Louis-Ferdinand CÉLINE est mort

 

    Il y avait en ce siècle un écrivain de génie. Génial de deux façons : par la nouveauté du Sentiment ; par la nouveauté, totale, de l'expression. Depuis ce samedi 1er juillet à 6 h. du soir, c'est fini. Le cri est poussé. Le grand vent d'orage, qui s'était levé il y a trente ans tout juste, est passé. Nous n'avons plus qu'à attendre, sans doute, le tonnerre et la foudre.

    Encore, si nous pouvions nous dire que l'œuvre, du moins, est accomplie ! Mais non ; les deux derniers livres de Céline, D'un château l'autre et Nord, nous ont prouvé qu'il avait encore quelque chose à dire. Nous ne saurons pas quelle chose ; comme nous ignorerons toujours quelle vérité particulière était enclose dans les manuscrits de céline qui furent volés ou détruits il y a dix-sept ans. Nous pouvons quand même comprendre à quel événement nous assistons ; événement qu'on peut comparer, me semble-t-il, à la mort de Jean-Jacques Rousseau, malgré la différence des tempéraments et des circonstances.

    Il y avait aussi, entre ces deux grands écrivains, leurs personnes, leurs destins, des ressemblances frappantes ; la même relation de puissance entre la sensibilité et le langage ; la même influence immense, et comme fondue... En tout cas, le Voyage au bout de la nuit restera la plus prodigieuse surprise qui ait secoué, en notre temps, le monde de l'esprit.

    Puis il y avait l'homme, en qui, même nous, ses rares amis, nous nous heurtions au secret de cette âme farouche ; avec des échappées sur une noblesse déçue, sur une générosité blessée, qui demeurent, pour qui sait lire, le fond même de ses livres. Mais je reviendrai là-dessus ; le sujet est trop difficile et trop important. L'homme Céline, victime de l'éternel malentendu humain, et successivement objet des deux manières dont la société accueille le génie : par une clameur d'enthousiasme, et par un mouvemement d'ignorance et de haine, meurt méconnu. Même de nous, qui n'avons su que l'aimer... C'est dans ce sentiment déchirant, mais vrai, mais profond, mais impérissab1e comme son œuvre, que nous lui disons adieu.

 

Robert POULET, Rivarol, 6 juillet 1961.