Robert Denoël

Un Cinquantenaire oublié (2)

par Henri Thyssens

Première Partie

 

 

Quelques jours plus tard, l’hebdomadaire Détective va résumer à sa manière cette affaire embrouillée, et se mettre résolument du côté de la veuve et de l’orphelin (22). Il rappelle que Denoël a, depuis février 1945, ajouté à sa clandestinité une simulation de la vente de ses parts afin d’éviter, en cas de coup dur, la confiscation de ses biens : " Mais Mme Loviton, qui possède de hautes et puissantes relations, veillait jalousement sur son poulain, et le 13 juillet 1945 celui-ci bénéficiait d’une ordonnance de classement devant la Cour de Justice. Mais sa société faisait encore l’objet d’une poursuite et il devait comparaître dans le courant du mois de décembre devant la Commission d’épuration du livre ". On ne voit pas où le journaliste veut en venir, jusqu’à ce qu’il écrive : "Et c’est ici que se place le côté le plus troublant de cette affaire : alors que Denoël manifestait nettement l’intention de reprendre en mains son entreprise, alors qu’il écrivait à des amis très chers qu’il entendait rentrer chez lui, alors que le 3 décembre il avait rendez-vous avec son directeur commercial [Auguste Picq] pour recevoir des mains de ce dernier une attestation, signée du personnel de sa maison d’édition, qui demandait au Comité d’épuration du livre de permettre à Denoël de reprendre la gérance de son affaire, il était mystérieusement assassiné. "

Le magazine rappelle ensuite les circonstances de l’assassinat, où l’on n’apprend rien de neuf, si ce n’est que Jeanne Loviton se serait jetée sur le corps sans vie de son amant en s’écriant : " Pardonne-moi, mon chéri, c’est ma faute ! " Ce sont les détails de ce genre qui assuraient les ventes de Détective.

La presse, France-Soir en tête, va reprendre dès le 13 janvier 1950 tous les éléments de l’affaire et les commenter. Plusieurs points que l’enquête aurait pu préciser, " si elle avait été faite ", sont passés en revue :

- De la rue de l’Assomption, que le couple a quittée à 20 h. 45, au boulevard des Invalides, une demi-heure c’est long, à une époque où les rues n’étaient guère encombrées.

- Le boulevard des Invalides n’est certainement pas le chemin le plus court pour se rendre de Passy à Montparnasse, mais il se trouve à deux pas de la rue Amélie, siège des Editions Denoël, et du domicile, rue Las-Cases, d’un des familiers du couple Denoël-Loviton : Maurice Percheron, qui n’a pas encore été entendu par la justice.

- Pourquoi, alors que voitures et taxis sont rares, un homme enverrait-il sa compagne chercher un taxi au commissariat ? " Nous craignions d’arriver en retard au théâtre " a dit Mme Loviton. Pour changer une roue, il faut dix minutes ; elle risquait d’attendre bien plus longtemps un taxi. Mme Loviton " avait peut-être d’autres raisons de s’éloigner de la voiture en panne ", écrit France-Soir. Son chauffeur, le lendemain, est venu chercher la voiture (qui n’a pas été mise sous scellés) et a changé la roue sans difficulté particulière.

- D’autres passagers n’avaient-ils pas pris place dans la Peugeot ? N’y eut-il pas discussion entre l’un d’eux et l’éditeur, connu pour sa violence et sa force redoutable ?

- Le couple a déjeûné le 2 décembre à Saint-Brice, chez une amie. Cette dame n’a pas été entendue. L’éditeur a ramené de St-Brice à Neuilly deux personnes qu’on n’a pas cherché à retrouver. Ne serait-il pas intéressant de les interrroger ? D’autre part, des contradictions ont été relevées lors de la première enquête entre plusieurs témoins et leur emploi du temps. Enfin, des bruits ont couru selon lesquels les conclusions d’une enquête parallèle menée par la direction des Renseignements Généraux de la Préfecture de police étaient opposées à celles de l’enquête menée par la brigade criminelle. Le dossier aurait été gardé secrètement par le préfet de la Seine, lequel dément formellement ces affirmations (23).

Georges Gherra, qui va signer les articles les plus documentés sur l’affaire, recueille le témoignage de Cécile Denoël. Elle rappelle que " la balle qui a tué mon mari est de 11 mm. 45, qu’on a conclu à un meurtre de rôdeur, probablement un ‘nègre américain’, alors que le calibre du colt dont est dotée l’armée américaine depuis 1941, est de 11 mm.43 ". Cela prouve au moins qu’il ne s’agissait pas d’un déserteur américain. Quant à Jeanne Loviton, elle se dit " très heureuse de la décision prise par le Parquet, et est persuadée que toute la lumière sera faite sur cette affaire qui bouleversa une période heureuse de sa vie ".

Le 17 janvier, Paul Bodin signe dans Carrefour un long article intitulé " Le Dessous des cartes " où il rappelle une fois encore les circonstances du drame, en ajoutant que l’emploi du temps de Jeanne Loviton fut vérifié et que les enquêteurs admirent qu’elle était au poste de police lorsque le meurtre eut lieu. " L’arme du crime était celle d’un tueur et il semble bien que le même genre d’arme ait été employé, ultérieurement, dans des règlements de compte sensationnels ". Le journaliste ne dit pas lesquels.

Portrait de Jeanne Loviton, qui représentait pour Denoël " une étape importante de sa vie. Car cette femme très élégante lui apportait ce qui lui avait toujours manqué : des relations et des possibilités de financement. L’éditeur, qui avait de grands projets, avait dressé, d’accord avec son amie, un plan d’association selon lequel il cédait la moitié des parts des Editions Denoël aux Editions Domat-Monchrestien. Mais, contrairement à ce qu’on a prétendu, il l’avait fait en toute liberté, envisageant en retour la possibilité d’une très large extension de ses affaires. Il avait notamment l’intention de créer à Paris, avec le concours de son amie, un ‘Palais du livre’ qui aurait abrité un centre d’échange international du livre, un club d’écrivains et d’éditeurs, un cinéma, etc. Ce club devait constituer une des plus grandes entreprises de l’édition française."

Paul Bodin examine ensuite le cas des Editions de la Tour, créées à la Libération : " Il avait pour cela emprunté de l’argent [à Maurice Percheron], grâce à Mme Voilier, choisi comme gérant de cette maison l’ami même de sa femme [Maurice Bruyneel], auquel il avait fait signer, une semaine avant l’attentat, une cession de parts en blanc. Cette cession devait devenir effective le 4 ou le 5 décembre. Elle devait, en effet, être enregistrée au nom des nouveaux propriétaires. Mme Denoël hérita, régulièrement, les Editions de la Tour. " Cette information n’a été reprise nulle part ailleurs. Bodin veut-il dire que Denoël comptait récupérer, pour Jeanne Loviton et lui-même, cette petite société ? Le fait est que Maurice Percheron, propriétaire de 33% des parts, a fait valoir, après la mort de l’éditeur, ses droits dans la société auprès de Bruyneel, mais j’ignore comment les choses ont été réglées. La faillite des Editions de la Tour a été prononcée en décembre 1946.

Le journaliste évoque encore un " dossier noir constitué par Denoël, dont on parlait dans tout Paris et qui mettait en cause d’autres éditeurs. L’un d’entre eux aurait eu recours à une police politique renommée pour abattre un témoin gênant. " Mais il ajoute qu’une police politique n’aurait pas agi de cette façon ; nul ne pouvait prévoir qu’un pneu de la Peugeot éclaterait à cet endroit, et il était facile d’exécuter l’éditeur dans d’autres circonstances. Denoël, qui circulait fréquemment à motocyclette, était extrêmement vulnérable, surtout quand il rentrait au domicile de son amie, rue de l’Assomption. Quant aux pièces qui composaient le dossier noir, " on affirme aujourd’hui qu’elles ne constituaient un mystère pour personne " .

Le 20 janvier, Aux Ecoutes révèle que l’éditeur Wilhelm Andermann a entrepris, contre l’Administration des Domaines, une procédure en vue de récupérer ses parts dans la société des Editions Denoël, et qu’il a choisi l’avocat même de Mme Denoël, "qui a soudain déclenché l’offensive parallèle et tapageuse que l’on sait ".

Paroles françaises du même jour rappelle que la Cour a nommé en novembre 1949 l’expert Caujolle dont le rapport sera sans doute décisif dans l’affaire de la cession de parts, et que la demande de réouverture de l’enquête sur le meurtre de l’éditeur par Mme Denoël viserait à influer, dans un sens favorable pour elle, sur les décisions de l’expert : " Mais cette hypothèse semble sans fondement sérieux, car dans tous les cas le supplément d’enquête n’arrête pas l’expertise que son caractère technique met à l’abri des fluctuations de l’actualité journalistique ".

Le 22 janvier, La Presse publie un long article non signé contenant plusieurs détails intéressants. On y relève d’abord que, le 2 décembre 1945, Jeanne Loviton a demandé à un agent en faction rue de Grenelle de lui indiquer le commissariat, alors qu’elle " connaît tout le quartier pour avoir résidé tout près, rue Casimir-Périer ". Le commissariat de la rue de Grenelle se trouve en effet à deux pas de la rue Casimir-Périer. Il est à nouveau question du " mystérieux dossier " que Denoël avait préparé pour assurer sa défense, le 3 décembre: " Or, ce dossier ne contenait, suivant un de ses proches collaborateurs qui l’aida à le constituer, que des coupures de la Bibliographie de la France démontrant que la plupart des grands éditeurs avaient publié des livres imposés par les Allemands, alors que trois maisons seulement étaient poursuivies : Grasset, Sorlot et la sienne. " Ce proche collaborateur est René Barjavel, qui me confirma cette version.

Des " amis intimes " de l’éditeur ont affirmé que Denoël avait l’intention de refaire sa vie avec Jeanne Loviton, qui lui apportait " ce dont il était aussi dépourvu en 1945 qu’à son arrivée à Paris, vingt-cinq ans plus tôt : de l’argent et des relations. Car si Denoël avait réussi à payer ses dettes, pendant la guerre, où les affaires de librairie marchaient bien, il ne s’était pas enrichi pour autant. On estime qu’à la Libération il ne disposait pas de plus de quelques centaines de mille francs. "

Durant le déjeûner qu’il avait pris chez la comédienne Marion Delbo (Mme Henri Jeanson à la ville), à St-Brice, " il avait évoqué ce ‘Palais du livre’, exposition permanente de librairie internationale qu’il s’apprêtait à fonder aux Champs-Elysées, avec l’appui financier de Mme Loviton. Rien n’indiquait donc un changement possible dans ses sentiments envers celle-ci " (24).

Six jours plus tard, Le Cri de Paris ne craint pas d’écrire que " le président de la troisième Chambre de la Cour a estimé suspectes les coïncidences de certaines cessions de titres et de l’assassinat de Robert Denoël. Avant de confirmer ou d’infirmer le jugement du Tribunal de Commerce, il a demandé une expertise à M. Caujolle. Il s’agit actuellement de savoir si Mme V..., grande profiteuse de l’assassinat, y a joué ou non un rôle d’exécutante ou de complice. Seule une instruction loyale peut nous l’apprendre ".

Féroce, le chroniqueur poursuit : " Les réactions passionnées d’un certain public s’expliquent par la personnalité même de Mme V... Elle fut avocat à la Cour de Paris et l’épouse du regretté Pierre Frondaie avec lequel elle dirigea une collection à la librairie Emile-Paul. Elle quitta son mari, et sa carrière fut celle d’une très jolie femme. Ses charmes lui attirèrent pas mal d’amis influents. D’abord un très haut fonctionnaire de la police judiciaire, puis une dame exerçant des fonctions publiques, et qui est devenue l’épouse d’un président du Conseil. D’autres encore. Voici quelques jours la préfecture de police démentait officiellement qu’un de ses agents eût fait classer un dossier relatif à l’assassinat de Robert Denoël. Ce démenti même prouve que l’on a dit beaucoup le contraire. On a dit, en outre, pas mal d’autres choses au sujet de démarches qu’aurait eu à subir le Président de la 3e Chambre de la Cour. Il est évident que ce haut magistrat n’est pas de ceux qu’une démarche féminine influence. César n’aurait pas toléré telle immixion de sa femme en matière de justice. La IVe République est anti-césarienne. " (25)

Le 24 mars, un autre hebdomadaire satirique, Juvénal, renchérit : " La première information menée sur l’assassinat de l’éditeur Denoël fut rapidement stoppée, bien que l’on n’eût point découvert le meurtrier. Voilà que l’affaire rebondit, sous l’impulsion d’un homme d’action, condamné à mort sous Vichy. C’est qu’en effet, la maîtresse de Denoël, une femme au coeur d’airain, mais non de coeur pur, n’ignore rien de l’auteur ni des circonstances du drame, puisque celui-ci s’est déroulé sous ses yeux. Seulement, voilà : on chuchote que cette Walkyrie aurait un faible pour une personnalité en place. Ce serait la raison pour laquelle l’affaire aurait été mise en sommeil, une première fois. L’instruction qui vient d’être reprise dans le cabinet de M. Goletty pourra-t-elle être poursuivie sans entraves ? " (26)

Jeanne Loviton en 1945

Le 26 mars, la veuve et la maîtresse de Robert Denoël sont confrontées durant deux heures dans le cabinet du juge Goletty : aucune information n’a filtré.

Le 2 avril, Georges Gherra signe un intéressant papier dans France-Soir : il contient des éléments nouveaux. L’inspecteur principal Vauge, chargé de la seconde enquête sur la mort de l’éditeur, a découvert " un document inconnu jusque là, lequel a été placé sous scellés ". Il s’agit d’un feuillet appartenant au livre de nuit d’un gardien au Ministère du Travail. Le soir du 2 décembre 1945, ce gardien " avait consigné les allées et venues et les paroles échangées entre lui et deux personnes dont la présence au ministère, un dimanche soir, entre 21 h. 10 et 21 h. 30, lui avait paru insolite. Ce fait banal en apparence lui était apparu si important le lendemain qu’il avait arraché la feuille du livre de nuit ". Il en rendit compte à son chef qui lui conseilla de la garder. C’est cette feuille qu’il a remise " il y a quelques jours à l’inspecteur. Le contenu de celle-ci est gardé secret. "

Gherra passe en revue l’emploi du temps de l’éditeur au cours des heures qui ont précédé sa mort. A Saint-Brice où ils ont déjeûné et passé une partie de la journée, il est prévu que Denoël et Jeanne Loviton resteront pour dîner. En fin d’après-midi Denoël change d’avis et préfère rentrer. Entretemps, il a reçu un coup de téléphone ; de tous les témoins, un seul se souvient de ce fait : c’est le gouverneur ; les autres ne peuvent l’affirmer.

Le couple quitte Saint-Brice vers 18 heures, dépose à Neuilly le ménage Baron, et rentre rue de l’Assomption. Denoël dîne rapidement, " au point qu’il néglige le desser ", dit la bonne. Vers 20 heures, au moment de partir, il a une longue conversation téléphonique. Il quitte la maison entre 20 h. 15 et 20 h. 30, pour se rendre à Montparnasse. Boulevard des Invalides, entre 21 h. 20 et 21 h. 23, il est touché par une balle de 11 mm. 45 tirée dans le dos à moins d’un mètre cinquante. La douille est retrouvée dans le gravier, à dix mètres en avant de la voiture.

C’est tout, mais Gherra, qui a lu le rapport de police, conclut son article en présentant désormais Denoël " comme la victime d’un crime d’intérêt camouflé peut-être en crime crapuleux " (27)

Le 29 avril, une nouvelle confrontation a lieu dans le cabinet du juge d’instruction, " entourée de la plus grande discrétion ", entre Mme Loviton, Mme Denoël, " et plusieurs personnalités importantes " [certains journaux écrivent : " plusieurs des intimes de l’éditeur "].

Le 30 avril, Express-Dimanche a consacré à l’affaire " un très long article ", que je n’ai malheureusement pu retrouver. Il devait contenir des éléments importants puisque Mme Loviton a déposé une plainte en diffamation contre le journal et l’auteur, leur réclamant solidairement cinq millions de dommages-intérêts, pas moins. Un hebdomadaire qui évoque cet article le 5 mai, le commente ainsi : " Le moins qu’on en puisse dire est que M. Pierre Roland-Lévy, magistrat et membre du Conseil supérieur de la magistrature, y est durement mis en cause. " On apprend encore que Mme Loviton a déposé deux autres plaintes en diffamation contre Juvénal et Le Cri de Paris, " qui avaient publié des articles de même inspiration ".

De la même époque doit dater un article anonyme intitulé " Duel de femmes autour d’une maison d’édition ", dans lequel un journaliste met en cause les " puissantes relations " de Jeanne Loviton : "ce procès risque d’éclabousser la femme d’un des plus importants personnages de la IVe République. Mme Loviton est une femme d’affaires expérimentée. Ses ennemis laissent entendre que c’est à l’influence d’une amie dont le mari occupe encore des fonctions gouvernementales, qu’elle doit d’avoir obtenu la levée de l’administration provisoire dont était dotée la maison Denoël. Force est de constater, ajoutent-ils, que, depuis l’assassinat de Robert Denoël, tous les procès qu’a engendrés sa disparition se sont terminés en queue de poisson, à commencer par l’enquête sur le crime lui-même. A la surprise générale, le procès intenté devant la Cour de justice contre les Editions Denoël est également classé, alors qu’on s’attendait à la confiscation. La société Denoël constituait tout l’actif - 20 millions de francs environ - de la succession de l’éditeur. " (28)

La presse n’hésitait pas, on le voit, à mettre en cause des personnalités en place. Pour un lecteur de l’époque, les périphrases dont on usait pour désigner Suzanne Borel, la femme de Georges Bidault, étaient transparentes. Pourtant, ces articles seront les derniers du genre. La presse, avec un bel ensemble, va faire le silence absolu sur l’affaire, sauf pour annoncer les décisions de la Cour d’appel ou pour présenter de plates excuses à Mme Loviton.

Le 6 juillet 1950, le juge Goletty rend une seconde ordonnance de non-lieu dans l’affaire de l’assassinat de Robert Denoël, " aucune des nouvelles hypothèses émises n’ayant pu être confirmées ". Cécile Denoël a aussitôt annoncé qu’elle interjetait appel de cette décision.

Le 29 juillet, la Chambre des mises en accusation de la Cour d’Appel de Paris confirme l’ordonnance de non-lieu rendue le 6 juillet par le juge d’instruction.

Le 13 décembre, la 3e Chambre de la Cour d’Appel de Paris, " adoptant les conclusions de l’expert Caujolle, a déclaré régulière et valable la cession de parts consentie par Robert Denoël, de son vivant, aux Editions Domat-Monchrestien, dont Mme Jeanne Loviton est gérante, et a rejeté la demande de Mme Denoël."

Le 22 et le 29 décembre 1950, Le Cri de Paris et Juvénal font amende honorable et reconnaissent que les échos qu’ils ont publiés précédemment " étaient basés sur des informations malignes dont l’inexactitude est aujourd’hui démontrée. Toujours objectifs et soucieux de vérité, nous sommes heureux de donner à Mme Loviton ce témoignage ".

La suite de l’histoire ne figure plus dans les journaux mais dans les documents officiels. La voici dans sa concision :

Le 10 janvier 1951, Cécile Robert-Denoël épouse Maurice Bruyneel.

Le 1er octobre, Mireille Fellous, fille adoptive de Jeanne Loviton, cède à la société Zed, appartenant aux Editions Gallimard, les six parts qu’elle détient dans la société des Editions Denoël. Le même jour, Georges Seguy cède à la même société les quatre parts qu’il possède dans la société Denoël.

Le 15 octobre, Jeanne Loviton cède à la même société 2656 parts qu’elle détient dans la société Denoël et, le lendemain, elle démissionne de ses fonctions de gérante.

Le 10 février 1952, Jeanne Loviton cède les 334 parts qui lui restent dans la société Denoël : 250 parts à Jacques Lang, industriel parisien, 84 parts à Henri Lozé, autre industriel parisien.

 

*

On a présenté Robert Denoël comme un Rastignac liégeois. Rastignac se faisait des relations, Denoël des amis. Le but était le même, pas les moyens. Toute la carrière de l’éditeur est jalonnée d’amis plus ou moins fortunés auxquels il demande, à un moment ou à un autre, une assistance financière. Une lettre de Céline récemment publiée, féroce et pénétrante, définit ainsi le personnage : " Il n’a aucune parole, il ment comme il respire. Il crapulaille le plus ingénument du monde. C’est un Belge - c’est un jésuite, c’est un homosexuel c’est un éditeur. Cela fait beaucoup. Comme ‘refoulé’ lui alors est servi. Ses démêlés avec Dabit sont fameux. Brouille d’amants, brouille d’argent, brouille littéraire - aussi quelle haine pour finir. Mais il a des qualités de jésuite, habile en affaires tenace, audacieux - et belge, déjà un peu germanique - plus efficace que les français. Mais cependant brouillon, gâcheur, aucun respect du boulot. Mais encore de l’enthousiasme et une certaine spiritualité ratichonne - Ses mains sont terribles regardez-les et quand il mange - une brute avide sans merci - un curieux mélange. Charmant avec ceci." (29). Charmant aussi, Céline. Mais il donne quelques clefs magistrales pour comprendre ce curieux animal littéraire qu’était Denoël.

Un peu jésuite, certainement, puisque étant passé par leurs mains dès l’âge de huit ans. Un peu cheval fou aussi, supportant mal les contraintes d’une famille dévote, et filant à Paris à la première occasion, à 18 ans. Et puis fin lettré, respectueux de la littérature plus que des littérateurs, et capable de très belles critiques, ce dont témoignait Max Jacob, qui lui écrivait en 1943 : " J’écrivais hier à Jean Milo : ‘Le seul critique littéraire que nous ayons c’est Denoël ; ses ‘vient de paraître’ sont des chefs-d’œuvre de justesse et de justice’. Garde et conserve tes ‘vient de paraître’ et quand tu en auras cinq cents, publie-les en volume, avec le titre et une petite préface de... Edmond Jaloux - lequel pourra l’être, ’jaloux’. " (30)

Enthousiaste, à n’en pas douter, au point de décider les écrivains non seulement à publier chez lui, mais aussi à régler la facture de l’imprimeur quand c’est nécessaire. Jean de Bosschère, son premier auteur, disait de lui qu’il était " l’un des rares éditeurs de Paris qui s’égalent aux auteurs qu’ils acceptent " (31). Céline, contrairement à ce qu’il dit à sa secrétaire en 1945, écrivait dix ans plus tard, après avoir rappelé les " odieux penchants " du personnage : " un côté le sauvait... il était passionné des Lettres... il reconnaissait vraiment le travail, il respectait les auteurs... " (32)

Eugène Dabit était plus nuancé : " C’est un homme qui ne manque pas de goût, de courage et d’adresse" (33). "Denoël promet des merveilles mais ne tient, ne peut tenir ses promesses" (34). Trois mois séparent ces deux lettres ; entretemps l’écrivain a reçu des offres alléchantes de Gallimard, et ceci explique cela. " Brouille d’argent, brouille littéraire ", sûrement, " brouille d’amants " ? Je ne crois pas. Pas avec Dabit. Mais Céline veut voir en Denoël "un notoire enculeur - l’amant de Dabit ! et de Steel ! et de 20 autres ! " (35)

Il est vrai que le Liégeois, sur ce point précis, s’était rapidement émancipé, l’homosexualité masculine et féminine ne le gênant pas personnellement quand elle pouvait être utile à ses visées éditoriales.

Le témoignage de Philippe Hériat ne manque pas d’intérêt : " Robert Denoël était alors un vigoureux et beau garçon d’une intelligence vive et d’une forte puissance de travail. Il prétendait conquérir Paris et en ‘avaler’ les plus grands éditeurs. Beau programme. Mais un certain désordre dans les idées, une conception assez fausse de la réussite, jointe à une méconnaissance toute provinciale de ce qu’est réellement Paris. " (36) Rémy Hétreau, un peintre que Denoël avait encouragé, restait sensible, trente ans plus tard, aux qualités de cet " homme souriant, grand, calme et puissant, qui savait faire confiance et donner confiance en soi " (37).

Arthur Pétronio n’a rien publié chez Denoël ; il l’a connu en 1920, alors que tous deux venaient de créer une éphémère revue littéraire à Liège : " C’était un caractère vif et emporté, à l’ironie mordante, soit par vocation soit par amusement. Turbulent et expansif, coléreux et cordial, toujours en gésine de vastes programmes, adorant le langage cru au service de la vérité. Il avait un fond de bonté cachée sous un rire sardonique. Il avait un sang riche et était d’une nature furieusement indépendante. Il tenait en haute estime Bernanos, Giraudoux, Hellens, Cendrars, Larbaud, Montherlant, Drieu, Max Jacob, Fargue, Jouve, Valéry, Tzara et Delteil. " (38)

Contrairement à son frère Georges, Robert Poulet n’a connu Denoël qu’en 1930. Il lui a confié Handji que Grasset avait tardé à accepter. Cinquante ans plus tard, il le regrettait encore : avec Grasset, un prix littéraire était, croyait-il, assuré... D’où peut-être le portrait peu amène mais sagace qu’il a publié en juin 1979 : " La fourberie luisait dans un de ses yeux et l’enthousiasme dans l’autre. De fait, un fervent et un tricheur à la fois. La conjonction des deux signes était peut-être nécessaire pour que l’entreprise Denoël réussît. Il se lança dans le maquis parisien, où il se distingua tout de suite par ce qu’on pourrait appeler un excès d’entregent. Son adaptation au milieu - le 6e arrondissement, les parlotes de café, les combinaisons qui s’échafaudent lundi et s’effondrent mercredi - eut l’aspect d’un roman picaresque. Tout allait bien, tout allait mal; on se faisait des amis, dont la moitié étaient des tapeurs et des créanciers. Il échappait à tout par une suite de chances et de ruses, enveloppées d’une frénésie verbale très habilement dosée. L’aventurier, sans cesse sur le point de gagner la partie ou de sauter. Pas escroc du tout. N’aurait pas volé un centime à qui que ce fût. Simplement il se regardait comme le serviteur précieux de la chose littéraire et en déduisait que de sordides considérations moralistes ou législatives ne devaient pas embarrasser son zèle ni en offusquer l’inspiration [...] Un éditeur qui aimait l’argent. Mais pas plus que la littérature." (39)

 

Jeannine Buissounouse, qui l’interviewe en 1938, note : " L’attitude de l’homme est parfaitement simple et cordiale, mais le regard ne vous appartient pas. Un joueur ? Vous l’aviez tout de suite deviné. " (40) Elsa Triolet : " Porteur de lunettes, épaules de débardeur, ce jeune Belge promettait de devenir un grand éditeur, tant il avait d’intérêt, de passion pour la littérature, tant il avait le goût du risque et des affaires." (41) Paul Vialar : " J’ai connu Denoël triomphant. Je l’ai connu blessé. Jamais je ne l’ai connu déloyal, même s’il eut, par moments, quelque faiblesse qui s’explique par son amour forcené de son métier qu’il exerça avec génie. " (42). Un journaliste bruxellois va l’interviewer en 1942 : " Le physique de l’homme traduit le caractère. Tête romaine, figure romantique mais empreinte d’énergie. Les yeux observateurs, sous les lunettes, pétillent d’esprit. " (43) Georges Champeaux, qui l’a rencontré en 1936, le décrit ainsi : " De haute taille et large d’épaules, de lourdes lunettes d’écaille bien posées sur un nez hardi, il tient à la fois de Joseph Kessel et de Jacques Doriot. Un éditeur ‘d’attaque’." (44)

Un homme qui en impose malgré sa petite trentaine, et dont René Barjavel (qui a quelques années de moins que lui) m’écrira en 1978, dans une formule définitive : "Denoël a été mon patron, mon maître et mon ami " (45). Robert Beckers, un Liégeois qui l’a connu dès 1922 et qui l’a suivi jusqu’à sa mort, le qualifie de " curieux, entreprenant, convaincant. Il avait non seulement du goût mais du flair [...] l’un des hommes les plus cultivés, les plus humains que j’ai connus " (46). Gilbert Dupé, dont le roman publié par Denoël en 1939, La Foire aux femmes, avait obtenu un beau succès, conservait le souvenir d’un homme "aimable, sérieux, d’un éditeur consciencieux et compétent : je n’en ai pas rencontré de cette valeur par la suite " (47). Gerhard Heller, l’homme de la Propaganda Staffel, m’assurait en 1979 qu’il " avait toujours eu beaucoup d’estime pour lui, et admiré son talent d’éditeur, son courage" (48). Carlo Rim, qui apréciait sa volonté de vaincre, son caractère ambitieux, son culot et ses folles imprudences, estimait que Denoël était un personnage " hors du commun qu’on ne doit juger qu’avec le recul" (49).

Cinquante années de recul ont permis de vérifier que Robert Denoël s’est imposé en deux ans dans l’édition parisienne, qu’il s’est hissé au rang des plus grands et y est demeuré. Il a réussi ce tour de force dans le seul domaine littéraire, et à une époque où beaucoup d’éditeurs luttaient pour leur survie. Neuf prix Renaudot lui ont été attribués de 1931 à 1939, ses découvertes éditoriales ont marqué les années trente, et il n’a pas été remplacé.

 

*

 

Cet éditeur " d’attaque " avait, au moins, deux points faibles, qui ont vraisemblablement causé sa perte : l’argent et les femmes. Robert Denoël était un jouisseur forcené, doté d’un fort tempérament. Mais deux femmes seulement me paraissent avoir pesé réellement sur sa destinée.

Cécile Brusson est née à Liège dans une famille haute en couleurs puisque sa mère était lutteuse de foire. Elvire Herd, c’est son nom, avait pas mal bourlingué quand elle rencontra Walthère Brusson, un garçon-boucher qui reconnut sa fille née le 19 septembre 1906. Deux ans plus tard, au cours d’une tournée, Elvire s’était amourachée d’un lutteur noir et l’avait suivi en Afrique du Sud. L’affaire tourna court, et elle dut s’engager dans une brasserie pour subsister. C’est là qu’elle rencontra un ingénieur anglais, Walthère Ritchie-Fallon, qui l’épousa en 1914 et dont elle eut un fils en 1916. Est-ce que la petite Cécile vécut à Cap Town durant ces années ? L’état-civil liégeois dit le contraire, mais Cécile raconta par la suite qu’elle avait connu une jeunesse dorée en Afrique du Sud, ce dont témoignait l’accent anglais qu’elle en avait ramené. Ce qui est sûr c’est que sa mère quitta Ritchie-Fallon en juin 1923 et qu’elle revint définitivement à Liège, où elle ouvrit un café populaire. Cécile, qui était rousse et avait d’admirables yeux verts, aidait sa mère au comptoir. Est-ce dans ce café que Denoël l’a rencontrée ? Cécile Brusson assurait que c’était au cours d’un bal costumé, le 8 mars 1925 (50). L’austère famille bourgeoise de Robert Denoël ne voulut pas entendre parler de cette fille de saltimbanques, comme on peut s’y attendre ; les jeunes gens se revoient en cachette, puis Cécile rejoint Robert à Paris en octobre 1927: " Je vais avoir à côté de moi une femme ou plutôt une enfant. Je devrai être à la fois son amant, son tuteur et un peu son éducateur. Elle arrive toute neuve, toute fraîche en dépit de quatre années de vie dans le milieu le plus détestable [...] La vie, pour elle, ressemble surtout à une grande partie de camping. De temps en temps, il faut travailler mais tout s’accomplit dans les rires et le bonheur... Jusqu’à l’âge de 16 ans sa vie a ressemblé à cela en effet" (51).

Les débuts des " deux Noël ", comme les appelait Carlo Rim, vont avoir une tout autre coloration : " Je suis toujours à la veille d’être saisi, de voir mon électricité coupée. Je reçois des lettres de créanciers, des pneumatiques menaçants, des sommations... ", écrit-il en janvier 1928 à Champigny, malgré quoi Cécile s’habitue à cette vie précaire : " Ma femme, habituée à l’abondance, à l’argent, ne songe même pas à s’étonner de la situation. Elle vit près de moi et cela lui suffit pour respirer le bonheur. " Le 2 octobre 1928, Cécile et Robert se marient ; Robert Beckers, l’ami liégeois, est leur témoin. Leur unique enfant, Robert, naîtra le 14 mars 1933. Cette maternité difficile aboutira à une hystérectomie, deux ans plus tard. A partir de ce moment, Cécile cessera pratiquement de travailler rue Amélie, et se transformera en femme d’intérieur, recevant les relations de son mari dans le bel appartement qu’ils ont loué près du Champ de Mars.

Denoël, qui avait un cœur d’artichaut, a toujours accumulé les aventures. " Il avait, sur ce point, la moralité d’un pacha ou bien d’un roi de France : une épouse honorée, aimée et mère des enfants légitimes, une favorite interchangeable et de nombreuses houris d’occasion... " (52). Cécile supporta les incartades de son mari jusqu’en 1943. Ensuite les choses se gâtèrent tout à fait car sa nouvelle maîtresse n’était pas la première venue, et l’éditeur en paraissait fort amoureux. La séparation eut lieu en août 1944, ensuite le divorce fut décidé.

Jeanne Loviton dite Jean Voilier était une de ces femmes d’exception qu’on appelle des égéries. Outre Pierre Frondaie, elle avait connu les faveurs de Claude Aveline, Maurice Garçon, Jean Giraudoux, Robert de Billy, d’autres encore, notamment des personnalités politiques et de hauts magistrats. Elle faisait partie du Tout Paris, avait de puissantes relations, un appartement à Passy, un château dans le Lot, et pas mal d’argent.

Denoël l’avait rencontrée en avril 1943 à l’endroit même où il passa sa dernière journée : chez Mme Henri Jeanson, à la Tour de Nézant. Elle était alors la maîtresse de Paul Valéry, ce qui compliquait un peu les choses. Les lettres que l’éditeur lui a envoyées à partir de cette époque et jusqu’à septembre 1945 ne laissent aucun doute sur ses sentiments :

"C’est une douce merveille de vous aimer. Je sors de chez vous un peu titubant, la tête à l’envers, les mains chaudes de vous avoir touchée, frémissantes encore, la bouche meurtrie un peu d’avoir baisé la vôtre, mais avide encore et qui se tend vers votre cou, vers vos lèvres. Je ne quitte pas vos bras [...] vous me dites ‘Chéri’ et je me sens fondre " [avril 1943]. Dans des termes assez proches, Valéry lui avait écrit son attachement : " J’aimerais tant que tu me donnes la sensation que je t’apporte quelque chose. Je ne veux pas tout recevoir de toi, de tes yeux, de ta voix, de ta bouche et de tout, de ta nature si riche et si nombreuse" [juin 1943].

Denoël était plus exigeant que le vieil écrivain ; le 15 août 1943, il terminait une lettre ainsi : " Dis-moi que je suis toujours dans ton coeur, que tu as renvoyé la cohorte trépignante qui t’entoure et que tu es bien décidée à me donner la première place dans la fameuse ‘organisation’". Neuf jours plus tôt, Valéry avait écrit à Jeanne qu’il espérait que son séjour " au castel [de Béduez] pourra s’organiser. J’espère que nous serons bien, que nous serons seuls ". Rien à voir avec une cohorte trépignante. Valéry devait tout ignorer de cette fameuse organisation. Nous aussi, malheureusement.

Jeanne Loviton fera finalement son choix, et Denoël restera seul en lice. On a dit que cette décision avait précipité la mort du poète, le 20 juillet 1945.

Pourtant Denoël s’est montré très compréhensif et a toujours respecté les amours de son égérie. Le lendemain de la mort de Valéry, il la console dans ces termes : " je pensais que tu avais apporté à ton ami ses dernières joies. Pense à tout ce qui est perdu, mais pense aussi à tout ce qui a été créé entre vous, pense à ses tourments, mais pense surtout à l’aiguillon que tu as été pour sa pensée et pour son cœur ". Après la mort de Giraudoux, le 31 janvier 1944, il lui avait déjà écrit : " je suis tout triste de ton chagrin. J’aurais voulu être près de toi, que tu reposes sur mon épaule, tes pleurs se seraient doucement taris, j’aurais endormi ta peine."

Ce qui le tracasse le plus, en réalité, ce sont ses affaires. Depuis son départ forcé rue Amélie, il se sent " incapable, par situation, par impossibilité matérielle, de résoudre les problèmes à ta place. Mais je vois maintenant poindre le jour où tout cela va changer. Dès octobre, ta vie va prendre une autre tournure parce que je pourrai y jouer un rôle vraiment actif. Mes petites affaires seront sorties de la période préparatoire et seront en plein rendement. Quant aux tiennes, je les conjuguerai avec les miennes pour une part tout au moins et tu commenceras tout doucement à t’en éloigner pour les quitter ou, en tout cas, en secouer la servitude dans le courant 1946. A ce moment j’aurai repris un rôle actif au grand ou demi-jour, peu importe, mais le bénéfice… " [8 juillet 1945 ; photocopie caviardée].

Le 29 juillet 1945, alors que sa maîtresse se repose à Divonne, il lui demande de ne pas se soucier "de la question argent. J’ai tout réglé ici. J’emporte avec moi assez d’argent pour notre séjour. Nous règlerons ces comptes à la rentrée. Et à partir de novembre, je crois bien que la question d’argent ne se posera plus du tout entre nous. "

Durant ces temps difficiles, son fils est resté à la campagne ; de retour à Paris au cours de l’été, il voit de temps à autre son père, qui écrit à sa maîtresse : " Nous effleurons le sujet famille sans y entrer encore. Mais cela vient. Au mois de septembre ce sera chose faite".

Les Editions Denoël obtiennent en juillet 1945 le prix Goncourt , pour la première fois, avec un roman d’Elsa Triolet : " Les Goncourt ont fait coup triple", écrit Léautaud dans son Journal, "la dame Triolet est russe, juive et communiste. C’est un prix cousu de fil rouge ". Vingt mille exemplaires ont été vendus : " par conséquent ", écrit Denoël, "dirigée par des feignants la maison réalisera au moins 15 millions de chiffre cette année. C’est dire que quand tout l’orchestre fonctionnera, on l’entendra de loin. Cela me donne un vif plaisir, car je pense que dès l’heureux moment venu, tu pourras envisager notre avenir avec tranquillité. Je laisserai volontiers quelques plumes à l’opéra pour reprendre au plus vite le contrôle de mon petit théâtre personnel. " [18 juillet 1945].

Ce sont là tous les éléments que j’ai pu tirer des lettres, soigneusement caviardées, de Robert Denoël à Jeanne Loviton, qui m’ont été confiées parce qu’elles prouvaient l’attachement de l’éditeur à sa maîtresse. A l’opposé, je n’ai pu obtenir communication de la moindre lettre de cette époque à sa femme, mais peut-être n’existent-elles pas.

Que faire d’un tel dossier ? Ecouter les témoins, c’est entendre la voix de la maîtresse ou de la veuve, car chacun a pris parti pour l’une ou pour l’autre, suivant ses intérêts. Disons-le, les partisans de la veuve - et Cécile Brusson n’avait, en somme, à faire valoir que cette qualité - sont rares. Dans la jungle littéraire c’est fort mince. Une maîtresse intrigante mais bien en cour emporte tous les suffrages.

 

*

 

L’affaire serait banale si Denoël n’avait mêlé passion et affaires. Madame Loviton, juriste de formation, était une affairiste chevronnée ; si l’éditeur a compté sur elle pour renflouer sa maison, il n’est pas douteux qu’elle aura pris de sérieuses options sur les avoirs de la société. La cession de parts en blanc n’a rien de surprenant, Denoël était coutumier des blanc-seings. Tout se complique quand, après sa mort, Cécile Denoël n’a d’autre ressource que d’attaquer la validité de cette cession et affirmer que son mari avait l’intention de rentrer chez lui, ce qui déclenche des procès en cascade et met en lumière le rôle trouble de sa rivale qui, selon la plupart des commentateurs de l’époque, va faire jouer ses relations pour obtenir gain de cause.

Le poids de ces interventions politiques a sans doute été décisif. La presse note que Madame Loviton gagne ses procès quand Georges Bidault est aux affaires, et qu’elle les perd quand il les quitte. Si un hebdomadaire met en cause ses relations, elle n’hésite pas à l’assigner en réclamant des dommages astronomiques, ce qui dissuade les autres. Dans la maison d’édition où elle règne sans partage à partir de février 1946, et où Cécile Denoël n’a jamais été la " patronne ", la plupart des membres du personnel se rallient à la nouvelle direction. Seul l’irascible Auguste Picq, directeur commercial depuis juillet 1944, décide d’affronter Jeanne Loviton (sans pour autant prendre parti pour Madame Denoël) : il est promptement licencié, le 31 janvier 1948.

Les avocats de Madame Loviton ne manquent jamais de rappeler avec quel courage elle a repris une maison d’édition exsangue et tenu bon la barre pendant cinq ans. Il faut bien constater qu’à peine les derniers procès terminés, elle cède la Société des Editions Denoël à Gaston Gallimard, après avoir racheté leurs parts aux Domaines.

A la fin de sa vie, Cécile Denoël m’écrivait que sa rivale n’avait peut-être été qu’un rouage dans une organisation politico-affairiste qui se servait de son mari pour couvrir des opérations douteuses. L’éditeur en savait trop, c’était son silence qu’on voulait, sa maison d’édition n’étant que le prix accordé à une forfaiture. Elle évoquait des voyages en Suisse de son mari, accompagné d’une dame qui se disait sa femme, des fournitures de papier exceptionnelles en un temps où le papier n’était accordé qu’aux amis des amis, des capitaux qui lui passaient entre les mains pour aller remplir d’autres poches ou des comptes en banque numérotés... "Vérifiez bien ", m’écrivait un jour Robert Beckers, " tout ce que vous dit Cécile. Elle a toujours, disons, un peu ‘arrangé’ la vérité."

Pourtant, d’autres qu’elle ont échafaudé des romans. René Barjavel avait rédigé, disait-il, un récit intitulé "Les sept morts de Robert Denoël ", où il passait en revue, sur le mode romanesque, les différentes versions de ce crime non élucidé. Après la mort de l’éditeur, l’écrivain Barjavel aurait assuré à Cécile Denoël qu’il n’écrirait " plus rien jusqu’à ce qu’elle ait repris en mains la maison". C’est le même Barjavel, chef de fabrication rue Amélie, qui allait identifier, en 1950, l’écriture de son " patron et ami" figurant sur l’acte de cession de ses parts aux Editions Domat-Monchrestien - écriture contestée par sa veuve depuis quatre ans. Mais d’autres virages byzantins eurent eu lieu dans le cabinet du juge d’instruction.

A la Libération, Bernard Steele courait, dit-on, les cafés à la mode vêtu d’un uniforme de colonel de l’armée américaine, mais il ne rêvait nullement quand il déclara à Robert Beckers que " Denoël était mort comme il avait vécu, en gangster ", avant que l’autre ne le mette à la porte. Steele avait revu Denoël plusieurs fois au cours des semaines qui avaient précédé sa mort et il était probablement au courant de certaines de ses affaires.

Paul Vialar, qui, avec Georges Bidault, avait "accompagné de Gaulle descendant les Champs-Elysées", et occupé l’appartement de Denoël "pour qu’il ne fût pas occupé comme il le craignait par quelque résistant au petit pied", avait à l’époque demandé à ses amis résistants si le meurtre de l’éditeur ne serait pas une exécution : "Tous ont haussé les épaules ". Pour lui, cette mort ne doit rien aux idéologies ; Denoël "a été abattu par un déserteur de l’armée américaine". A ses yeux, il n’est pas d’autre version plausible. Une lettre que lui adressait Denoël le 18 juillet 1945 ne lui laisse pas le moindre doute sur les sentiments et les projets de l’éditeur : "J’ai gagné la difficile partie ou plutôt Jeanne l’a gagnée pour moi. Il ne s’agit plus que d’attendre le vent favorable pour faire voguer le bateau. Et j’ai l’impression qu’avec l’escorte du Voilier, il va faire une course fastueuse. " D’autre part il avait vu Denoël quarante-huit heures avant sa mort, rue de l’Assomption, où on avait parlé de se rendre le dimanche soir au spectacle d’Agnès Capri. Ce jour-là les deux hommes s’étaient promenés dans Paris à bord de la vieille voiture de l’éditeur, "dont l’un des pneus avait rendu l’âme et que nous avions dû réparer ". Paul Vialar en rajoutait peut-être un peu, mais une partie de son oeuvre a été publiée aux Editions Domat-Monchrestien, et Jeanne Loviton est une de ses amies de jeunesse.

Maximilien Vox, nommé administrateur provisoire des Editions Denoël le 20 octobre 1944, raconte dans ses mémoires (inédits) que cette nomination lui avait été quasiment imposée : "L’ordre venait de Gabriel Le Roy-Ladurie en personne, qui tenait par-dessus tout à savoir en bonnes mains les intérêts (légitimes) d’une personne de son entourage - qui se trouvait être la meilleure et plus chère amie de Robert Denoël." Je ne crois pas que Vox se trompe. Le Roy-Ladurie était le fondé de pouvoir de la banque Worms, auprès de laquelle Denoël espérait obtenir un prêt important, mais je doute que Jeanne Loviton ait investi le moindre argent dans l’affaire Denoël en 1944. Le temps impose souvent à la mémoire certains télescopages, d’autant que l’imprimeur continue ainsi : "Mon erreur fut d’imaginer que l’on puisse, dans une pièce policière, jouer à la fois le rôle du témoin et celui du juge d’instruction... "

 

*

 

J’en étais là dans mes recherches, il y a bien des années, quand je m’avisai que j’ignorais où se trouvait le corps de Robert Denoël. En dix ans d’investigations, il ne m’était pas venu à l’esprit de poser cette question à qui que ce fût, preuve peut-être que l’œuvre a éclipsé l’homme et que son existence terrestre n’a plus guère de sens, sauf pour ses proches. Justement sa veuve venait de mourir, le 20 janvier 1980, et son mari m’écrivait que Cécile reposait dans " un paysage qu’elle aime, presqu’en pleine campagne, dans un très petit cimetière à flanc de colline; elle a, comme elle le souhaitait, la tombe la plus simple qui soit".

Quand j’évoquai celle de Denoël, je reçus cette réponse de Maurice Bruyneel : "Aussi bizarre que cela puisse sembler, nous ignorons, Robert junior et moi, où elle se trouve exactement. Pour nous le corps physique n’a qu’une importance très secondaire lorsque l’âme l’a quitté. Il est possible que Denoël soit enterré au cimetière Montparnasse. " Dans un post-scriptum, il me faisait savoir qu’il venait de retrouver une lettre du service municipal des Pompes funèbres de Paris, datée du 1er avril 1953, adressée à Mme Denoël, lui apprenant qu’elle pouvait acheter une concession dans le cimetière Montparnasse : "Je ne sais plus ce que nous avons fait, mais je pense qu’en huit ans, nous lui avions sans doute trouvé une autre place que le caveau provisoire "...

Je m’informai au cimetière du Sud-Montparnasse. Robert Denoël était resté dans son tombeau provisoire jusqu’au 10 avril 1973, date à laquelle, "sur décision administrative", ses "restes ont été transférés dans une tranchée gratuite au cimetière de Thiais ". Le fonctionnaire me confirmait dans la même lettre "que les mises en demeure adressées au signataire de la demande d’inhumation sont restées sans effet."

Il n’y avait rien de commun entre la mort de Cécile Denoël, sa petite tombe discrète à flanc de colline, et le charriage, sept ans plus tôt, des "restes" de son mari dans une fosse commune de Thiais mais, je ne sais comment, le sentiment que j’avais été quelque peu empaumé s’installa dans mon esprit.

Jeanne Loviton ignorait, elle aussi, où se trouvait la tombe de son amant. Je le lui appris et j’eus droit pour le coup à une grande scène de détresse rétrospective. C’en fut trop. Je flanquai tout ce dossier dans un tiroir. J’étais un provincial, je le suis resté.

 

*

 

Quand on prend connaissance des éléments de cette curieuse affaire (53), on ne peut s’empêcher de se poser des questions que le jugement de 1950 a occultées. Céline, par exemple, n’y va pas par quatre chemins dans sa correspondance ; il voit en Jeanne Loviton "une probable assassine " (54), "jupitérienne en certains milieux troubles " (55), et ces milieux ne peuvent être que juifs : "j’ai l’idée que ce sont eux avec la mère Voilier complice qui ont buté Bobby. Très dangereux gang" (56). Il ne manque jamais d’évoquer "ses talents archi connus de lesbienne consacrée par le Tout Paris" (57), pourtant il ne paraît pas avoir entendu parler de Jeanne Loviton avant la mort de son éditeur, ce qui ne l’a pas empêché de l’insulter dans ses lettres d’exil et jusque dans ses romans où elle figure sous les noms de "mère Cascamèche", "Marquise Fualdès", ou "Madame Thérèse Amirale, tôlière, fée maligne aux Invalignes" (58).

"Aux Invalignes", tout reposa sur un seul témoignage, validé par l’ordonnance de non-lieu rendue en juillet 1950. Proposer une autre version, c’est le remettre en cause. En privé, Auguste Picq jurait ses grands dieux que l’assassinat était prémédité, et que Denoël connaissait fort bien ses agresseurs puisqu’ils se trouvaient, disait-il, dans la Peugeot. Et ce ministère duTravail, où circulent un dimanche soir deux "employés " qui découvrent l’assassiné... "Picq l’aspic", comme l’appelait Céline, était peut-être de parti pris. J’ai pourtant entendu d’autres proches de l’éditeur, qui avaient leur idée sur ce meurtre, notamment à propos d’une porte dérobée dans le jardin du ministère du Travail, qui se trouve sur le boulevard des Invalides, et qui aurait permis aux agresseurs de s’éclipser. Des noms m’ont été suggérés, qui ne sont pas inconnus du public. Je possède des plans, des photographies de cet endroit... Simenon, j’en suis persuadé, en aurait tiré un roman palpitant. Pour ma part, j’ai renoncé à démêler les fils peu catholiques de cette ténébreuse affaire. C’est peut-être le Diable qui est derrière.

Je me suis interrogé longtemps sur l’héritage de Denoël. Qu’aura gagné Mme Loviton, à part le sobriquet de marquise Fualdès, qui lui restera ? Elle a racheté les parts de l’éditeur à leur valeur nominale, 500 francs, pour les revendre cinq ans plus tard deux fois plus cher, mais la monnaie française n’a cessé de perdre de sa valeur entre 1945 et 1951, et on ignore à quel prix elle a racheté leurs parts aux Domaines et à Yvonne Dornès. Les 2990 parts qu’elle détenait en 1951 ont été rachetées 2.990.000 F. Combien lui auront coûté tous ses procès ?

 

*

 

Tout cela nous ramène à un anniversaire que personne ne songe à commémorer. La biographie de cet éditeur hors normes reste à écrire. Personnellement, j’ai assez donné. A vingt ans, j’ai suivi à la trace un homme qui m’échappera toujours, je le sais bien. Parfois les mots de Bernard Steele me reviennent, qui disait que Robert Denoël était mort comme il avait vécu, "en gangster". C’est sans doute ce sentiment qui prévaut dans son imposante famille liégeoise, laquelle, aujourd’hui encore, veut ignorer cet aventurier qui perpétuera son nom bien plus sûrement que les notables qui la composent.

Il me passe encore des rages, je l’avoue, à propos de personnes que j’ai côtoyées durant ces années-là. Des indélicatesses ont été commises. J’ai des amitiés mortes sur les bras. Le temps s’en charge. Ma vie est ailleurs.

De temps à autre, je me demande, et ne cherche jamais à connaître la réponse : quelle pièce proposait Agnès Capri dans son théâtre de la rue de la Gaîté à Montparnasse, le dimanche 2 décembre 1945 au soir ?

Notes


22. ***. "Quatre ans après, le mystère de la mort de l’éditeur Robert Denoël sera-t-il un jour éclairci ?", Détective, novembre 1949 ? J’ignore si l’article a réellement paru : Maurice Bruyneel ne m’en a transmis qu’une copie dactylographiée.
23. Dans un écho du 3 décembre 1949 intitulé " Un secret bien gardé ", Combat avait déjà annoncé que la Préfecture de police " possédait un dossier gardé secret et susceptible de faire rebondir l’affaire sur le plan de la justice répressive ", ce qui lui avait valu une lettre de Mme Loviton où elle annonçait qu’à la suite de cet article, elle avait chargé son avocat de saisir le Procureur général : " Celui-ci a répondu que M. le Préfet de police avait fait connaître au Parquet de la Seine que ses services ne possèdent aucun document inédit et n’ont appris aucun élément nouveau à propos du meurtre de Robert Denoël " (Combat, 7 janvier 1950).
24. ***. " L’Affaire Denoël restera l’énigme n° 1 du demi-siècle ", La Presse, 22 janvier 1950.
25. Le Cri de Paris, 28 janvier 1950.
26. ***. " L’Assassinat de Denoël ", Juvénal, 24 mars 1950.
27. Georges Gherra : " Une Enigme digne d’un roman policier : l’éditeur Denoël, assassiné le 2 décembre 1945, aurait été victime d’un crime d’intérêt ", France-Soir, 2 avril 1950.
28. Journal ou hebdomadaire non identifié.
29. Lettre des 27 et 28 octobre 1945, in : Lettres à Marie Canavaggia. Tusson, Ed. du Lérot, 1994, II, p. 242.
30. Lettre de Max Jacob à Robert Denoël, 31 décembre 1943 (collection Jeanne Loviton).
31. Jean de Bosschère. Portraits d’amis. Paris, Ed. Sagesse, 1935.
32. D’un château l’autre. Gallimard, 1957, p. 15.
33. Lettre à Roger Martin du Gard, 13 octobre 1929 (collection Pierre Bardel).
34. Lettre au même, 5 février 1930 (idem).
35. Lettre à Marie Canavaggia, 10 mai 1948 ; op. cit., II, p. 106.
36. Philippe Hériat. Retour sur mes pas. Namur, Wesmael-Charlier, 1959.
37. Témoignage écrit, octobre 1979. Il a illustré en 1944
l’Hôtel du Nord.
38. Témoignage écrit, mai 1976.
39. Robert Poulet. " Robert Denoël ", Ecrits de Paris, juin 1979.
40. Jeannine Bouissounouse. " Comment travaillent nos éditeurs : chez Robert Denoël ". Toute l’Edition, 19 février 1938.
41. Elsa Triolet. Préface au Cheval blanc, Gallimard, collection " Folio ", 1966.
42. Paul Vialar. Témoignage écrit, janvier 1980.
43. ***. " Robert Denoël, découvreur de talents et lanceur de chefs-d’œuvre ", Voilà, 27 novembre 1942.
44. Georges Champeaux. " M. Denoël ", Les Annales politiques et littéraires, 25 juillet 1936.
45. Lettre à l’auteur, 25 avril 1978.
46. Lettre à l’auteur, 11 mai 1978 et 27 juillet 1979.
47. Lettre à l’auteur, 26 mai 1980.
48. Lettre à l’auteur, 25 octobre 1979.
49. Lettre à l’auteur, 18 novembre 1979.
50. Cette date, qui ne faisait aucun doute pour Cécile, est contredite par plusieurs lettres de Robert Denoël, qui écrivait en juin 1927 à Mélot du Dy : "J’ai revu à Liège une jeune fille que j’aimais depuis quatre ans ", et à Victor Moremans, en octobre 1927: "Elle s’appelle Cécile, nous nous aimons depuis quatre ans ". Denoël a publié, à partir de septembre 1924, plusieurs contes sous le pseudonyme de Robert Marin, peut-être en hommage au champion de lutte liégeois Constant-le-Marin, l’oncle de Cécile.
51. Lettre à Champigny, août 1927.
52. Souvenirs de Cécile Brusson, dans : Albert Morys [Maurice Bruyneel]. "Cécile ou une vie toute simple ", récit inédit (1982).
53. Toutes les pièces que j’ai rassemblées sur l’affaire Denoël ont été déposées en 1982 à la défunte BLFC, place Jussieu, Paris 5e, où elles étaient disponibles sur simple demande. Je suppose qu’elles ont été transférées depuis à l’IMEC, rue de Lille, Paris 7e, puisqu’un dénommé Pierre-Edmond Robert les a utilisées, sans le dire, dans son essai paru en 1991: Céline & les Editions Denoël .
54. Lettre à Marie Canavaggia, 25 [septembre 1947], op. cit., I, p. 429.
55. Idem, 25 [septembre 1947], op. cit., I, p. 431.
56. Idem, [21 mars 1948], op. cit., II, p. 70.
57. Idem, 6 [janvier 1948], op. cit., II, p. 12.
58. On ne devrait, avec Céline, jamais sous-estimer certaines maladresses qui peuvent le heurter définitivement chez un correspondant. Ainsi Mme Loviton, qui lui écrit, le 14 janvier 1948, qu’elle voit en un curieux tableau "les Editions Denoël, tête basse, menottes aux poignets, et, dans le dos, frappé en gros caractères sur leurs vestes de prisonniers : votre nom " [L’Année Céline 1990. Ed. du Lérot, 1991 p. 25], a toutes les chances de se rappeler à son plus mauvais souvenir. Cette lettre ne manquait pourtant pas de bon sens, notamment pour ce que Denoël avait dû subir à cause de Céline et de Rebatet, mais la gaffe était commise, irrémédiablement.

Première Partie