In memoriam Alphonse Juilland

 

Quelques jours après le solstice d'été 2000, mourait en Californie Alphonse Juilland, professeur émérite à l'Université de Stanford, philologue de renommée mondiale, éminent célinien, sportif accompli et recordman, homme au grand cœur.

Il fut l'élève d'André Martinet, le traducteur de Mircea Eliade, le collègue de Michel Serres et de René Girard, l'ami d'Emil Cioran. Selon le mot magnifique dû à Lucien de Samosate, il était un kosmopolites – un citoyen du monde.

Tout comme son écrivain préféré Louis-Ferdinand Céline, il avait cette "facilité pour les langues" qu'il captait, lui aussi, "plein cœur !... au rythme !". Tout comme Céline, il a connu, dans son métier, "cinquante ans de labeur féroce, inventions, conscience et honneur"...

Alphonse Juilland était l'un des pionniers de la recherche linguistique assistée par ordinateur et un spécialiste sans pareil de la morphologie célinienne. C'est également lui qui a révélé aux admirateurs de Céline le mystère Elizabeth Craig, ayant découvert l'égérie de l'écrivain au fin fond des États-Unis.

À Stanford, il a fondé Montparnasse Publications, maison d'édition où il faisait paraître les joyaux de sa recherche célinienne. Nous avons fait une promenade à Montparnasse ensemble, un soir de printemps, en 1995. Alphonse Juilland évoquait le Paris du temps de sa jeunesse, ses années d'études à la Sorbonne, son amour pour ce quartier quasi mythique, la Toscane et la Provence où il rêvait de s'installer...

Or, le destin en a décidé autrement : le professeur Juilland n'est plus jamais revenu en Europe. Seule, sa "Fontanella di Trevi", comme il la nommait tendrement, lui rappelait ses pérégrinations européennes et attirait au jardin les raccoons – Isabelle, Maggie et leurs petits – , puis les pigeons bruyants. Avec sa femme Ica, il nourrissait et soignait tout ce petit monde. Encore un point commun avec Céline !

"J'adore les animaux, avouait l'érudit dans ses lettres, surtout les petits et les blessés... Consolation : oiseaux pendant la journée, animaux pendant la nuit".

Le professeur Juilland se couchait, en effet, très tard : la nuit, il caressait ses mille et un projets. Il espérait terminer Les verbes de Céline, Les adjectifs de Céline, d'autres ouvrages, comme le Dictionnaire d'idées de "notre coryphée", et aussi ce texte magistral sur l'avenir de l'athlétisme – , une bonne demi-douzaine de volumes aujourd'hui en souffrance...

Les Parques ont coupé le fil de sa vie terrestre un jour où l'été était dans toute sa splendeur. Non loin de sa maison du campus, des essaims d'étudiants de Stanford bourdonnaient partout, dans les divers départements, ainsi qu'à La Maison française et à La Casa italiana fondées par lui.

Deux semaines plus tard, sous le signe de l' "éternel retour", est né son petit-fils. Il a reçu le nom d'Adrian Alphonse.

 

Arina ISTRATOVA