Les fictions du désastre ou l'art de la survie dans l'œuvre de Louis-Ferdinand Céline,
par Jean-François Duclos.

Travail de doctorat (Ph.D) soutenu en mai 2000 à l’Université du Minnesota, USA.

Résumé

Ce travail s’interroge sur la notion de désastre dans l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, et en particulier dans ce qu‘à plus d‘un titre on pourrait appeler le ‘cycle des bombes‘, ce dernier regroupant, en plus de la trilogie finale, les deux volumes de Féerie pour une autre fois. Afin de rendre compte des enjeux de l’écriture liés à ce thème, trois axes de réflexion ont été privilégiés.

 

Le premier concerne la persistance de l’image du déluge dans l’ensemble de l’œuvre célinienne. Pluies véritables, pluies de bombes, voire de papier lorsque, comme dans Normance, des milliers de pages manuscrites se dispersent autour de l’auteur : le déluge, qui est l’état le plus abouti de la catastrophe, se développe pour signifier la condition incertaine de l’Homme face à la nature, à l’Histoire et à lui-même. En cela, Céline reprend les termes d’un débat qui, comme chez Freud, remet en cause l’idée de progrès. Le ‘malaise’ se mue chez l’auteur de Voyage au bout de la nuit en une rage impuissante qui fait de la figure de Noé celle d’un observateur incongru, ne pouvant, en fait de salut, que se sauver lui-même, au prix d’un abandon de toutes le vertus sociales et collectives. Au lieu ou en plus de faire de l’arche un instrument de ce salut théorique, Céline propose de saturer son écriture d’indications faisant du monde un espace anarchique.

 

Le second axe de réflexion analyse la manière dont l’écriture tâche de se sauver de ce désastre qui, à chaque instant, menace d’emporter aussi bien l‘auteur que son lecteur. Car en mimant la catastrophe par les moyens du style (la phrase célinienne, littéralement, explose et s’atomise) le récit risque bien de se retrouver lui-même près de l’éclatement. Il est en effet difficile de se retrouver dans un texte qui, à tout instant, affirme et revendique sa perte. En remettant en cause la paisible logique du roman ; en détournant le temps, l’espace, la syntaxe et le lexique propres à rendre compte d’un ordre dans le monde, Céline se donne aussi pour tâche de ‘faire tenir’ son récit par d’autres moyens. L’étude précise de quelques uns de ces ‘passages’ (le mot ‘arche’, l’usage du vélo) montre qu’au-delà ou en deça des catastrophes vécues et relatées par l’auteur, se développe de façon aussi discrète que persistante tout un réseau d’images et de mots propres à sauver la conscience de l’écrivain d’un complet désastre.

 

Enfin, ce travail tente de reprendre et de prolonger les analyses sur le statut du narrateur tel qu’il est, avec force, décrit par Céline lui-même. Si ce dernier se définit comme une sorte de Noé face à la catastrophe du monde et comme un anarchiste, il faut se demander à quel type de Noé, et surtout à quel type d’anarchiste le lecteur a affaire. Et il convient, sans doute, de réfuter le sens commun de ces deux termes, pour, en place, s’attarder sur la relation fondamentale que Céline entretient avec l’idée de solitude et la réalité tangible de la mort. La mort, à la cause de laquelle la vie semble acquise, explique la vision de Céline sur le monde. L’écriture du désastre, reprend , en plus du désastre, l’ensemble des forces qui, tout à la fois, luttent pour la destruction du monde et pour le salut de l’écriture.

 

 

Jean-François Duclos