Le génie créateur de Céline

 

C’est en 1994, à l’occasion du centenaire de la naissance de Céline, qu’Alphonse Juilland avait bien voulu répondre à notre enquête : "En quoi Céline est-il, selon vous, un grand écrivain ? "

Aucun aspect de la langue française n'a "échappé", si j'ose dire, au génie créateur de Céline, qui a laissé partout son empreinte.

Phonétique. Cet "homme d'oreille" a été le plus grand créateur d'onomatopées non seulement de la littérature française, mais de toutes les littératures. Vivement un inventaire exhaustif des milliers de "bruits de Céline", partie intégrante de sa "petite musique".

Morphologie. Inventeur de plus de 6.000 néologismes, Céline a été le plus grand créateur de mots de toutes les littératures, et je n'oublie pas Joyce.

Syntaxe. A libéré la phrase française du corset de la langue littéraire en lui faisant épouser les rythmes du français parlé.

Vocabulaire. A ouvert les portes et fenêtres du vocabulaire littéraire aux courants d'air rafraîchissants des argots, des dialectes, des langues étrangères.

Structure du roman. A bouleversé l'ordre chronologique du récit romanesque et "mixé" des styles et registres supposés disparates en une mosaïque sans précédent dans notre littérature.

Dans l'ensemble, la contribution la plus importante de Céline a été de transformer l'inventaire de mots qu'était le français consigné dans les pages du Dictionnaire de l'Académie en une machine à mots capable de renouveler ses ressources expressives par des créations inédites, un peu comme l'anglais ou l'allemand de nos jours, mais surtout comme le français au Moyen Âge.

Pour quelqu'un qui a quitté la France il y a une quarantaine d'années, ce qui frappe le plus, ce n'est pas de retrouver Céline un peu partout dans les pages des romans contemporains, mais surtout dans celles des journaux, hebdomadaires et périodiques. Ni L'Express, ni Le Point, ni Le Nouvel observateur ne pourraient s'écrire comme ils s'écrivent aujourd'hui s'il n'y avait pas eu Céline.

 

Alphonse JUILLAND