Lettre de Georges Arzel(1)
à Éric Mazet
Je connaissais très peu Henri Mahé avant la Libération, et contrairement à ce quil écrit dans La Brinquebale avec Céline, je nétais pas chef de cabinet du Préfet pendant la guerre. Je n'ai occupé ce poste qu'après la Libération, en août 1944. Jusque-là, je m'occupais surtout de Résistance, et n'avais guère le temps de baguenauder dans les rues de Quimper. J'ai tout de même rencontré une fois avec mon ami Mourlet, Céline et le Dr Tuset, qui arpentaient la rue Kéréon. C'était en plein hiver, et je me souviens bien du pantalon clair et tire-bouchonné de Céline, et de son chapeau qu'on aurait dit cabossé et verdi par les embruns de Camaret d'où, je crois, il venait, et où il devait repartir le soir même. Comme Mourlet et moi-même lui faisions le reproche décrire dans les journaux pro-allemands, il se fâcha tout rouge et pointa sa canne sur Mourlet en lui criant "Montre-moi, si tu le trouves, un article de moi dans ces torchons, et pour te montrer que je n'aime pas les "Boches", viens qu'on en butte un !". Henri n'était pas là, et ce n'est qu'à la Libération que je le retrouvais, notamment lorsqu'il était venu me demander des bons de pneus et d'essence pour Marcel Achard je crois, et non pour Stève Passeur. A la Préfecture, je n'ai pas retrouvé de trace d'une intervention de Céline en faveur d'un condamné à mort par les Allemands. S'il était intervenu, je suis sûr que le Dr Tuset, que je voyais à ce moment-là tous les jours, me l'aurait dit. Henri Mahé ne connaissait rien à la politique qu'il avait en horreur, et mettait à peu près tout le monde dans le même sac. Il s'était aussi lié d'amitié avec Branchoux, chef du 2ème bureau FFI, chargé de traquer les collaborateurs. C'est dire qu'on n'avait rien à lui reprocher. Seuls les milieux parisiens du cinéma lui reprochaient d'avoir continué a travailler pendant la guerre alors que les Juifs, qui y étaient nombreux avant la guerre, en étaient fatalement exclus à cette période. J'ai revu ensuite Henri à Cannes(2) lors d'une exposition qu'il avait faite, et pour laquelle il était plein d'espoirs, qui hélas ne se réalisèrent pas. Je le revis ensuite rue Greuze où, d'après Marine(3), c'était le crique perpétuel. Ce l'était en effet, car c'était le temps où Henri cachait ses ennuis financiers et ses déceptions professionnelles sous une gaieté énorme. J'y passais presque tous les jours en allant à la Mairie. Un soir, il était avec une jeune femme qui était, paraît-il, comtesse, et après m'avoir présenté, il lui demanda, lui ordonna plutôt, car il avait un certain magnétisme auprès des femmes : "Montre ton cul à Monsieur le Maire". La comtesse, surprise mais sans doute ravie, obéit sur le champ, se retourna, souleva ses jupes et baissant sa culotte, montra ce qu'on lui disait de montrer puis se reculotta et continua la conversation avec beaucoup de naturel. C'est vous dire 1'ambiance de l'atelier. Les conversations avec Henri étaient toujours animées et diverses. Axées très souvent sur les choses mystérieuses, car il était resté très Breton d'esprit et s'intéressait beaucoup aux sciences ésotériques, à la médecine parallèle, et à la graphologie. Jamais, quels que soient les événements, il ne parlait de politique. Il n'a d'ailleurs jamais voté, et n'avait aucun sens civique. C'était un curieux mélange, mélange parfois détonant, de grossièreté, de pudique délicatesse, d'originalité, et quelque fois de douceur tendre. C'est ainsi qu'il nous avait écrit d'Amérique à l'occasion de la mort de ma vieille nourrice que nous avions recueillie chez nous à la mort de mon père (elle était restée chez mes parents pendant 65 ans), une lettre très touchante et très affectueuse. Il écrivait "Elle est partie, comme elle avait vécue, très doucement, sans faire de bruit, comme une pudique douceur, une caresse lointaine". C'était une bigoudenne et Henri la connaissait bien. Pour moi, c'était un ami très fidèle et très sûr. Je ne suis pas de ceux qui font des romans à partir de souvenirs souvent imprécis.
G. ARZEL
(1) Membre de la Résistance à Quimper pendant l'Occupation, chef de
cabinet du préfet à la Libération, maire du XVIème arrondissement dans les années 70.
(2) Dans les salons de l'hôtel Martinez.
(3) Fille aînée de Mahé née en 1942.