Courrier des lecteurs
(suite)

 

   Depuis la parution du numéro précédent, nous avons encore reçu quelques lettres de lecteurs suite au débat lancé ici même. Il tient en une interrogation :
" Faut-il donner dans le BC la parole aux détracteurs de Céline, bref y introduire le débat ? "
Globalement, les lecteurs n’y sont pas hostiles mais estiment qu’il ne faut pas que ces critiques prennent une ampleur démesurée. Point trop n’en faut, en quelque sorte.
Ainsi, Jacques Vanden Bemden (Bruxelles): "Je pense que le BC couvrant par vocation toute l’actualité célinienne, les anti-Céline y trouvent tout naturellement leur place. A condition, bien sûr, qu’ils aient quelque chose à dire. Cela donne d’ailleurs à Éric Mazet et à quelques autres l’occasion de leur clouer le bec. Et à Pierre Monnier la matière de son petit bouquin – épatant ! Tout cela fait partie de l’intérêt du Bulletin. Et puis c’est une belle leçon de tolérance, même si je doute que dans ce domaine vous fassiez beaucoup d’adeptes ! ". Christiane Kempf (Paris) nous écrit qu’elle est ravie que nous posions la question du débat car elle n’a pas apprécié "cet échange plus ou moins hargneux ces derniers mois." Et de conclure : "Cela dit, je ne vous en félicite pas moins pour le travail important que vous faites." Point de vue sensiblement différent de Françoise Morel (Argenvilliers) : "Qui voudrait d’un Bulletin célinien privé de commentaires "malveillants" ? Pas moi. Les monuments aux morts sont moches, ils sont tous moches. L’amour de Céline ne peut survivre sans la haine ! L’amour et la haine mènent le plus grand écrivain de ce temps à la postérité dans une mystérieuse alchimie."
Louis Pellet (Marseille) est d’un avis diamétralement opposé : "Faut-il répercuter dans le Bulletin les attaques de la haine ordinaire et extra-ordinaires des inquisiteurs anti-céliniens ? Jamais de la vie ! Tel est mon point de vue. Ces gens-là, qui ne manquent pas de tribunes et qui toujours reviennent à la charge sur l’antisémitisme des pamphlets, accusant Céline d’avoir été le pourvoyeur – salarié, selon Sartre – des chambres à gaz et des fours crématoires, sont des ignares et des truqueurs qui ne veulent absolument pas voir ce que Céline voyait venir et s’efforçait de prévenir... et qui nous est finalement tombé dessus ! Le désastre de 40, je m’en souviens ! Céline n’est pour rien dans les horreurs qui ont suivi. Et voilà que les faussaires sont de retour ! Le Bulletin n’est pas tenu de publier leurs salades. Nicole Debrie a tout dit là-dessus. L’horreur de la guerre : les pamphlets céliniens sont " des hurlements contre le vertige collectif " – " L’École des cadavres est un ultime avertissement publié en 1938. Les cadavres, ce sont les prochains soldats, sages écoliers de la mort. " Céline s’en est pris ? l’égoïsme, à la paresse et à la lâcheté des hommes : il ne lui sera rien pardonné ! Il a voulu être, à sa façon, un éveilleur de consciences. Et, les éveilleurs, on les met en croix ! Alors, que les marchands du Temple aillent vendre ailleurs !"
Comme en écho contrasté, Hervé Tricot (Brueil-en-Vexin) nous écrit ceci : "Puisque vous avez la délicatesse de demander à vos lecteurs leur avis sur la grave question d’accorder ou non une place dans le Bulletin aux diverses polémiques qui agitent le microcosme au sujet de Céline, sachez que j’approuve tout à fait votre politique. Certes les "critiques réductrices" abondent en notre époque de repentance à sens unique, mais il est bon, juste et raisonnable que les céliniens que nous sommes en soient informés, car en tant que tels nous ne fréquentons pas ou si peu médias aux ordres, journaux enchaînes ou éditeurs conformistes, repaires usuels de telles critiques. Seul le Bulletin nous donne une vue globale de la réalité célinienne d’aujourd’hui.
Je crois cependant que la pédante nullité, la haine médiocre, les sous-entendus politiciens de tous ces faussaires de la critique ne devraient leur assurer qu’un Destin de blattes obscures, tapies derrière les planches pourries d’intérêts qu’on ne connaît que trop (métaphore hardie !). Le Bulletin les éclaire de son honnête lumière ; n’est-ce pas leur faire trop d’honneur ? Mais en même temps, ainsi qu’aux cafards, la lumière leur porte trouble, et permet de juger sur pièce, ce qui, en conscience, ne peut leur être favorable ! Pour finir, me permettrais-je un reproche ? Vous citez Voltaire, le suprême hypocrite. Sa phrase fut le prélude (involontaire ?) aux guillotinades des gens de bien. Notre élégance à accueillir l’adversaire est d’un autre niveau, ce qui nous perdra sans doute !"
Jean-Pierre Müller (Lyon) renchérit : "Je-n’aime-pas-Céline-pour-le-Voyage-mais-sans-la trilogie-post-Sigmaringen, pour-la-petite-musique, mais-sans-la-"grossièreté", pour-ses-idées, mais-sans-les-pamphlets... j’aime Céline pour tout cela. Je prends le lot complet, le bon et le meilleur, ce qui "pue" et ce qui enchante. J’aurais même tendance à m’enchanter de ce qui "pue".
Si je me suis abonné au Bulletin, c’est pour y retrouver des commentaires, des informations, des avis et des analyses apportés par des céliniens plus avertis que moi, par des personnes qui l’ont connu, côtoyé, ont été en relation avec lui, l’ont apprécié sinon aimé.
Je serai donc de ceux – en espérant qu’ils seront les plus nombreux – qui pensent que les pages du Bulletin n’ont pas à s’offrir aux Bounanmartin et autres. Ceux-là ont tout, les media, les appuis politiques et financiers, le label de la pensée bonne, le prestige de ceux qui peuvent tout gagner avant même d’avoir misé, sans jamais mettre "leur peau sur la table". Ceux-là détournent l’histoire, s’arrogent des devoirs de mémoire ou de justice, rectifient, effacent, épurent, stérilisent, comme aux meilleurs jours – qu’ils regrettent au fond – du stalinisme triomphant. A quand le MRG : mouvement pour la réouverture des goulags ? Leur diarrhée est à traiter comme telle : tirons la chasse. Le Bulletin ne doit pas leur servir de chiottes. Et ras le bol de ceux qui dissèquent Céline, l’homme d’un côté, les pensées de l’autre, certaines œuvres au panthéon, les autres à l’autodafé."
Le mot de la fin sera donné à Edmond Gaudin (Mérindol), abonné de la première heure : "Dans 100 ans et plus, on parlera encore et toujours de Céline alors qu’on ne se souviendra même plus du nom de ses détracteurs s’ils ont existé ! Les chiens aboient, la caravane passe !"