Céline, de lautre côté de la vie
- Cher Maître, dit Roger Nimier, j'ai le plaisir de vous présenter
mon frère de lait, Jean Namur, qui vous admire énormément.
- Ah, répond Céline en ricanant, vous êtes venu voir la vedette !
- Cher Maître, reprend Nimier, c'est au médecin que j'aimerais madresser... Il
s'agit d'un mal assez particulier...
- Ah oui ? fait Céline, toujours intéressé par un cas médical qui se présente. De
quoi souffre-t-il ?
- Eh bien, voilà. Ce pauvre Jean est gravement atteint d'onanisme... Pouvez-vous faire
quelque chose pour lui?
- Combien de fois par jour? Au moins dix fois, dites-vous ? Oui, c'est vraiment abusif. Il
faut agir au plus vite. Un instant...
Emmitouflé dans trois épaisseurs de laine et de drap, le cou entouré
d'un foulard d'un blanc douteux, Céline s'extrait de son fauteuil d'osier, chasse au
passage deux chats endormis sur une table, fait crier le perroquet qui a fourré son bec
dans une boîte de sardines, enfonce le bras dans un mur de papiers et revient, tenant à
la main son Vidal, dont il feuillette les pages :
- Voilà... Onanisme... Avez-vous des tremblements ?
Namur prend un air modeste et s'apprête à répondre, mais Nimier le
devance :
- Oui, absolument. Le pauvre Jean est pris, par moments, de terribles
tremblements.
- Je vais vous faire une ordonnance. Ne vous inquiétez pas, le rassure
Céline, d'une voix très douce, comme chargée d'affection. Vous commencerez par vous
tremper trois fois par jour les parties dans l'eau froide, ensuite vous appliquerez
l'onguent que je vais vous indiquer et vous prendrez pendant trois mois des pilules,
extrêmement efficaces.
Le plus souvent, Nimier fait le pèlerinage de Meudon le dimanche, en
compagnie de Marcel Aymé et d'Antoine Blondin. Cette fois, privé de voiture, il a
demandé à Namur de le conduire, le chargeant d'apporter un pot de confiture d'orange
dont Céline est friand, et c'est sans doute en chemin que lui est venue l'idée de cette
mystification, dont son ami Namur, qui en a l'habitude, va faire les frais.
Une autre fois, ce sera mon tour, m'attribuant un priapisme persistant,
certes flatteur, mais dont il décrivit au docteur Destouches, plus connu sous le nom de
Louis-Ferdinand Céline, le caractère extrêmement douloureux, avec un accent de
sincérité comme seul le mensonge le plus énorme savait lui en inspirer.
*
Après avoir fait patte douce à Gaston qui, en
1951, lui avait signé un bon contrat, avec cinq millions à la clé qui ont
convenablement beurré, sous les pas de l'ancien proscrit, le chemin du retour à Paris,
l'insupportable Grand Imprécateur de Meudon ne cesse à présent d'abreuver d'injures son
éditeur qui a réédité Voyage au bout de la nuit, Casse-pipe, Guignol's band I, sorti
Féerie pour une autre fois I, en 52, la suite en 54, sous le titre de Normance,
les Entretiens avec le professeur Y, en 55, et a programmé, pour juin 57, D'un
château l'autre, l'odyssée célinienne à Sigmaringen qui va marquer pour de bon la
grande rentrée littéraire de l'écrivain le plus " infréquentable" de France.
Céline ne veut plus entendre parler de son premier interlocuteur, Jean
Paulhan, et même si Gaston Gallimard encaisse avec le sourire (un éditeur encaisse
toujours plus facilement qu'il ne décaisse) des épithètes aussi gracieuses pour lui et
son entourage que " désastreux épicier ", " Shylock ", " smala
d'abrutis minus ", celui-ci n'est pas mécontent de passer le bébé à Nimier, en
grande odeur de sainteté à Meudon.
Bien que le sentiment de reconnaissance n'étrangle pas plus Céline
aujourd'hui qu'hier, il n'a tout de même pas oublié certains articles parus dans Carrefour
en 1952, où Roger parlait de lui comme d'un " bouc émissaire d'un grand nombre
de gens" et, encore moins, du cri provocateur du même Nimier : " Donnez le
Nobel à Céline ! " qui avait fait sursauter, en octobre 56, les paisibles
lecteurs des Nouvelles littéraires.
L'ardeur qu'a mis Nimier à préparer la sortie d'Un château l'autre parviendra
même à impressionner Chardonne qui, dans le passé, lui avait donné ce conseil :
" Ne lisez pas Céline. Vous ne buvez que de l'excellent cognac. Inutile de vous
adonner à cette vodka. On en boit quand on veut s'enivrer ou en mangeant des steaks
tartares. "
À présent, au contraire, il défaille d'admiration : " Votre
lancement de Céline sera mémorable. C'est un tremblement de terre. "
Chardonne n'a pas changé d'opinion sur l'auteur du Voyage -
dont il n'a, vraisemblablement, jamais lu une ligne -, mais il admire l'exploit de Nimier
qui, avec la complicité amoureuse de Madeleine Chapsal, a réussi à décrocher ce "
scoop " : une longue et explosive interview de Céline dans L'Express qui
se veut être la voix de la France progressiste.
On a du mal, aujourd'hui, si l'on n'a pas vécu cette période, à
imaginer le raffut qu'a pu produire cette interview, dans le Landerneau
journalistico-politico-littéraire. On s'en fera néanmoins une idée si l'on sait qu'au
cours des années qui précédèrent, un Albert Béguin, "grande conscience
chrétienne ", traitait Céline de " chien servile, gluant de bave
rageuse", un André Breton l'accusait de "faire appel à ce qu'il y a de plus
bas au monde ", un Roger Vailland regrettait de ne pas l'avoir exécuté en 1944, un
Pierre Hervé, dans L'Humanité, l'accusait, le plus sérieusement du monde,
d'avoir été un "agent de la Gestapo ", et qu'un journaliste comme Bernard
Lecache qui, plus tard, se taillera une réputation dans la défense des Droits de l'Homme
et de la Laïcité, menaçait, tranquillement : " Qu'il revienne, Céline !
Nous l'attendrons à la gare 1 ! "
Dans son interview à L'Express, titrée Voyage au bout de la
haine, Céline y est allé gaiement, en en donnant pour son argent à un public qu'a priori,
tout, chez lui, hérisse. Devant André Parinaud, accouru aux nouvelles, au lendemain
de l'entretien du 14 juin, il a encore forcé la dose : " Tous ces cons qui me
redécouvrent... Ils viennent visiter la ruine... pour voir si ça tient encore. Si
je ne sens pas trop mauvais... Je me suis roulé dans ma fange de gros cochon. Ça les
excite. "
Pour une autre raison, dans le même temps, l'extrême droite, le camp
des " anciens collabos ", lui crachait dessus dans Rivarol, l'accusant
d'avoir "rallié le fumier doré du système " en acceptant d'avoir parlé à L'Express.
Rien ne pouvait enchanter davantage Céline à qui la haine qu'on lui portait avait
toujours nourri sa jubilation.
Chez Gallimard, on n'était pas mécontent non plus de voir les ventes
filer bon train. Toutes proportions gardées, cependant, car le formidable D'un
château l'autre que suivra l'hallucinant Nord, n'aura quand même pas atteint
les 30 000 exemplaires, un an plus tard. Une vente assez misérable comparée à celle,
aujourd'hui, de n'importe quelle niaiserie de vous voyez qui je veux dire.
Quoi qu'il en soit, Céline, pour une fois, se fend d'un vrai
remerciement. Nimier en est le bénéficiaire à qui il écrit, le lendemain de son
passage à l'émission télévisée de Dumayet et Desgraupes, " Lectures pour tous
": " Oh, que cela est magnifique ! Quelle résurrection ! Grâce à vous. "
Il a vraiment Roger à la bonne et quand, une semaine plus tard,
celui-ci m'emmène à Meudon, pour la première fois, j'ai la surprise de découvrir un
Céline tout plein gentil, qui a laissé son artillerie verbale au vestiaire et parle avec
une émotion retenue des pauvres diables qui viennent se faire soigner chez lui.
" De toute façon, je vais crever "
À la grille du pavillon Louis-Philippe 2, posé de guingois sur la pente douce du Bas-Meudon, face à
l'île Seguin, est accrochée une plaque " Dr. L.F Destouches, de la Faculté de
Médecine de Paris, de 14 h à 16 h, sauf vendredi. "
Elle y est depuis 1953. À cette époque, Céline, sans le sou, espérait
ainsi rentrer un peu d'argent, Lucette, sa femme, faisant office d'infirmière. On imagine
la tête des premiers patients débarquant dans l'indescriptible foutoir où il est censé
donner des consultations. Ils ne sont évidemment pas revenus et seuls sont restés
fidèles les nécessiteux du quartier auxquels, renouant avec son habitude d'avant-guerre,
il n'a pas le cur de réclamer un centime. Il va même, si besoin est, les visiter
à domicile.
Les yeux à demi fermés, au-dessus d'une bouche qui s'ouvre comme une
blessure, il monologue un moment sur la médecine. En fait, c'est sa vraie passion. Avec
la danse. Il a toujours adoré la danse. Et les danseuses.
D'ailleurs, il en a épousé une, Lucette Almanzor, qui donne des cours
aux jeunes filles, à l'étage supérieur, et a fait ainsi, pendant les années de vache
enragée, bouillir la marmite. Une maigre marmite qui a tout de même permis à lui, à
elle et à leurs innombrables chiens et chats, ramassés dans les rues, de subsister.
Il lit les journaux et est au courant de l'actualité médicale, lui,
le pauvre médecin des pauvres, dont tous ceux qui ont eu affaire à lui,
professionnellement, louent la sûreté du diagnostic, la patience et l'inlassable
dévouement. On finit par se demander si ce n'est pas en tant que médecin qu'il rêverait
d'être, avant tout, reconnu. Vrai ou faux, il prétend, en effet, ne pas aimer du tout
écrire et peu à peu, le ton monte, à mesure que le médecin s'éloigne :
- J'écris parce que j'ai besoin d'argent. Je dois cinq millions à ce
vampire de Gallimard. Alors, faut que je m'exécute. Si j'avais de l'argent, je
continuerais à écrire ? Foutaise ! Si j'avais de l'argent, je prendrais ma
retraite. À soixante-trois ans, j'ai pas droit, non ? Qu'est-ce que je suis con ! J'ai
été con, toute ma vie. Je voulais qu'on ne refasse pas la guerre. Après, j'ai voulu
qu'on fasse l'Europe. Avec l'armée allemande et pas avec les Russkofs ni avec les
Chinetoques. Et moi, on m'a foutu en prison. J'avais qu'à fermer ma gueule, comme les
autres et m'occuper de mézigue. J'ai été vraiment trop con... Mais quelle importance,
de toute façon, je vais crever !... Foutez le camp, je vais vous botter le cul.
La dernière phrase ne nous est pas destinée, mais s'adresse à deux
chiens qui, de leur museau, fouillent le capharnaüm de la grande pièce où nous nous
trouvons, au cas où il y aurait un morceau de quelque chose à se mettre sous la dent.
Avec ses animaux, Céline a exactement le même comportement que Léautaud avec les siens
: soi-disant toujours prêt à les noyer et dans l'incapacité de se passer d'eux,
tellement il les aime. Histoire de faire diversion, Nimier lance :
- Savez-vous, Maître, que Millau a découvert quelque chose vous
concernant qui va flatter énormément votre fierté d'auteur...
- Ma fierté ? rugit Céline. Mais, bon Dieu, quand j'aurai crevé sur
mes livres, est-ce que je serai plus avancé ?
Puis me regardant du coin de l'il :
- C'est quoi, votre découverte ?
- Oh, une toute petite chose, mais amusante. J'ai trouvé par hasard
dans un journal d'avant-guerre cette déclaration du grand escroc Stavisky, avant que
n'éclate le scandale du Crédit Municipal de Bayonne. Tenez, je l'ai recopiée sur ce
bout de papier : " Notre littérature est trop faisandée. J'ai eu entre les mains un
livre de Céline. Cela m'a écuré. Hélas, on méprise les auteurs comme René
Bazin, Marcel Prévost ou Clément Vautel. Il serait utile de fonder un prix de
littérature honnête, saine, bien française, pour tout dire. " Et il terminait
par une promesse : " 'J'y songerai . " Vous connaissiez ?
- Nom de Dieu, rugit-il, ça j'aime ! Ah, quelle marrance !
Aurait fallu le mettre à l'Académie, ce grand homme, au lieu de le suicider d'une balle
dans la tête. Quel esprit fin ! Il avait complètement raison. Ils disaient quoi
d'autre les critiques ? " Ah oui, Céline, celui des trois petits points... N'importe
qui peut écrire comme lui. C'est facile ! Il n'a qu'à ramasser tout ce qui traîne
dans la rue. " Ah, les cons ! Dire que c'est les mêmes qui découvrent un
Balzac chaque matin ! Pour faire un roman, j'écris dix mille pages et j'en tire huit
cents. Céline qui parle avec les mots de tous les jours... Tu rigoles ? C'est du travail,
c'est un métier, la transposition. Le lecteur s'attend à un mot, et moi, je lui en colle
un autre. C'est ça, le style. Le sujet, ça ne compte pas. On le trouve dans n'importe
quel journal. D'ailleurs, aujourd'hui, la littérature, c'est plus rien que des
journalistes et des psychiatres. C'est pour ça que c'est foutu. Le style est mort et
enterré. Je suis le dernier, mais comme je vais bientôt crever... Je ne vais plus me
faire chier longtemps... Bon Dieu, pendant des siècles, on a appris aux Français à
faire des belles phrases à la con, du latin en français, bien filé, prêchi-prêcha.
Alors, je suis venu avec ma petite musique et j'ai tout fichu en l'air... Que le lecteur
aime ou pas, je m'en fous, je m'en contrefous ! Je n'écris pas pour lui. Ce que je
cherche, c'est pas de faire du verbe, d'enfiler des mots, c'est de faire passer des
émotions. Le verbe empêche l'émotion. Faut le tuer. Et puis, merde ! J'ai plus de
passions. Je finis par me foutre de tout... La postérité ? Vous rigolez ! Faut
commencer d'abord par mourir. Après on verra. Vivant, vous ne valez rien. C'est quand
vous êtes bouffé par les vers que l'on commence à vous déguster.
Telle une ombre légère, Lucette entre et sort dans la pièce,
s'assurant que tout va bien pour son Céline et que ses visites ne le fatiguent pas
trop.
" Hitler ? C'est un juif ! "
Le moment est venu, d'ailleurs, de le laisser se
reposer, car il commence à donner des signes de fatigue. Avant de partir, je lui
transmets le salut de Marcel Aymé que j'ai vu l'avant-veille :
- Ah, cette grosse vache de Marcel... soupire-t-il, utilisant cette
expression qui lui est familière.
À présent, avec Aymé, tout baigne dans l'huile. Ça n'est plus comme
lorsqu'il le traitait de " petit plumaillon "... Il faut dire que Marcel Aymé a
été fantastique pour lui. Quand Céline était exilé au Danemark, il a été le premier
à se démener en sa faveur. " C'est le plus grand écrivain français et, sans
doute, le plus grand lyrique que nous ayons jamais eu ", s'épuisait-il à répéter
à tous vents, afin de convaincre les juges et la presse de réviser leur conviction toute
faite. Cela n'a pas empêché l'impossible Céline, lors d'une visite de Marcel Aymé, à
Meudon, de lui sortir une énormité. À savoir qu'il avait " une sale tête de
juif" ! Ils sont restés brouillés quinze jours. Céline, heureusement, n'en veut
jamais bien longtemps à ceux à qui il fait, verbalement, du mal...
À propos des " sales têtes de juif", Frédéric Vitoux,
auteur de la magnifique et insurpassable Vie de Céline ( Grasset ) où il a
réussi l'exploit de fourrer le bonhomme tout entier dans un livre et de l'y conserver
vif, me racontera, près de quarante ans plus tard, deux anecdotes, tenues de la bouche
même d'un témoin, qui éclairent l'antisémitisme obsessionnel de Céline, d'un jour
particulier, à la limite de la parodie volontaire.
Céline qui, durant toute l'Occupation, n'a quasiment pas fréquenté
les Allemands - en tout cas infiniment moins que l'éminent Claudel ou le charmant Cocteau
- s'est laissé convaincre, tout à la fin, par Jacques Benoist-Méchin, d'assister à un
dîner à l'ambassade d'Allemagne chez Otto Abetz, qui recevait quelques collaborateurs
notoires et des personnalités nazies.
Comme Céline restait silencieux, Otto Abetz entreprit de lui poser
quelques questions anodines, du genre : " Que faites-vous en ce moment ? "
- " Eh bien, répondit Céline, je me pose une question à propos d'Hitler: comment
se fait-il qu'on laisse un juif à la tête de l'Allemagne ? "
On imagine le silence qui s'ensuivit et l'épouvantable embarras
d'Abetz qui savait qu'à coup sûr, on allait répéter en haut lieu ce propos insensé et
que, d'une manière ou d'une autre, on l'en tiendrait responsable. Alors, très finement,
le diplomate fit un signe au majordome et dit à haute voix :" M. Céline est pris
d'un malaise. Appelez vite une voiture et qu'on le ramène d'urgence à son domicile !
"
Pris de court, Céline, sans réagir, se laissa embarquer, et son hôte
put enfin respirer.
L'autre " célinade " - dont Ramon Fernandez avait été le
témoin - intervint après le débarquement, alors que les soldats allemands - de tous
âges et en pleine déconfiture - traversaient la capitale. Alors que son compagnon avec
qui il marchait rue de Rivoli relevait leur triste allure, Céline se pencha vers lui et
lui dit, sur le ton de la confidence : " Mais regardez-les ! Vous n'avez pas
remarqué ? Ce sont tous des juifs ! "
Mais retournons à l'instant où Nimier et moi allons prendre congé.
À peine Céline vient-il de dire de Marcel Aymé : "Ah, ce vicieux, quel véritable
ami ! " que je prononce innocemment le nom de Gen Paul.
Aussitôt, Céline entre dans une fureur noire : "Ah, le pourri !
La bête à fric ! ", etc.
Son vieil ami Gen Paul, qui était prudemment parti visiter les
États-Unis à la fin de la guerre, ne lui avait pas pardonné de l'avoir
"mouillé" avec l'Occupant. Et, depuis lors, il s'abstenait soigneusement de
tout contact avec le "pestiféré".
Mais le lait bouillant retombe aussi vite qu'il avait monté et, d'une
voix bien calme, Céline nous dit, en guise d'adieu: " De toute façon, on en a rien
à foutre. Les Chinetoques viendront bientôt régler tout ça ".
*
Le 4 juillet 1961, devant le caveau provisoire, au
cimetière de Meudon, il n'y aura pas foule autour du cercueil de Louis-Ferdinand Céline.
Il y aura beaucoup mieux que cela: une cinquantaine de vrais amis, au premier rang
desquels Marcel Aymé et Roger Nimier. À côté du " désastreux épicier " ,
Gaston Gallimard, profondément ému.
Il n'y aura pas non plus de vibrant discours. C'est dans Paris-Presse,
du même jour, que Kléber Haedens écrira la plus belle épitaphe qui pouvait honorer
" le Breton qui rêvait du grand large et était resté ligoté à la terre, le marin
des traversées fantômes, perdu enfin de l'autre côté de la vie" : " Depuis
ce matin, la voix de Céline écrase les puissances liguées, cette voix formidable que
l'on a voulu étouffer sous les cendres et qui va résonner jusqu'à la fin des temps.
"
Christian MILLAU
Notes
1. Considérant que Céline n'avait eu aucune relation avec l'ennemi et
ne trouvant à lui reprocher que " certains passages " des Beaux draps en
1941 et la réimpression de Bagatelles pour un massacre en 1943, on ne l'estimera
en 1949 que justiciable de la Chambre civique.
Finalement, Céline profita en 1951 de l'amnistie, octroyée aux grands invalides de
guerre, à la suite, il est vrai, d'un tour de passe-passe de son avocat,
Tixier-Vignancour, qui le présenta à la justice sous son vrai nom de Destouches, au lieu
de son pseudonyme Céline.
2. Ce pavillon avait été un temps la propriété d'Eugène Labiche.