Le Docteur Destouches et les
Ardennes
La biographie signée par
Frédéric Vitoux nous révèle que l’année 1923 fut un tournant décisif
dans la formation médicale de Louis Destouches (1894-1961). Mois après
mois, le futur écrivain du Voyage au bout de la nuit partagea son
temps entre les stages hospitaliers imposés par la faculté, les premiers
remplacements en cabinet – qu’il effectua principalement à Rennes, et
la fréquentation épisodique et tardive de l’Institut Pasteur.
Parallèlement, il préparait les examens ponctuant le cycle alors très
court des études médicales et allait enfin mettre en chantier la plus
jeune de ses œuvres: Semmelweis, à la fois travail de thèse et
texte sensible où se conjuguent fougueusement médecine et poésie. Au beau
milieu de cette studieuse année, entre deux vacations bretonnes, Louis
Destouches fit un court voyage dans les Ardennes, le temps d'un remplacement
d'été. Cet épisode méconnu de la vie du bon docteur ne manqua pas
d'interpeller la communauté littéraire ardennaise menée par l'écrivain
et poète Jean-Paul Vaillant (1897-1970) qui, environ un an après la sortie
événement du Voyage au bout de la nuit (1932), glissa dans les
colonnes de sa revue La Grive un court article en forme d’hommage
à celui qui, dix ans plus tôt, n’était qu’un modeste médecin
remplaçant.
Renoncements visionnaires,
fuites imprudentes, courageux périples et petites lâchetés rythmèrent
sans trêve les six décades du grand Céline. Son œuvre littéraire, sorte
de grande fresque dansante dictée par une émotion crue, retranscrit en les
magnifiant les faiblesses et les grandeurs du personnage: humanisme
forcené, lucide et imparfait, joie maniaque de raconter la vie sous l’angle
du paradoxe, tentations idéologiques, frustrations enfantines et amour d’un
art qui convoque et consume tout en même temps l’envie, le rêve et l’espoir.
Universellement applaudi à la naissance du Voyage au bout de la nuit
(1932), Céline devint, après cinq ans d'une gloire méritée, le salaud
paradoxal des pamphlets (Bagatelles pour un massacre, L’École
des cadavres, Mea culpa). Assimilé pour toujours à ses
inexcusables délires antisémites, celui qui ne collabora jamais,
nonobstant les accusations de certains, connut après-guerre quinze années
ingrates baignées de prison, d'oubli, puis de Pléiade rédemptrice.
Jusqu'au bout de ce chaotique parcours, Céline demeura obstinément fidèle
à Asclépios. Sa carrière médicale ressemble d'ailleurs à une
perpétuelle hésitation : du cabinet de quartier au dispensaire de
banlieue, puis des missions intercontinentales pour la Société des Nations
(auprès du Pr Ludwik Rajchman [1881-1965] qui fut le fondateur historique
de l'Unicef et le promoteur de la future Organisation Mondiale de la Santé)
aux sentiers de l'exode à la fin de la guerre, avant les ultimes
consultations bénévoles dispensées dans sa demeure de Meudon où il
acheva sa vie, le Dr Destouches fut un praticien aussi passionné
qu'éparpillé, parfois improvisé, souvent démuni. Tour à tour
correspondant régulier de la grande presse médicale, médecin de
laboratoire pharmaceutique ou hygiéniste voyageur invité à découvrir et
commenter les outils de recherche les plus modernes, il collabora activement
au progrès scientifique de son temps. Mais, au-delà des études de
populations, de microbes ou de maladies qui occupèrent sans relâche les
jeunes jours de sa carrière médicale, c'est bien l'homme, entité ô
combien obscure et impénétrable, que Louis Destouches ne cessa jamais
d'ausculter de sa plume, et c'est à lui et à lui seul qu'il voua l'œuvre
de toute sa vie.
Une année entre Seine et
océan
1923 mit un point final aux
années de formation théorique et pratique du jeune clinicien. De la
faculté de Rennes, où débutèrent ses études, à celle de Paris, qui
l'accueillit pour sa quatrième année dès l'hiver 1922, Louis enchaîna
sans répit, au fil des mois qui passèrent, les stages hospitaliers et les
examens de clinique médicale. En ce début d'année où les éditorialistes
n'avaient de titres que pour la Ruhr occupée, la nomadite chronique,
que Louis avait contractée dès l'adolescence et qui le mena quelques
années plus tôt de Paris à Soho et de Douala à Rennes, semblait en phase
de rémission ; pour les beaux yeux de la bretonne Édith Follet, épousée
à Quintin en août 1919, notre impétrant avait provisoirement élu
domicile à Rennes. Là, dans le feutre d'une conjugalité placide et
cossue, à l'abris de hautes pierres encore toutes humides des larmes
mêlées d'une souveraine sacrifiée et, plus tard, du premier sang de la
Révolution, il regardait grandir une petite fille qui avait à peu près
l'âge de ses études. Bientôt, Louis laisserait pouloper à nouveau
sa jeunesse ambitieuse au gré des métropoles et des exotismes. Pour
l'heure, il était contraint de se diviser entre une capitale où le
réclamaient les ultimes examens universitaires, et une province bretonne
qui lui offrait ses premiers engagements professionnels et familiaux.
En janvier, Louis fut accueilli comme
stagiaire dans le service chirurgical du Professeur Delbet à l'hôpital
Cochin. Durant les mois qui suivirent, les examens de doctorats, qu'il vit
sanctionnés par des résultats souvent inégaux, le plongèrent dans un
labeur dont il n'émergea qu'à l'aube de l'été. En juin, il reçut du
doyen de la Faculté de Paris l'autorisation de soutenir une thèse
universitaire. À partir de ce moment et jusqu’au premier mai 1924 - date
à laquelle il obtint son doctorat -, Louis s’attela à la préparation d’une
biographie de l’obstétricien hongrois Filip Ignaz Semmelweis (1818-1865),
découvreur sans doute trop précoce de l’hygiène préventive par le
lavage des mains. L’année qui conduisit notre jeune praticien à la
soutenance de ce beau mémoire fut parsemée d’expériences innovantes et
cruciales: grâce aux remplacements qu’il effectua régulièrement entre
juin 1923 et juin 1924, la médecine devenait enfin la concrète compagne de
son quotidien. Pour la première fois, le Dr Destouches se
retrouvait seul face aux patients, armé de son bon sens clinique et de
quelques livres, loin des lumières consolatrices de l'hôpital et des
dogmes rassurants de la Faculté.
«Les remplacements, les
dévouements. à la ville, en province, aux champs, parcouru bien des
sentiers, escaladé bien des étages, tout fervent de l'art de guérir,
panser, consoler, accoucher, prescrire, peloter aussi. Sus à la douleur!
aux microbes! à la fatigue! à la mort! à vingt-cinq formes de désespoir
au moins!... Ah, résumation, tribulations! nèfles! crottes! bon Dieu!
Petits profits, gros avatars! Partout mes plumes !...»
1
Le premier juin, ayant
brillamment réussi le passage de son cinquième et dernier examen clinique,
Louis démarra sa première vacation libérale dans le cabinet du Dr Porée,
au 5 quai Lamennais à Rennes.
«De Rennes à Paris, écrit Frédéric Vitoux, Louis oscilla donc
sans cesse» et «consacra la seconde moitié de l’année à
des remplacements» 2. Pourtant, au beau milieu d'un
été qui allait se poursuivre dans la clinique rennaise du Professeur
Follet (alors beau-père de Louis) jusqu'à l'automne, avant d'emprunter, au
seuil de l'hiver, les corridors de l'Institut Pasteur, notre apprenti
praticien décida de renoncer quelque temps à ses engagements rennaiset
trompa, durant la dernière quinzaine de juillet, sa ronflante Bretagne avec
une sauvageonne au charme rugueux: l'Ardenne.
Les trois mois de galopade absurde qu'il sacrifia, durant l'automne 1914, à
un 12ème Cuirassiers peu enclin à poursuivre le front du nord,
lui avaient tout juste permis de frôler le sud, puis l'est des Ardennes.
Les martiales prémisses du Voyagebout de la nuit s'en souviendraient
quelques années plus tard :
« Dis donc, Kersuzon, que
je lui dis, c’est les Ardennes ici tu sais… Tu ne vois rien toi loin
devant nous? Moi, je ne vois rien du tout…
- C’est tout noir comme un cul,
qu’il m’a répondu Kersuzon. Ça suffisait... »
3
Si les Ardennes de Bardamu
sentaient encore le canon, celles de Bagatelles pour un massacre
(1937), brandies par un Ferdinand que l'indifférence générale à la
montée de l'hitlérisme rendait fébrile, allaient prendre des véritables
allures de représailles:
«[…] toi t’iras voir
dans les Ardennes, te rendre compte un petit peu, de l’imitation des
oiseaux par les petites balles si furtives… si bien piaulantes au vent…
des vrais rossignols, je t’assure… qui viendront picorer ta tête…»
4
Quatorze ans plus tôt, entre
deux apocalypses, Louis partit découvrir au grand jour les reliefs et les
profondeurs un nord-est voluptueusement enfoui dans le tortueux sillon de la
basse vallée. Il y retrouva une vieille connaissance: la Meuse, dont
il avait croisé le chenal variqueux entre nuit et rafales à l'époque de
la 7ème division de cavalerie. Le 16 juillet 1923, ce fut une
Meuse plus sereine qui accueillit notre remplaçant voyageur. Une Meuse dont
les berges armées de hauts rocs et de bois arides se laissaient à présent
contempler sans répliques de mitraille, sans ruptures d'éclairs, sans
embuscades ni balles perdues. Des eaux désormais pacifiques
tourbillonnaient au creux du gigantesque écrin qui s'écartelait pour
offrir au regard de Louis l'étrange coquetterie d'une ville en forme de
pont.
Quelle force, quelle envie poussa notre remplaçant à venir s'égarer au
hasard des ruelles pentues de ce petit bourg industriel que Georges Sand, un
demi-siècle plutôt, baptisa de serruriers? La lecture passionnée
des mémoires de la grande dame, dont Louis était particulièrement friand,
lui en souffla-t-il l’inspiration? Voulait-il, à l’occasion de cette
vacation Revinoise, s’offrir un pèlerinage respectueux sur les
romanesques chemins du Malgrétout? Le Dr Boucher, que Louis
venait alors remplacer, lui fut-il vivement recommandé par un confrère
parisien ou rennais? Une chose est certaine aujourd’hui : à l'ombre de
ses heures bretonnes, le Dr Destouches vint par quelques beaux
jours ensoleillés dispenser une science médicale aussi neuve que
vigoureuse dans le cœur altier de la vallée de la Meuse.
Des traces émouvantes
Officiel organe d'une
communauté littéraire qui fit se côtoyer les plus fines plumes
ardennaises - du conteur Jean-Paul Vaillant (1897-1970) au poète René Char
(1907-1988), en passant par le romancier André Dhôtel (1900-1991), le
périodique La Grive nous offre la première trace historique du
passage de Louis Destouches dans les Ardennes. En avril 1933, soit environ d’un
an après la parution retentissante du Voyage au bout de la nuit
(1932), un court article rendit hommage à cet épisode méconnu de la vie
d'un médecin devenait désormais célèbre :
« Louis-Ferdinand Céline
(Dr Destouches) a habité Revin en juillet-août 1923. Il y
remplaçait le Dr Boucher. Contrairement aux affirmations de
presque toute la critique, son Voyage au bout de la nuit n’est
nullement une autobiographie. Les Revinois qui ont connu le Dr
Destouches ont gardé le souvenir non pas d'un Bardamu, mais d'un garçon
très sympathique et très distingué, n'ayant en commun avec son héros que
l'amour du paradoxe. Le peuple ardennais a discerné en lui un type: un type
original qui osait traverser la rue Victor Hugo à purette. Un jour qu'il
voulait ausculter le côté droit d'une bonne vieille perchée dans un de
ces vieux lits ardennais hauts sur pattes – ce côté droit étant celui
du mur, le docteur était fort embarrassé. Ne pouvant déplacer le lit tout
seul, il fit un bond par-dessus la brave femme, et put ainsi accomplir
scrupuleusement son devoir professionnel. La pauvre a survécu quelques mois
à ce traitement acrobatique» 5.
Du 16 au 30 juillet 1923,
Louis Destouches tint une consultation quotidienne au cabinet du Dr
Boucher, situé au numéro 54 de la rue Victor Hugo. Les visites de malades
à domicile, qu'il fit «bras de chemise» nous précisent les anonymes
témoins de La Grive, lui permirent de se familiariser avec les mœurs
locales; sans doute put-il longuement se régaler d'un patois d'où
rejaillissaient parfois, au détour d'un «l’gamin avot attrapé une
déclichette à li vider tous les boyaux»ou d’un «n’avot mie d’sous
pou’ aller woir lu médecin», quelques lointaines résonances d’une
verve rabelaisienne si douce aux oreilles du futur Céline. Le verbe coloré
et gaudriolant des sangliers constitua sans doute un excellent repas
spirituel pour la plume gourmande de celui dont le style, au moment où s’ébauchait
La vie et l’œuvre de P. I. Semmelweis, conservait encore une
élégance toute académique.
Au quotidien de l'omnipraticien, fait de rendez-vous, d'imprévus,
d'attentes et de réveils nocturnes, Revin ajoutait deux ingrédients
supplémentaires: le travail en milieu semi-rural et la proximité des
fonderies industrielles, grandes pourvoyeuses de pathologies en tous genres.
Depuis les grandes réformes médicosociales de la Belle Époque – et
particulièrement depuis la loi de 1898 sur la législation des accidents du
travail, les ouvriers bénéficiaient enfin d'une indemnisation, par
l'employeur, des soins de blessures ou de maux que les heures d'atelier
pouvaient occasionner. Revin, ville réputée depuis la fin du XIXème
siècle pour un parc métallurgique que la Grande Guerre avait partiellement
ravagé, connaissait alors une période de reprise florissante. Relancées
à plein régime par des industriels aussi créatifs qu'ambitieux, les
fonderies Martin, Grosclaude ou Faure ouvraient toutes
grandes leurs gueules pour happer une main d'œuvre provenant aux
trois-quarts de la région et, pour le reste, du grand flux des immigrés de
Pologne, d'Allemagne ou d’Italie. La croissance industrielle, oublieuse
pressée des atrocités d’une Grande Guerre encore tiède, réclamait à
présent sa chair à canon. Insatiable, elle ne rechignait pas à en
déraciner au passage quelques milliers, charriant avec eux autant d’espoirs,
de frayeurs, d’ignorances et d’incurables nostalgies. Les premières
bagarres racistes, auxquelles le Petit Ardennais donnait un écho
parfois complaisant, grevaient à leur façon le bilan de la morbidité
ouvrière locale.
Des mouleurs, des râpeuses, des monteurs, des émailleurs, des manœuvres
de toutes nationalités, sournoisement égratignés par un chaudron chauffé
à blanc, vinrent s'en remettre chaque jour aux bons soins de l'élégant
remplaçant. Et Louis en diagnostiqua des accidents d'usine! Piqûres de la
main, contusions du globe oculaire, lumbagos, blessures complexes, coliques
saturnines. L'homme qui signait à l'encre violette «Dr
Destouches r[emplaçant] Boucher» au bas des imprimés municipaux
examina, palpa, ausculta, pansa et mis au repos un nombre respectable de
victimes de l’acier. Si l’époque avait imposé le secret médical, des
traces écrites de ces actes eussent été difficiles à retrouver; mais
heureusement, si l’on peut dire, et alors qu’ils ne concernent aujourd’hui
que le salarié, l’employeur et la caisse d’assurance maladie, les
accidents du travail faisaient à cette époque l’objet d’un bordereau
rempli par le secrétaire de mairie suivi par une parution détaillée dans
le Petit Ardennais.
Ce furent là sans doute les premiers vrais contacts de Louis avec le
domaine passionnant et complexe de la médecine du travail. Quelques années
plus tard, les missions hygiénistes de la S.D.N. l'enverraient dans un
Nouveau Monde où il allait découvrir l'esclavagisme moderne des chaînes
de montage: la vision des usines automobiles de Detroit, peuplées de
précaires, d'invalides ou de canoniques enchaînant à une cadence
infernale une série de gestes décérébrés, imprimerait durablement la
mémoire du médecin et de l'écrivain. En octobre 1928, il adressa à la
Presse médicale un article surprenant dans lequel il affirmait que
l'usine serait un endroit bien plus favorable au diagnostic des maladies
communes que le cabinet : là, pensait-il, les hommes abandonneraient leurs
doléances subjectives (leurs illusions?) pour n'offrir au clinicien que la
nudité de leurs symptômes.
Si la fouille minutieuse des documents locaux ne nous permet pas de savoir
de quelle manière se rencontrèrent les docteurs Boucher et Destouches, une
petite visite aux archives de Charleville-Mézières, puis à la
bibliothèque de Sedan, nous apprend néanmoins que Jules Auguste Boucher
(1877-1952) officia à Revin de 1902 à 1928 sans jamais s'impliquer dans
une quelconque activité politique municipale ou régionale. Au terme
d'études médicales débutées à Paris et achevées à Reims, cet
originaire de Rocroi soutint en 1901 une thèse sur les rapports
conflictuels existant à l'époque entre les médecins belges et français
travaillant dans les communes frontalières: bien avant que les années
cinquante ne donnent à l'Europe une forme plus concrète et des fondements
législatifs, une convention de 1881 autorisait les praticiens des deux
Ardennes à exercer ponctuellement leur art dans quelques communes
limitrophes du pays voisin. Le mémoire enflammé de Jules Boucher accusait
les Esculape de Wallonie de violer systématiquement les frontières et la
convention pour venir se constituer une clientèle française; dénonçant
les pratiques de certains médecins belges, qui «[…] à 4 km et plus
par au-delà de ces limites" et "rendent à jour fixe dans
les auberges des villages français, pour y répandre les bienfaits de leur
science» 6, le thésard se plut à rêver d'une convention
nouvelle qui établirait des sanctions à l'encontre des fraudeurs et
imposerait une équivalence de diplômes. Rendons justice aux frontaliers
qui choisirent de se faire soigner par un médecin belge au début des
années vingt: contrairement à leur confrères de France, ces derniers
délivraient aussitôt les médicaments qu'ils prescrivaient, le tout pour
des tarifs de prestation tout à fait concurrentiels! Ce texte polémique,
seule trace sans doute de Jules Boucher aujourd’hui, a au moins le mérite
de nous éclairer un peu sur la vie du médecin en campagne ardennaise…
Trois ans après l'installation de Jules Boucher, un autre médecin Revinois
terminait la sienne: le Dr Séjournet. Méritant de figurer au
sein des glorieux du panthéon scientifique ardennais, ce praticien publia
de nombreux et intéressants travaux dans la fameuse Union Médicale du
Nord-Est. À la lumière d'observations faites en parcourant les
villages de la basse vallée,ù le mariage consanguin demeura longtemps une
vieille habitude, il étudia les modes de transmission de certaines maladies
héréditaires. À une époque où le microbe ne connaissait point encore de
remède, il défendit ardemment la prometteuse sérothérapie des
pastoriens, tout en se montrant réservé à l'endroit de l'origine
prétendument infectieuse de certaines maladies qu'elle entendait traiter ;
auteur de longues et passionnantes chroniques dans le bulletin médical de
la région, le Dr Séjournet publia également quelques traités
de pathologie bien documentés.
La liste des Ardennais qui défrayèrent l’histoire de la médecine, du
baron Jean-Nicolas Corvisart (1755-1821) au pédiatre Sedanais Robert Debré
(1882-1978), mériterait sans doute une belle encyclopédie; un cardiologue
carolomacérien en fit, il y a quelques années, un admirable petit
dictionnaire 7. L'ubiquitaire Louis Destouches, dont le nom
figure dans l'index de presque tous les traités récents d'histoire de la
médecine, mérite peut-être d'y appartenir.
Les admirateurs de Céline qui auraient envie de se laisser héler par le
doux racolage des dames de Meuse jusqu'aux berges de Revin iront d'abord se
rafraîchir, à l'orée de la ville, des verdeurs charmantes du parc
Rocheteau; là, entre arbrisseaux et pierres usées, ils trouveront les
archives de M. François Lorent où dorment les précieux feuillets noircis
par le Dr Destouches. Ayant traversé le pont, les aventureux pouloperont
à loisir au gré des bas et des hauts d'une rue Victor Hugo tendue d’un
quai de Meuse l’autre. Ils pourront pénétrer dans l'épaisse
bâtisse qui se tient au 54, aujourd'hui résidence de monsieur le Maire.
Ils constateront qu'à pied, muni de quelques papiers et d'une pesante
sacoche de cuir brun, sous un suant soleil de pleine campagne, il
vaut mieux renoncer au complet élégant et courir chez le malade à
purette.
Stéphane BALCEROWIAK
1. Féerie pour une autre
fois, Paris, Gallimard, 1995, p. 37.
2. Frédéric Vitoux, La vie de Céline, Paris, Grasset et Fasquelle,
2005, pp. 237-238.
3. Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, 1996, p. 28.
4. Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p. 184.
5. Richart, «Dr Destouches et les Ardennes», La Grive,
n° 20, avril 1933, p. 39.
6. Jules Boucher, De l’exercice de la médecine sur la frontière
franco-belge, Paris, Vigot frères, 1901, pp. 14-15.
7. M. Touche, Médecins ardennais d’hier et d’aujourd’hui,
Charleville, S.O.P.A.I.C., 1993.
|