Photos : Willy Viez
Lentrée se situe à lextrémité dun chemin poétiquement baptisé « sentier du cimetière ». Le calme dominical, dans cette banlieue parisienne huppée, rend le lieu aussi triste quapaisant. Une petite porte métallique est entrouverte. A lintérieur, quelques panneaux renseignent sur les concessions achetées ou mises en vente. Aucun indice ne laisse supposer que Louis-Ferdinand Céline repose dans cet endroit. Pas plus de six personnes arpentent les allées de gravier et le bureau du gardien est fermé. Les bruits montant de la capitale perturbent à peine la solennité du cimetière, ultime butte célinienne.
La dalle, de couleur sable, est en granit breton. Une croix est gravée en haut à gauche. Dessous, un trois-mâts, toutes voiles dehors, semble aller de lavant, bravant ironiquement les tempêtes encore et toujours soulevées par le romancier, éternel amoureux de la mer et des horizons lointains. Le nom de Louis-Ferdinand Céline écrase celui du docteur Destouches. Lécrivain fait de lombre au médecin des pauvres et des enfants, mais tous deux ont apparemment trouvé le silence et la paix. Plus de ces trains traversant le crâne de Ferdinand, juste la timide ligne de chemin de fer quelques mètres plus bas.
« Le Panthéon ? Soit ! Jaccepte ! la rhonoration officielle ! assez déshonoré vivant ! ma rue ! mon avenue ! Oh mais attention ! pas tout seul ! Altruiste, ma loi ! je veux encore deux millions dautres rues pour deux millions dhéros 14 ! et inaugurées en gaieté ! Gaieté ma force ! »
Féerie pour une autre fois, p. 69 (Bibliothèque de la Pléiade).
Sur la dalle, de nombreux galets polis par locéan et la pierre de Bretagne, déposée il y a trente-sept ans par les soins de Lucette, rappellent encore et toujours la mer.
Ferdinand attend Lili. Le docteur espère sa danseuse, Lucette Destouches née Almansor
Céline sest toujours imaginé quil serait enterré au Père-Lachaise et quil rejoindrait le même caveau que ses parents. Le destin en a décidé autrement. Meudon la timidement adopté.
La confidentialité de lendroit finalement qui sait que Louis-Ferdinand Céline est enterré à Meudon ? charrie lémotion légitime inhérente aux grands hommes. Sous cette pierre dort lauteur de Mort à crédit Les polémiques séteignent, les fleurs se fanent et la discrétion de la sépulture est à limage de ce que lon a voulu que Céline devienne. Une tombe à lécart du monde des lettres, à labri des regards, dans une allée anonyme qui le restera longtemps encore « Quon nen parle plus »
« Il mavait fait promettre de ne pas appeler de médecin quand le moment viendrait. Jai tenu parole. Mais je nai pas compris tout de suite quil était mort et je lui ai fait du bouche-à-bouche pendant trois heures. Après, je ne savais qui prévenir. Javais peur. Nous avions tant dennemis ! Le curé de Meudon na pas voulu venir. Céline souhaitait être jeté dans la fosse commune. Mais je nen ai pas eu le courage. Jai mis sur sa tombe une petite pierre de Bretagne, son pays. »
Entretien de Lucette Destouches avec Gabrielle Rolin, Les Nouvelles Littéraires, 6 février 1969.