Céline passe à la moulinette, avec haine, rage, et sans aucune mesure...

 

Mea Culpa (1936)

Bagatelles pour un massacre (1937)

L'École des cadavres (1938)

Les beaux draps (1941)

 

 

 

* Tout Céline ? : Article tiré du Bulletin célinien n°25 (nov. 1984), traitant du problème de la réédition des pamphlets.