Céline dansé en Hollande
(janvier 1997)

    En septembre dernier, le chorégraphe hollandais Hans Tuerlings a présenté à Amsterdam le quatrième volet de son adaptation de Voyage au bout de la nuit, «De reis van Céline's Bardamu» ( Le voyage du Bardamu de Céline ). Le quotidien NRC en a rendu compte le 25 septembre dernier.

 

    Un absurde « blabla » de mouvements… S'il existe quelqu'un pour en avoir eu l'idée, c'est bien Louis-Ferdinand Céline. C'est en 1945 qu'il introduit dans le vocabulaire le terme « blabla » pour designer l'emploi d'une série de mots pour ne rien dire. Peu d'écrivains ont aussi passionnément méprisé les humains et l'absurdité qui s'en dégage que Céline : dans son premier roman, Voyage au bout de la nuit, son personnage principal Bardamu ne rencontre que la saleté d'un monde qui ressemble à une porcherie.

    Le chorégraphe Hans Tuerlings, fort marqué par ce roman, s’en est inspiré pour réaliser en quatre ans les quatre volets de son ballet. Apres les scènes assez anecdotiques du Voyage qui évoquent les aventures européennes de Bardamu au cours de la Première Guerre mondiale et du Voyage 3 qui évoque son séjour en Amérique, c'est l'année dernière qu’a été monté le Voyage 2 : sans peau et sans arêtes. Dans cette partie de son œuvre qui évoque les pérégrinations de Bardamu en Afrique, Tuerlings avait réalisé son idée de faire apparaître l'esprit du livre comme un coup de marteau qui résonne pendant que le mouvement salit l'anecdote. Avec seulement un tapis en sisal et quatre danseurs assis qui semblent s'ennuyer à regarder devant eux.

 

    Voyage 4 : Ça va pas… met un remarquable point final à l'entreprise de Tuerling Bardamu est arrivé dans la banlieue parisienne. On retrouve ici les mêmes ingrédients que dans Voyage 2 : une scène dépouillée, uniquement décorée cette fois de rideaux vert-poison : les vêtements noirs de bonne coupe ; et ce danseur qui joue pitoyablement à contretemps puisqu'il est nu. Et, par-dessus tout, le ravissant regard triste des danseurs — avec de-ci de-là comme un petit sourire arrogant d'un danseur l'autre.

    Mais le Voyage 4 contient plus de mouvement que la dernière partie. La danse est bien ici le point de départ du spectacle, source d'inutilité et, en même temps, comme une forme de consolation.

    Chaque partie du spectacle est amenée par un classique maintien à une barre de ballet imaginaire. Suit alors une série de pas circonspects dont tout superflu a été supprimé. Ils n'en sont pas moins exécutés avec une superbe indifférence. Les danseurs agissent chacun pour soi de manière à sembler s'en ficher royalement. Ensuite ils gagnent prétentieusement les coulisses ou fixent encore le spectateur avec désapprobation. Les danseurs se reprennent encore et encore ; la même série de pas se renouvelle avec d'autres distributions — et est à nouveau brisée avec un regard imperturbable. Blabla des mouvements qui ne mènent à aucune issue — tout ceci est clair.

    Cela devient franchement risible quand on fait intervenir la musique de Serge Gainsbourg de la même manière. Son Je t'aime moi non plus nous est d'abord présenté dans une version à l'orgue, ensuite dans sa forme primitive puis, pour finir, à la guitare électrique. Il s'agit de vaines tentatives de faire donner quelque sens au monde pourri de Céline par des halètements de bonniche.

    Louis-Ferdinand Céline considérait la danse comme une consolation de beauté. Il a crée des ballets pour conjurer la réalité de la décadence ; mais personne n’a voulu les mettre en scène. Pour servir sa danse par un exquis morceau, Tuerlings provoque toujours dans Voyage 4 un certain soulagement. Mais le mouvement est tellement concentré que l'arrière-goût reste aussi amer que Céline.

 

Margriet OOSTVEEN

(Traduction Ivan de Duve)