Mœurs (céliniennes) peu orthodoxes

 

    Dans le numéro de février, j’ai publié la lettre que Tatiana Kondratovitch¹, présidente autoproclamée de la Société russe des Études céliniennes, m’avait adressée suite à un article sur Céline et la Russie paru en octobre dernier ². Elle y attaquait sans vergogne sa compatriote Arina Istratova, co-signataire de cet article, qui a beaucoup œuvré pour faire connaître en France cette société célinienne russe. "Tout se paie, le bien comme le mal. Le bien, c’est plus cher forcément."
    Dans la presse française, François Lecomte a commenté la réponse faite à cette lettre : "Marc Laudelout, le directeur du Bulletin, a raison de défendre Arina Istratova, la courageuse traductrice (en 1991) de Mea culpa." ³ Merci à lui de m’en donner acte et de saluer la témérité qui consistait à publier alors en Russie ce texte violemment antisoviétique.
    Il est vrai que le comportement de Tatiana Kondratovitch peut surprendre un esprit occidental habitué à une certaine cohérence de la pensée.
    Ayant comme déplorable habitude de ne pas répondre aux lettres qui lui sont adressées, elle trouve, en revanche, le moyen de reprendre contact par son secrétaire de presse ( ! ) qui précise, entre autres : "Nous vous serons reconnaissants... si vous nous communiquerez [sic] les e-mails de tous les membres de la Société des Études Céliniennes". Merveilleuse candeur que de s’imaginer que tous les membres de la S.E.C. ont une adresse électronique et... que l’éditeur du BC, aux ordres de Tatiana Kondratovitch, puisse les mettre à sa disposition ! Cette méconnaissance des tribus céliniennes en présence a quelque chose de rafraîchissant.
    Mais que motive cette demande incongrue ? C’est que "la Société russe des Etudes céliniennes" organise à Moscou le 27 mai prochain une conférence célinienne dont le thème est "L.-F. Céline, le fou de Dieu de la littérature française". Et de préciser dans un français qui fait tout le charme de cette traductrice de Céline en russe : "Je doute un peu d’avoir traduit correctement le titre car le mot russe [ iourodivyï ] se traduit vers le français "fou de Dieu" ou "le bienheureux". Veuillez précisez [sic] SVP comment on peut le traduire le mieux ?"
    On espère que la présidente de cette société célinienne ne jugera pas pédant de notre part de lui signaler que ce mot est un terme théologique qui signifie "fol en Christ". Seuls des esprits chagrins s’étonneront que cette éminente personnalité, férue de francophonie, ne puisse traduire elle-même ce terme. Et nul doute que Céline, qui s’est dit résolument athée jusqu’à la fin de sa vie, eût été surpris par cette appellation.
    Les participants annoncés sont : François Gibault [sujet de la communciation non annoncé] ; Maroussia Klimova (nom de plume de Tatiana Kondratovitch), "Céline en Russie : les documents trouvés dans les archives" ; Viatcheslav Kondratovitch, "L.-F. Céline : le marginal ou le classique ?" ; Timur Novikov, "Les ballets de Céline" ; Victor Eroféev, "Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline" ; Dimitri Golynko-Volfson, "La création de la vie par L.-F. Céline" ; Sergueï Doubine, "Les romans de L.-F. Céline dans le contexte de [sic] postmodernisme" ; Ivan Tchetchot, "Le portrait de Céline par Arnaud [sic] Brecker" ; et d’autres participants, Alexei Markov, Ilia Falkovskii, Alexandre Gavrilov, dont les communications ne sont pas spécifiées. À noter qu’hormis l’écrivain Victor Eroféev, aucune de ces personnalités russes ne s’est manifestée auparavant par une quelconque étude sur Céline. Seul le critique Sergueï Doubine s’est fait remarquer... en affirmant péremptoirement qu’il ne se passe pratiquement rien dans D’un château l’autre (!).
    Il est également annoncé la présentation des Œuvres complètes de Céline par les éditions Folio, ce qui donnerait à la Russie un avantage non négligeable sur la France où l’on risque d’attendre encore longtemps la publication d’œuvres complètes. "Quel bluff ignoble !", s’exclamait Céline en revenant d’Union soviétique.
    Pour la crédibilité de cette société célinienne russe, il reste à espérer que l’annonce de ces "œuvres complètes" n’est pas du bluff. Quoiqu’on imagine mal l’ayant droit autoriser en Russie ce qu’il refuse en France. Le secrétariat de presse de Maroussia Klimova nous précise que "le programme et la liste des participants seront précisés un peu plus tard." Duperie pour une autre fois ?

M. L.

Notes

1. "Une lettre de Tatiana Kondratovitch, présidente de la Société russe des Études céliniennes", Le Bulletin célinien, n° 195, février 1999, pp. 11-14.
2. Marc Laudelout & Arina Istratova, "Céline vu de Russie", Le Bulletin célinien, n° 191, octobre 1998, pp. 6-10.
3. François Lecomte, "Croque-notes", Rivarol, 2 avril 1999