Céline à la librairie Tschann

 

    J'ai approché Céline à plusieurs reprises dans la librairie de mes oncle et tante, 84 boulevard du Montparnasse en 1936, 37 et 38, librairie connue sous le nom de son créateur, Louis Tschann, mon oncle au nom alsacien, originaire de Thann. Au départ, la librairie n'était qu'un modeste magasin de journaux et de cartes postales lorsque les Tschann l'achetèrent. Ensuite, elle devint une grande librairie parisienne très bien achalandée en littérature générale, fréquentée par des "Montparnos", écrivains et artistes du quartier, femmes du monde ou du demi-monde – Kiki de Montparnasse parfois, et bien d'autres. Au fil des ans, la librairie Tschann était devenue une institution de Montparnasse, avec tout près, le fleuriste Beauman, La Coupole, Le Dôme, Le Sélect, Le Jockey, et des boîtes de nuit.
    J'ai eu quelques contacts avec Céline qui fréquentait la librairie. C’est Louis Tschann qui me présenta à Céline. Les présentations faites, nous avons causé librement, mais brièvement, lors de ses visites, assez fréquentes car la librairie était un très bon point de vente des éditions Denoël, et plus particulièrement des livres de Céline qu'il me dédicaça à la demande de mon oncle.
    De quoi parlions-nous ? De ses ouvrages, mais en termes généraux, sans appuyer, notamment sur l'antisémitisme, dont j'avais eu quelques notions par la lecture, très épisodique, de L'Action Française. Mais l'antisémitisme de l'A.F. était moins cruel que celui des nazis. À l'époque, cette note majeure dans les livres de Céline m'amusait, sans plus. Il me dédicaçait la plupart de ses ouvrages parus chez Denoël, spontanément mais banalement. Ces exemplaires dédicacés me furent volés par un charpentier venu refaire la toiture de ma maison à Mirande. Ledit charpentier était coutumier du fait, ce que j'ignorais. Ces exemplaires durent être vendus à un collectionneur... Après des recherches, je n'ai retrouvé que l'exemplaire dédicacé de L'école des cadavres. Pourquoi Céline m'a-t-il offert ses ouvrages ? Tout simplement par sympathie pour mon oncle qui avait réalisé des ventes-record de ses livres et aussi parce que j'étais orphelin de guerre, prêt à partir un an plus tard au service militaire débouchant sur la seconde guerre mondiale, que Céline pressentait.
    Pendant l'occupation, je le revis très rarement à la librairie. C'est moi qui engagea le premier les conversations, lesquelles furent sans relief. Il ne dévoila jamais ses idées, notamment sur les juifs. Il fut très prudent dans ses conversations, par ailleurs toujours brèves.
    Comment était-il habillé ? Correctement, mais sans élégance. Il était d'aspect sévère, se prêtant peu à des conversations mondaines. Il me dédicaçait volontiers ses livres mais demeurait peu communicatif. Nous évoquions ses romans, mais il paraissait peu apte au dialogue. Il paraissait penser que Voyage et Mort à crédit étaient ses livres les plus marquants. Il ne m'a jamais parlé des pamphlets antisémites. J'ai vu une ou deux fois, très rapidement, Lucette Almansor. Physiquement banale, elle paraissait une compagne dévouée. Céline ne cachait pas qu'elle était danseuse et exprimait beaucoup d'affection délicate pour elle, laissant deviner une réelle passion.

 

Henri CASTEX

NDLR

Henri Castex est l'auteur d'un très beau livre, Verdun. Journal et lettres d'un soldat d'août 14 à septembre 16. Ce soldat est son père, tué à Verdun. Le livre a été réédité en 1999 par les éditions Imago, à Paris.

Témoignage recueilli par Jean Bastier