Tout
Céline ? " On peut se demander si ce nest pas pour
sauver sa réputation posthume, plutôt que pour préserver la sensibilité de ses
lecteurs, que ses uvres les plus outrageusement antisémites nont pas été
réimprimées. " Réédition des pamphlets : Pour - Contre
Les pamphlets de Céline à
lexception de Mea culpa ne peuvent, comme on le sait, être
réédités. M. L.
NDLR : À cet article paru en 1984, nous avons ajouté dautres prises de position prises depuis la publication de celui-ci.
Ce que je naccepte pas, ce que je refuse de toutes mes forces, cest la violence odieuse que, sous le couvert de la loi, on veut faire subir à lhistoire de la culture et au libre arbitre de chacun. Il ne sagit pas d "être daccord" avec les idées exprimées dans ces écrits de Céline ; il sagit de tout autre chose : défendre avant tout la liberté de diffusion de son uvre dont la valeur et lintérêt ne souffrent aucun doute et cela dans son intégrité. Ugo GUANDA
Plus laudience des textes disponibles en librairie saccroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs naient accès quen bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits quils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques. Henri GODARD
Dune part on a bien tort de donner à tout un secteur du corpus célinien lattrait de linterdit, dautre part si cette pensée est aussi "bête", "aberrante", "incohérente" quon le dit, pourquoi ne pas létaler et la laisser se détruire toute seule ? Philippe ALMÉRAS
Le critère du "danger" invoqué par les apprentis-censeurs est le plus mauvais critère qui soit. Je constate quil est employé dans les pays totalitaires où lon justifie linterdiction de certains ouvrages en prétextant quils menacent la société ou troublent la population. On doit pouvoir tout publier. Jean-François KAHN
Aucun bouquin ne doit être interdit. Ceux qui ne connaissent que Voyage au bout de la nuit ou Mort à crédit sont dupés par omission. Christian LE VRAUX
Quand serons-nous suffisamment adultes pour avoir le droit de lire les pamphlets de Céline dont lun au moins, Bagatelles, est un chef-duvre, au même titre que le Voyage ?" Robert MASSIN
Le meilleur moyen de dédiaboliser ces textes, cest encore de les rééditer librement. Sans leur odeur de soufre, ils perdent lessentiel de leur impact "politique". Comment faire ? Il est hors de question dédulcorer les pamphlets. Ce serait contraire à lesprit de lauteur, qui avait horreur quon lui retranche ne fût-ce quune virgule. Ce serait malhonnête par rapport au lecteur. De toute façon, ce serait techniquement irréalisable, eu égard à la particularité de lécriture célinienne. Pourquoi ne pas les rééditer avec une préface destinée à calmer les esprits ? Après tout, le Mein Kampf des Nouvelles Editions Latines est en vente on ne peut plus libre dans les librairies de France. Il sen écoule 1500 exemplaires par an : seule édition française complète, traduction de 1934, 688 pages, 195 francs... Ce qui le distingue de ses précédentes éditions, cest la préface : huit pages, rédigées à la suite dun procès en 1980, avec le concours dun avocat de la LICRA, sous la tutelle du président de la cour dappel, rappelant ce que fut cet ouvrage et ce quil a engendré avant de devenir ce quil est : une uvre de référence historique. Qui oserait soutenir que, dans la France de 1989, on a le droit de lire Hitler mais pas celui de lire Céline ? Faudra-t-il attendre pour les acheter en toute liberté que les pamphlets de cet écrivain exceptionnel tombent dans le domaine public en 2011 ? Pierre ASSOULINE
... Revenons à nos Bagatelles, dont certains réclament la
réédition. Je trouve leur prosélytisme suspect, et leur désinvolture sans excuse. Je
dis que Lucette Destouches a parfaitement raison dinterdire, de son vivant, toute
réédition des pamphlets de Céline. La "villa Maïtou" a déjà flambé une
fois, cela suffit. Henri THYSSENS
Pour verser mon grain de sel, ou de poivre, ou de sulfure, à propos des pamphlets quon devrait BIEN ENTENDU réimprimer officiellement, je pense que Bagatelles pour un massacre indépendamment de toute question juive à la clé est un des meilleurs ouvrages de Céline : peut-être le plus formidable quant à la démonstration de son génie littéraire ! En revanche, LEcole des cadavres je persiste et signe en vaut moins la peine : ce livre najoute, napporte pas grandchose. Les beaux draps, plusieurs degrés au-dessous, mais indispensable (un peu moins que Mea culpa toutefois). Voilà mon avis. Marc HANREZ
... Largument du respect de la volonté du défunt nest guère convaincant. De son vivant, Céline sétait, il est vrai, opposé à la réédition de ses pamphlets, les retirant même de la page "Ouvrages du même auteur" de ses livres daprès-guerre. Mais cette opposition concernait aussi le pamphlet anticommuniste Mea culpa. Or, layant droit en a autorisé la publication à plusieurs reprises. Deux poids, deux mesures ? Et si les autres pamphlets nont effectivement pas bénéficié de cette autorisation, il est piquant de constater que la préface de la réédition de lun dentre eux la, elle, reçue. Et que dire dautres textes sulfureux commes les lettres aux journaux de loccupation publiées également dans les Cahiers Céline ? Pense-t-on respecter la volonté de Céline en rééditant ceux-ci mais non pas ceux-là ? Marc LAUDELOUT Je suis tout à fait favorable à une réédition. Ce sont des textes violents, choquants, mais intéressants quant à la littérature de Céline. On ne peut pas faire un saut par-dessus les pamphlets qui léclairent en amont et en aval. Ces textes que lon a trop tendance à isoler devraient être publiés dans un cinquième tome de la Pléiade pour bien montrer quils font partie de luvre. Ils devraient être préfacés par Alice Yaeger Kaplan dont on possède déjà une préface à Bagatelles pour un massacre qui ne montre aucune complicité avec lantisémitisme de Céline, ni aucun acharnement contre sa littérature. Stéphane ZAGDANSKI Sur le principe, je suis catégorique : je suis contre les mesures dexception et les mises à lindex, quelles quelles soient. Si on publie Sade, Les versets sataniques de Rushdie et toutes sortes de pamphlets comme Les décombres de Rebatet, qui est dune violence incroyable, alors on doit aussi publier les pamphlets de Céline qui apportent quelque chose de décisif à la connaissance de luvre. Sinon, où doit-on sarrêter ? Est-ce quon va aussi sen prendre à Voltaire qui a écrit des pages dune extrême violence sur le christianisme ? Jean-Louis KUFFER
" La censure ne peut pas, ne doit pas exister. L'infect parternalisme qui consiste à décider ce qui est bon ou pas pour les autres récèle au moins deux erreurs : qui peut s'estimer apte à juger ce qui est "bon" ou ce qui ne l'est pas ? La notion même du "bon" n'est-elle déjà pas un subjectivisme qui échappe à tout critère objectif ? De plus, pour les pamphlets de Céline, la censure morale se double d'une censure économique : avec de la patience et AVEC DE L'ARGENT, on peut se procurer ces livres. Ce côté permissif que donne l'argent pour aborder ce qui est refusé (inacessible) au plus grand nombre n'est pas l'aspect le moins répugnant de la question. (...) En définitive, réclamer une réédition des pamphlets revient à manifester notre droit à l'information. L'histoire qui nous a produit nous appartient. Un écrivain est un personnage public. Sa production appartient au domaine public." Eric SÉEBOLD
Il est certain que les pamphlets sont des uvres intéressantes pour les chercheurs et les gens qui sintéressent à Céline et que, sur le plan littéraire, ce sont des textes importants. Dun autre côté, ce sont tout de même des uvres de circonstance qui doivent être replacées dans leur temps, cest-à-dire avant la guerre, à une époque où beaucoup de gens, dont Céline, sentaient poindre un nouveau conflit mondial et où un vent dantisémitisme soufflait sur toute lEurope. Les évènements tragiques de la guerre ont donné à ces pamphlets un aspect dramatique quils navaient pas avant la guerre. Le risque, cest donc que le lecteur moyen ne comprenne absolument pas ce qua voulu écrire Céline et déforme complètement lesprit dans lequel il a écrit ces pamphlets. Une réédition aurait alors un succès de scandale et relancerait une mauvaise querelle à une époque où malheureusement, les passions ne sont guère éteinte dans notre pays. Sur le plan politique, je crois donc quune nouvelle publication des pamphlets serait tout à fait inopportune. Les chercheurs qui veulent travailler sur ces textes peuvent toujours les consulter en bibliothèque. François GIBAULT
Céline a écrit, avec talent, de grands livres. Les uns ne sont pas antisémites. Quelques uns le sont. Je suis pour linterdiction de ces derniers. Beate KLARSFELD
Seront sauvés Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Tout le reste doit être jeté à la poubelle. RABI
Peu importe son talent. Céline participe de Vichy, dHitler et dAuschwitz. Comme tel, le mieux qui puisse arriver à sa mémoire, cest quon loublie. Roger ASCOT
Les pamphlets ne sont pas réimprimés et cest très bien ainsi. Marc CRAPEZ
Je nai pas lu ces pamphlets, mais jimagine que leur publication, en leur temps, a pu contribuer aux persécutions. Les mots peuvent tuer : lhistoire la montré. Aujourdhui, ce genre dincitation à la haine est condamnée par la loi. Dans le contexte tendu qui est le nôtre, je crois quil faut dabord préserver les survivants de ces persécutions dune souffrance inutile. Une réédition des pamphlets serait donc inacceptable. Il faut que laccès à ces textes soit garanti aux chercheurs, mais on ne peut pas les faire circuler librement au nom de la liberté dexpression. Boël SAMBUC
Les arguments en faveur de cette republication
s'organisent autour du principe de liberté ici la liberté pour les lecteurs de
découvrir et de juger par eux-mêmes de ce qui n'est pas bon pour eux. Défendre une
republication en vertu de ce principe en faisant l'impasse, comme il se doit, sur
ses effets pervers relève d'un progressisme absurde. Au principe de liberté
s'adjoint celui de protection. Il arrive qu'il s'y oppose et qu'il n'y ait aucun compromis
possible. Dans le combat contre l'antisémitisme, le moyen terme et la demi-mesure
concrétisés dans le cas des pamphlets par l'idée de "réédition critique"
ne peuvent que relativiser ce combat : dans un combat, le relativisme fait toujours
le jeu de l'adversaire. Et le droit à l'erreur, ce bouclier de circonstance derrière
lequel courent se réfugier les croisés de la Liberté quand les faits leur donnent tort,
n'existe plus pour ce combat-là : l'antisémitisme n'est pas un humanisme !... Christian FERREUX
"J'ai interdit la réédition des
pamphlets et, sans relâche, intenté des procès à tous ceux qui,
pour des raisons plus ou moins avouables, les ont clandestinement fait
paraître, en France comme à l'étranger.
Ces pamphlets ont existé dans un certain
contexte historique, à une époque particulière, et ne nous ont
apporté à Louis et à moi que du malheur. Ils n'ont de nos jours
plus de raison d'être.
Encore maintenant, de par justement leur
qualité littéraire, ils peuvent, auprès de certains esprits, détenir
un pouvoir maléfique que j'ai, à tout prix, voulu éviter.
J'ai conscience à long terme de mon
impuissance et je sais que, tôt ou tard, ils vont resurgir en toute légalité,
mais je ne serai plus là et ça ne dépendra plus de ma volonté."
Lucette Destouches Le 18 octobre 1989, lhebdomadaire LIdiot international,
que dirigeait Jean-Edern Hallier, avait reproduit un extrait des Beaux draps sous
la mention "Interdit". Cette initiative suscita la réprobation de Lucie
Destouches qui adressa à cet hebdomadaire une réplique qui fut publiée le 25 octobre :
|