Robert Poulet, marginal résolu

Nous devions déjà à l’historien Jean-Marie Delaunois un essai remarqué sur José Streel (1911-1946), intellectuel fourvoyé et foudroyé, un peu l’équivalent belge de Brasillach. Voilà que ce courageux chercheur, s’attaquant à un autre tabou de l’histoire belge, nous offre une biographie définitive de Robert Poulet (1893-1989), écrivain, polémiste, critique littéraire – sans doute l’un des plus grands du siècle – et l’ami de Céline, de Drieu la Rochelle, avec qui il partage une même expérience du feu, une même hantise de la décadence. Les céliniens se rappelleront que Poulet fut éreinté dans Rigodon pour avoir tenté de convertir Céline : " La civilisation chrétienne ! Création, Poulet ! imagination ! escroquerie ! imposture ! ".

À lire cette somme de 540 pages, on apprend énormément sur l’homme et l’écrivain, sur son itinéraire, des corps francs de la Grande Guerre à la cellule des condamnés à mort. Car Jean-Marie Delaunois a dépouillé une imposante, documentation, souvent inédite (notamment L’Oiseau des tempêtes, les mémoires de Robert Poulet) ; il a rencontré tous les témoins de ce parcours si singulier, de la gloire à l’exil. Surtout, il présente la première synthèse d’ensemble du cas Robert Poulet dans toutes ses dimensions : esthétiques (du dadaïsme juvénile au classicisme de la maturité), éthiques (des dérives des années 20 au rigorisme catholique), politiques (du " fascisme occidental " à l’anarchisme de droite), etc. Robert Poulet, qui incarna en Belgique la figure du non-conformiste des années 30, voulut, d’écrivain pauvre, devenir maître à penser d’une sorte de révolution nationale à la belge. Rallié en 1940 à une collaboration conditionnelle et nullement vénale, à ce qu’un grand résistant a nommé un "patriotisme collaborateur", Poulet se crut, un peu naïvement sans doute, l’homme du roi Léopold III, et l’élément central d’une politique de présence face aux Allemands. On pense à Drieu, le rêveur qui se voulut homme d’action, mais Poulet était, lui, un cérébral pur, dévoré d’orgueil, perdu dans des nuées fanatiquement préférées au réel. Le réveil fut rude : la peine capitale, à laquelle il échappa de justesse, l’exil à Paris, la fin des illusions et un ostracisme qui dure encore. Romancier inégal, polémiste impitoyable, immense critique (à 17 ans, il découvrit tout seul Proust ; il fut surtout l’un des premiers lecteurs du Voyage et l’éditeur du Pont de Londres), le très complexe Robert Poulet méritait un livre à sa mesure. Saluons M. Delaunois, électron libre, d’avoir tant travaillé – et bataillé –, car le résultat , malgré quelques scories (le style parfois journalistique, l’usage abusif ... des trois petits points et du point d’exclamation !), mérite un franc coup de chapeau. Une dernière remarque : cette somme équivalant à une excellente thèse de doctorat est publiée par un libraire spécialisé dans le militaria, car refusée ailleurs. Tout un symbole, alors que tant de cuistres, stérilisés par l’institution, jargonnent pour justifier l’utopie globalitaire." Création du grand métissage ! destruction de vingt siècles ! ".

Christopher GÉRARD

Jean-Marie Delaunois, Dans la mêlée du XXème siècle. Robert Poulet, le corps étranger (préface de Jean Vanwelkenhuyzen), éd. De Krijger , 540 pages, 35 € + 10 € de port. Disponible auprès du Bulletin célinien.