Atelier de Gen Paul
2, Avenue Junot – Paris 18ème

Photos : Willy Viez

    La première chose qui frappe est la petitesse du bâtiment, écrasé, dominé par les imposants immeubles se dressant tout autour. Une plaque, scellée sur le mur, entretient le souvenir du peintre de Montmartre : " Eugène Paul dit Gen Paul, artiste peintre et graveur français a vécu et créé dans cette maison de 1917 à 1975 ". Atelier Gen PaulIl faut pousser une petite grille pour pénétrer dans la cour. D’ici, on aperçoit sans mal les fenêtres du cinquième étage de l’appartement du 4 rue Girardon…
       L’atelier, devenu salle d’exposition, se situe au rez-de-chaussée et respire encore d’une certaine folie. Deux reliques d’un autre temps trônent dans le fond de la pièce étriquée. Ce sont le chevalet et la palette de Gen Paul, témoins de cinquante années d’une vie consacrée à la peinture. Le chevalet est souillé par les éclaboussures et les dégoulinades, œuvre se suffisant à elle-même pour illustrer la fougue de l’artiste au travail. La palette, qui était à l’origine une table basse de bistrot, est maculée de couches de peinture, étrange mélange bigarré, anarchique et apocalyptique.

" Popol c’est un vieux Montmartrois, il est pas venu de sa Corrèze, pour découvrir le maquis. Il a été préconçu dans les jardins de la Galette, un soir de 14 juillet, c’est le Montmartre " de ses moins de neuf mois ". Alors c’est un " pur de pur ". Je sais qu’il aime bien le bourgueil, je lui en monte un petit flacon, question de le mettre en bonne humeur. Je veux qu’il me cause ! Il est peintre, c’est tout vous dire, au coin de l’impasse Girardon. Il barbouille quand il pleut pas trop, quand il pleut trop, ça devient trop sombre dans son atelier. Quand il fait beau par exemple, on est alors bien mieux dehors, sur le banc de l’avenue Junot à regarder les petits oiseaux, les petits arbres comment qu’ils poussent, qu’ils se dépêchent pour pas crever, du mazout. On prend le soleil comme des vieux piafs. "

Bagatelles pour un massacre, p. 56.

 

   Sur le mur, une impressionnante photographie montre Gen Paul jouant de la trompette " Chez Pomme ", restaurant de la rue Lepic, entouré par l’orchestre de la bande de Montmartre. L’un des mauvais garçons de la Butte, le grand mutilé de la première guerre resté unijambiste, La plaque d'incendiel’alcoolique au verbe haut et au caractère irascible, incarne désormais la figure emblématique et incontournable des artistes montmartrois. Il paraît que le gérant d’une galerie voisine, propriétaire d’un grand nombre de toiles, propose les peintures de Gen Paul à un prix exorbitant pour être sûr de ne pas les vendre…

    Comme quelques autres, Gen Paul détient le malheureux privilège d’être devenu un personnage des romans de Céline. Les excès de l’écrivain ont précipité la brouille entre les deux hommes en même temps qu’ils ont fait du peintre un immortel. Dans le confinement de l’atelier, on évoque plus volontiers, plus spontanément en tout cas, la mémoire de Marcel Aymé que celle de Céline. On se plaît pourtant à rappeler le dévouement d’un certain docteur Destouches qui habitait sur le trottoir d’en face durant la guerre et qui a fui en 1944… Avenue Junot, le souvenir de Gen Paul a supplanté celui de Céline et la peinture a définitivement pris le pas sur une certaine idée de la littérature…

 

" Il demeure au coin des *Brouillards*, vous voyez la petite bâtisse… il a le premier, tout le premier, et le rez-de-chaussée… Oh ! sûrement il est pas seul, il a ses modèles, pas un seul modèle, deux trois quatre… faut voir tout ça sur son divan… et pas des blèches ! Des mutines, des boutons de printemps. " Jamais au-dessus de vingt piges ", il dit… l’exigence. "

Version B de Féerie pour une autre fois, p. 975.