Un "grand jeu" tragique
Je nai vu Céline quune fois, dans sa maison de Meudon,
dans le cadre que tout le monde connaît et a décrit, et il ma donné cet entretien
¹ dune traite, sans quil y ait eu un réel contact entre nous.
Tout ce que je puis dire, cest que jai été éblouie par
sa virtuosité, sa maîtrise verbale il ny a pratiquement pas eu un mot à
changer quand jai transféré son discours de loral à lécrit un
peu étonnée aussi de ce qui pouvait apparaître comme un "délire",
cest-à-dire une répétition de certains thèmes, une insistance à voir arriver le
cataclysme et à se mettre lui-même comme à lécart des autres tout le
reste du monde étant des "autres", ses interlocuteurs y compris. Sans doute y
avait-il là dedans beaucoup de jeu, un "grand jeu" tragique qui avait fini par
lenglober et le dépasser lui-même. Comme disait Jean Cocteau : " Ces
mystères nous dépassent, feignons den être les organisateurs... " Cest
un peu le sentiment que mavait donné Céline, il "feignait" den
savoir plus long, de voir plus loin que les autres...
Quant à lhomme quil y avait là-dessous, mon bref contact
dune heure et demie avec lui, où il a parlé sans arrêt et sans presque laisser la
place à une question ou une interruption, ne ma pas permis de le saisir ou de le
pressentir. Je sais quil avait des amis qui lestimaient beaucoup et même
laimaient, comme Roger Nimier qui était aussi mon ami et par lequel jai eu
accès à Céline et qui même mavait donné lenvie de solliciter ce
rendez-vous et cet entretien. Lun des premiers à paraître dans la presse après
son "retour dexil". Je sais aussi que nous avions un autre point commun,
qui nest pas sans importance : il aimait beaucoup les chats. Pour le reste...
Madeleine CHAPSAL
1. "Voyage au bout de la haine... avec Louis-Ferdinand Céline", LExpress, 14 juin 1957.