Éditorial, Le Bulletin célinien n°213 (10/2000)

 

Alphonse Juilland fut l'invité d'honneur de la Journée Céline en mai 1995, tout auréolé de sa gloire célinienne : celle d'avoir découvert Elizabeth Craig, puis d'avoir vu cette fabuleuse somme sur Elizabeth et Louis traduite et publiée par Gallimard. Le fait d'être édité par la prestigieuse maison l'émerveillait comme un enfant.

La dette que nous avons contractée envers Alphonse Juilland est immense. Ses travaux sur les néologismes céliniens constituent une analyse stylistique d'une richesse inégalable. Sans compter le bonheur de lecture. C'est aussi ce que pensait son ami Cioran, qui lui écrivait : " Tous ces mots, quelle nourriture ! Cela vous fortifie, vous libère du cafard, vous réconcilie avec tout ce que le quotidien comporte d'intolérable. Un stimulant ! Il faudrait que les psychiatres en proposent l'usage."

Partant de l'idée qu'il est préférable de rendre hommage aux gens méritants de leur vivant, nous lui avions consacré, en juillet 1994, un petit dossier composé de différentes études et témoignages. On en retrouvera quelques-uns dans ce numéro, ainsi que d'autres, inédits.

Outre les mérites incontestés d'Alphonse Juilland dans le domaine célinien, il convient de souligner aussi ses qualités de cœur, cet humanisme souriant qui était le sien. Très affecté par le décès de son épouse survenu il y a trois ans, il m'avait écrit à la veille de Noël 1999 une lettre bien émouvante : " Pardonnez mon silence. Il serait trop long et oiseux de vous raconter les déboires qui m'ont affecté ces derniers temps. J'espère quand même revenir à mes moutons dans quelques mois et, Deo volente, vous revoir en l'an 2000. Il faut d'ailleurs que je me dépêche, car le temps file – , j'ai fêté, pour ainsi dire, mon 77ème anniversaire il y a quelques mois – , et il me reste encore pas mal de pain célinien sur la planche. C'est grave, car Céline m'a prévenu dans son motto aux Bagatelles, je crois, qu' "Il est vilain, [qu'] il n'ira pas au Paradis celui qui décédera sans avoir réglé ses comptes". Or, pour moi, régler mes comptes, c'est mener à bon terme une demi-douzaine de volumes en souffrance sur les néologismes inventés par Céline. Et comme j'ai très envie d'aller au Paradis pour y retrouver ma femme, qui devra m'y attendre pendant les quelques millénaires de Purgatoire que j'ai accumulés le long des années, il faudra que je me remette au travail sans trop tarder."

On retrouve dans ce message toute l'ironie et la tendresse d'un homme que nous étions quelques-uns à admirer et à aimer tout à la fois.

Nous n'oublierons pas Alphonse Juilland.

 

Marc LAUDELOUT