Courrier des lecteurs
(Décembre 1998)

 

    Dans notre précédent numéro, j’invitais les abonnés à prendre position quant à l’opportunité de donner ici la parole aux détracteurs de Céline, bref à introduire le débat. Ceci suppose naturellement de laisser publier des opinions que l’on considère comme contestables, voire fausses. Si, comme l’écrit Péguy, "une revue n’est vivante que si elle mécontente chaque fois un bon cinquième de ses abonnés", on peut raisonnablement penser que le Bulletin est une publication bien vivante.

    Quelques uns d’entre vous nous se sont manifestés pour nous faire part de leurs réactions. Contrastées, elles le sont assurément. Mais place d’abord à cette mise au point préliminaire d’Éric Mazet : " "Ami" du Bulletin, certes je suis, mais "collaborateur", pas tout à fait, plutôt intermittent, selon l’humeur et la matière, indépendant, nullement responsable de ce qui s’y publie. Pas plus que je ne suis porte-parole d’Henri Godard. Pas plus que ma lettre de simple lecteur ne visait à lancer un débat "au sein même de la rédaction". Quant à savoir si le Bulletin a eu raison de publier la réplique d’Alméras à Bounan, je suis sceptique, l’auteur y reprenant son interprétation de génocide à partir des titres des pamphlets, ce qui me semble un contresens. Vive la liberté d’expression ! Je suis du même avis que Voltaire... Mais Alméras a publié trois gros livres sur Céline, disponibles dans toute bonne librairie, dont l’un publié avant, et non après, la soutenance de la thèse devant Kristeva. Qu’apporte de plus sa réplique à Bounan ? Vous me direz... Pourquoi dérouler le tapis rouge à ceux qui interprètent et réduisent systématiquement les textes de Céline d’une manière négative et fallacieuse ? C’est encore le combat de la poétique et de la politique. Céline s’en est emparé, le premier certes, mais en écrivain, pas en professeur d’histoire."
    Geneviève Ferraci (Marseille) nous écrit que "la réponse du brillant escrimeur Philippe Alméras méritait bien d’être écrite. Et publiée. Le Bulletin célinien est vivant : vive le Bulletin !". Valérie Martin (Pavillons-sous-Bois) est également de cet avis : "J’ai beaucoup aimé la polémique au sujet d’anti-céliniens à qui vous avez donné la parole. Vous avez parfaitement raison. C’est ce qui fait l’originalité de la revue. Et vous leur avez très bien cloué le bec. Tout cela fait que le Bulletin est TRÈS VIVANT, sinon politiquement correct."
    Notre ami Pierre Chalmin (Paris), auteur du Petit crevé (Le Dilettante, 1995), est plus sévère : "Éric Mazet s’insurge avec une parfaite mauvaise foi : depuis deux ans, les petits minables adversaires de Céline lui ont donné l’occasion d’une quinzaine d’articles engagés dans les plus vaseuses polémiques, contre lesquelles j’avais protesté en leur temps. La " déferlante de critiques réductrices " a justifié la prose lyrique et souvent inspirée, je dois l’admettre, d’Éric Mazet. Cela posé, je souscris à la virgule près au courrier de Mazet. – Pourquoi ne pas lui donner une chronique mensuelle de trois pages ? Ce serait autrement plus intéressant pour le lecteur du Bulletin célinien que les âneries pontifiantes commises en javanais par les tristes crétins qui se sont fait une spécialité de moraliser les lettres. Souvent je me dis que Céline, quand il avait quarante ans, entre voyage et mort se fût personnellement déplacé pour leur mettre sa main sur la figure. Votre " attachement à la liberté d’expression " est une honte. Vous avez eu raison de publier la réponse d’Alméras à Bounan, mais vous êtes inexcusable d’avoir d’abord publié Bounan. Inutile de citer Voltaire, c’est sans rapport, et si votre Bulletin devient le support d’un débat, le défenseur d’un droit au dialogue, il est scandaleusement anti-célinien."
    Propos plus mesurés de Jean Devyver (Bruxelles) qui nous assure qu’ "il faut tout publier à deux conditions :
1) que les propos tenus ne soient pas outranciers ou mensongers et que les affirmations exposées reposent sur des preuves réelles, documents à l’appui ;
2) que l’article ou la réflexion du correspondant témoigne d’une culture authentique et que le style soit correct, sans être nécessairement "célinien". Rien n’est pire que la mauvaise imitation."
    Marcella Maltais (Paris) nous écrit qu’elle "partage l’avis d’Éric Mazet : il ne faut pas être masochiste et donner trop de place dans le Bulletin aux détracteurs de Céline". Avis partagé par Michel Mouls (Nice) : " Je suis assez d’accord avec Éric Mazet ; le BC ouvert, tolérant, refusant l’hagiographie, informant de TOUT (avec bien sûr les propos, critiques, erreurs - surtout ! - des adversaires haineux de Céline) mais évitant de rapporter sur des pages et des pages des argumentations, des analyses byzantines de ces messieurs... Ils sont assez gâtés par les médias. En effet, si on allait au bout de l’argumentation : à vouloir être si tolérant, si libéral, si ouvert, pour éviter ces types de reproches, les 30 pages du Bulletin seraient remplies de rubriques crapeziennes, bounanisques et martiniennes. Vous connaissez sans doute cette définition du libéral : "C’est celui qui au bout de la discussion donne raison à son adversaire !". Mais je ne pense pas que le direction du BC bien aimé soit à ce point naïf. Il est, en revanche, favorable aux débats même animés, à la polémique (ce qui est bien autre chose), et aux "droits de réponse" absolument indispensables si on veut, soi-même, argumenter, tailler dans le vif, distribuer les bons et mauvais points, et ainsi se retrouver crédible et fort..." Pour Gui Impériali (Bruxelles), "Céline n’a pas besoin de ses détracteurs. Il est vivant. Il nous rappelle dans ses Lettres de prison la phrase de Chateaubriand : "Le malheur seul peut juger le malheur, les sentiments de la prospérité sont trop grossiers pour comprendre rien aux sentiments si délicats de la détresse." Et il rejoint les paroles de Léon Bloy, cet autre grand pamphlétaire : "Quand un grand homme apparaît, demandez-lui où est son malheur". Céline est un voyant, un visionnaire. Il ne peut être jugé que par le destin qui a toujours commandé ses actes sans qu’il s’en rende compte lui-même. C’est un de ses affamés de l’Absolu qui n’a pas à être jugé par les nouveaux marchands du Temple".
    Et Michel Duquesne (Templemars) renchérit : "Dans l’incapacité qu’ils sont de signer des chefs-d’œuvre, les intellectuels se sont convertis dans la signature de pétitions et d’actes de dénonciation. Céline est un géant, Bounan et Martin deux cafards. Le Bulletin célinien, qui doit rendre compte de l’actualité célinienne, parle de leurs livres, bien. Des spécialistes les critiquent, rien de plus normal, tout est bien. Trop d’encre a coulé mettant en lumière de petites choses qui doivent retourner au noir humide qui les a fait naître. Reprenons le cours des choses essentielles : l’œuvre de Louis-Ferdinand !..."