Anticélinisme primaire

L’offensive vient, cette fois, du Canada où, ironie, Céline envisagea un moment de s’exiler. Cela s’appelle Discours de réception et la couverture nous montre Hitler parlant à un rassemblement de SA, en 1933.
Extrait de la quatrième de couverture : " Nous sommes en 1953 : Hitler a gagné la guerre. La France est réduite par l’Occupant à un État semi-agricole où règne une idéologie agrarienne célébrant les vertus du travail, de la famille et de l’hygiénisme. Ce jour-là, Abel Morandon, médecin maréchaliste, prononce son discours de réception à l’Académie française, un éloge de son prédécesseur Louis-Ferdinand Céline, mort quelques mois plus tôt d’une embolie cérébrale, et dont le dernier ouvrage, La mort des Juifs, a rencontré un vif succès outre-Rhin. "
Dans un livre récent, Céline est à la fois qualifié d’ange et de démon. Ici, il est vu comme un " mythe littéraire " et une " ordure canonisée ", excusez du peu.
Céline-Bardamu se décrivait comme " scientifiquement médiocre " (L’Église). Promotion ? L’auteur, un dénommé Gosselin, l’imagine en grand inventeur de plusieurs produits miracles, soulageant successivement Pétain, Hitler et Goering, pour n’en citer que quelques-uns. Cette diatribe anticélinienne est d’une peu commune vulgarité et témoigne d’une méconnaissance abyssale de l’écrivain. Jugez plutôt : le Céline présenté par Gosselin est académicien, chantre de la Révolution Nationale, apologiste des études gréco-latines, admirateur de Henri Pourrat et de Barrès, ami fervent et laudateur de Brasillach, et bien entendu, irréductible partisan de l’extermination des juifs.
À quand un pamphlet intelligent contre Céline ? Ce n’est sans doute pas pour demain, il faut le craindre. La fiction a, hélas, ses limites, et, pour être efficace, il faudrait que la fabrication soit crédible. On assiste ici à une sinistre bouffonnerie d’une bêtise insondable. Qu’il se soit trouvé dans la " Belle Province " un éditeur assez borné pour rendre publique cette prose affligeante est une autre mauvaise nouvelle pour nos amis québécois.

 

M. L.

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Yves GOSSELIN. Discours de réception (roman), Éd. Lanctôt [Outremont, Québec], 2003, 162 p., 16,95 $.
Distribué en Europe par La Librairie du Québec, 30 rue Gay-Lussac, 75005 Paris.

Voir aussi le site Internet de Guy Laflèche (www.mapageweb.umontreal.ca/lafleche/po/), professeur au département des études françaises de l’Université de Montréal.