Passage Choiseul
Le deuxième arrondissement pourrait
sapparenter sans mal au cur de la capitale. Cest là que sont
implantées les maisons mères des banques, là quest érigée la Bourse. Coincé
entre ces glorieux édifices, le Passage Choiseul
Nul doute que Céline, en le
rebaptisant Passage des Bérésinas, ait désiré accentuer le fossé entre deux univers
qui se côtoient et signorent. Lironie du sort veut quà quelques pas de
lentrée du Passage se trouve le restaurant « Drouant ». Avant lattribution de
chaque prix Goncourt, les membres du jury sy réunissent puis annoncent, depuis le
perron, le nouveau lauréat. Une telle coïncidence prête forcément à sourire
Il y a quasiment un siècle que Louis Destouches a foulé pour la
première fois le sol du Passage Choiseul. Limpression étrange que presque rien
na changé depuis ce temps est saisissante. On pénètre à lintérieur comme
dans un tunnel. Des grilles métalliques sont enroulées sur elles-mêmes à hauteur de
chaque porte. Si lon emprunte lentrée débouchant rue du 4 septembre, on peut
admirer un imprimé fatigué, sous verre, exposant le « Règlement intérieur du
Passage Choiseul ». En se penchant un peu, on découvre une borne présentant
lhistoire de Paris. En conclusion de ces quelques lignes consacrées au Passage, il
est écrit que « lenfance de Louis-Ferdinand Céline sécoule au 67 puis
au 64 ». La mairie de Paris fait preuve de plus de clémence et de mansuétude quand
il sagit du petit Louis que quand il faut affronter les colères soulevées par
lambigu Ferdinand. Cette borne constitue lunique indication officielle
concernant Céline
Maigre consolation quand on sait que pour lui rien ne sest
véritablement « écoulé » mais que tout sest subi.
« Pour parler de notre Passage Choiseul, question du quartier et dasphyxie : le plus pire que tout, le plus malsain : la plus énorme cloche à gaz de toute la Ville Lumière ! trois cents becs Auer permanents ! lélevage des mômes par asphyxie ! »
Dun château lautre
« Moi, jai été élevé au passage Choiseul dans le gaz de 250 becs déclairage. Du gaz et des claques, voilà ce que cétait, de mon temps, léducation. Joubliais : du gaz, des claques et des nouilles. Parce que ma mère était dentellière, que les dentelles, ça prend les odeurs et que les nouilles nont aucune odeur. »
Cahiers Céline 2, p. 62
La peinture couvrant les façades des appartements,
dun beige passé, est fissurée. Ici et là, quelques moisissures ornent les murs
lézardés. Les personnes qui traversent ce couloir paraissent pressées de retrouver
lair libre au plus vite. Chaque parole échangée, chaque bruit de pas résonne,
monte et sécrase contre la verrière souvrant sur le ciel. La lumière
nest pas tout à fait celle du jour, pas tout à fait artificielle.
Au 67, sont installées les loges des comédiens du théâtre des
Bouffes Parisiens. Derrière la vitrine du numéro 64, on vend désormais des vêtements.
Ici, on a évidemment entendu parler de Louis-Ferdinand Céline, mais il est hors de
question de laisser quiconque emprunter lescalier en tire-bouchon menant
jusquau troisième étage. « On a même refusé pour la Bibliothèque
Nationale en 94, alors
Ce serait un constant va-et-vient
On a les bureaux
là-haut
On travaille nous
»
Inutile de tenter dexpliquer à quel point Céline a uvré
pour la postérité du Passage Choiseul, même lorsquil ironisait dans certains
entretiens sur le fait que lon puisse voir en lui lécrivain censé
l« incarner ». Aucun des lecteurs de Mort à crédit ne peut
déambuler dans cette artère sans entrevoir Ferdinand, sans entendre les fureurs
dAuguste, sans éprouver loppression de la « cloche à gaz ». Les
becs déclairage et les chansonniers ont disparu mais luvre est restée,
intacte, vivante. Depuis 1936, aucun écrivain na osé supplanter la vision
célinienne du Passage, et il est fort à parier que cela dure de très longues années
encore
« En haut, notre dernière piaule, celle qui donnait sur le vitrage, à lair cest-à-dire, elle fermait par des barreaux, à cause des voleurs et des chats. Cétait ma chambre, cest là aussi que mon père pouvait dessiner quand il revenait de livraisons. »
Mort à crédit
« [ ] moi quai vécu Passage Choiseul, dix-huit ans, je my connais un peu en sombres séjours ! »
Dun château lautre