" Tu vas voir comme je vais bien taimer " : une mise en scène de Louis Dieuzayde daprès Mort à crédit. Nous reproduisons ici larticle paru dans le quotidien La Marseillaise.
Pour qui a eu vingt ans dans les années
quarante, il demeure difficile démettre sur Louis-Ferdinand Céline une
appréciation objective. Lhomme était une ordure au point den paraître
pitoyable, mais lécrivain demeure un génie unique. Sil y a, dans ses
comportements et ses jugements, trop daspects impardonnbles, luvre,
bouleversante, aura exercée, pensée, vocabulaire et syntaxe à lappui, une
influence déterminante sur lexpression littéraire de tout ce qui laura
suivie.
Sans doute quil vaut mieux, pour toute une partie de cette
uvre, laisser du temps au temps. Il nempêche que des livres comme Voyage
au bout de la nuit et Mort à crédit, fragments dune autobiographie
dérisoire, scatologique, où le foutre, la merde revêtent les irisations du cristal, se
prêtent singulièrement à être proférés, transformés en théâtre.
Le premier, Fabrice Lucchini a eu le courage de tenter sur le Voyage
lexpérience en solo ( et ce fut dabord à Marseille, dans une minuscule salle
du Cours Julien, avant que le succès le catapulte sur les Champs-Elysées). Voilà
quau Théâtre de Lenche, Louis Dieuzayde délègue à une comédienne, Laurence
Janner, et à deux comédiens, Yann Jaouen et Olivier Picq, la mission de donner en
spectacle comme une synthèse de Mort à crédit.
Synthèse nest peut-être pas le terme juste. En fait,
dans son adaptation, Dieuzayde opère un choix dans les déchets somptueux d'une
confession, épisodes d'enfance, initiation sexuelle, sordide ( le titre Tu vas voir
combien je vais bien t'aimer est tiré de cette séquence ), séjour dans une pension
crasseuse et, un peu à la façon de César le sculpteur avec les déchets d'usine, il en
donne une "compression". Il n'essaie pas d'inventer des dialogues qui seraient
trahison. Point d'artifices scéniques non plus.
Les comédiens se déplacent peu, évitent les gestes. Les voix
altèrnent comme dans un rituel. Il appartient au spectateur ( et c'est très
intelligemment fait ) de répartir à tout moment les rôles. Cela fonctionnne avec
efficacité, dans le volontaire effacement des interprètes. On découvre ici le vrai
Ferdinand, le pauvre et magnifique Docteur Destouches, tel qu'en lui-même, dans toute la
dérision de son orgueil, mais aussi d'une tendresse qui se voulut ou qui se crut
bafouée.
Jean BOISSIEU, La Marseillaise, 25 février 1999.
Au Théâtre de Lenche, à Marseille.