Robert Lesbounit (1)
Henri Mahé aux Beaux Arts

 

    Je sais, parce que cela est certain, que le mot figé sur le papier trahira le mot senti, qui part comme ça, dans l'air, vers l'ami d'un ami, d'un très grand ami, de cette amitié que l'on porte en soi, cinquante années durant, durant toute une absence, durant lesquelles la vie s'est distendue, battue, recroquevillée, mais qui, dans son aboutissement, refuse la fin, sa fin à lui, cette fin que je n'accepte pas, non parce qu'elle me révolte, mais parce qu'elle n'est pas vraie !

    J'ai connu Henri Mahé aux Beaux-Arts, dans l'atelier d'Ernest Laurent. Il y avait alors ceux qui revenaient de la guerre 14-18, la "Grande Guerre" comme on disait, parce que dans l'esprit des Déroulède d'alors, c'était quand même mieux de mourir dans une grande guerre que dans une petite. Donc, il y avait les anciens et nous autres. Donc, qu'on le veuille ou non : deux clans. Et au milieu de tout cela : Henri Mahé, peintre.

    Peintre né, - il n'en peut être autrement -, puisqu'il savait déjà ! Il savait son métier, - celui dont parle Delacroix dans son Journal, - et tout lui paraissait facile. Et tout était facile pour lui, puisqu'il avait tous les dons. Beau, intelligent, sensible et déjà cultivé, il "était " et il "savait ". Nous nous cherchions encore des influences dans les Maîtres, et ce que nous réalisions sentait l'interrogation, l'effort, la violence aussi à vouloir démontrer, prouver. Lui, il savait totalement et simplement.

    Il savait donc déjà ! Admiré, envié aussi par ses condisciples, il peignait tranquillement, sûrement. Il savait déjà, qu'en peinture le dessin se fait par les contrastes de couleurs et de matières. Il avait ce sens inné de l'harmonie, des dominantes colorées. Il était le peintre. Admiré. Jalousé aussi. Il était celui qui pouvait passer du tableau de chevalet aux grandes surfaces monumentales, ce don si rare, ce don qui était le sien. Ces fresques qui dansent et tiennent quarante ans après contre le temps, les gens, la rue, les fumées, et tout.

    C'est tout simple, c'est dit, ça n'est pas mon métier, et au fond, ce qui compte, c'est ce qu'on ne dit pas. Parce qu'il est indécent, pour un peintre, de parler peinture. Peut-être aussi parce que c' est trop difficile.

Robert Lesbounit, Avril 1978

 

(1) R. Lesbounit (Paris, 1904-1981 ?). Ecoles des Arts décoratifs et des Beaux-Arts en 1922. Enseigne le dessin dès 1929 : Manufacture des Gobelins, Ecole d'art et de publicité, cours Montparnasse 80. Fresques gravées et peintes aux églises de Montrouge et de Villepreux, mosaïques a l'hôpital d'Argenteuil, à la raffinerie de Fos-sur-Mer et à l'usine Renault de Flins.