CÉLINE

   

    C'est un grand bonhomme qui disparaît, le plus puissant et le plus original de notre époque, n'en déplaise à certains cuistres distributeurs de certificats de bonne conduite.
    La plupart des courriéristes qui font habituellement suivre leurs articles nécrologiques de la mention : "le défunt était Grand officier de la Légion d'Honneur", ont omis de rappeler que ce poilu de 1914 avait été décoré de la médaille militaire pour fait d'arme ; et aussi qu'il avait tiré un an de prison à Copenhague dans des conditions abominables.
    Marqué par une jeunesse difficile, Céline fut vraiment un enfant du malheur. Et la gigne le suivit lorsqu'il se lança à trente-six ans dans la carrière littéraire ; alors que le prix Goncourt lui paraissait assuré pour son Voyage au bout de la nuit, une trahison de dernière heure le priva de sa couronne de papier, attribué à un médiocre dont tout le monde a oublié le nom [Guy Mazeline, avec Les loups].
    La vie de Céline, traqué par des ennemis implacables, fut terriblement agitée. Je possède de lui des lettres déchirantes qu'il m'envoyait de son exil au Danemark. C'était un persécuté délirant mais aussi un grand cœur et un écrivain apocalyptique.

 

Jean GALTIER-BOISSIERE, Le Petit Crapouillot, août 1961.