Lettre ouverte à Céline [1934] Charles Rickard avait
vingt ans lorsqu’après la découverte de l’Hommage à Zola, il
publia une lettre ouverte dans une éphémère revue, Holàhée !,
" journal mensuel de la nouvelle génération ", et ce, dans
un numéro spécial consacré à Stavisky.
...Notre
" Spécial Stavisky " publiait aussi, en éditorial,
ma "Lettre ouverte à Louis-Ferdinand Céline". " Vous écrivez, Céline que j’admire, vous écrivez que la jeunesse, au sens romantique du mot, n’existe pas. " Je ne vois en fait de jeunesse qu’une mobilisation d’ardeurs apéritives, sportives, spectaculaires, automobiles, mais rien de neuf. " Bourrage de crâne six jours sur sept, le ciné, le stade ou les filles et, au bout de quelques années de ce régime, le diplôme qui vous marque au coin comme une méchante pièce de cent sous pur nickel, tel est le sort des étudiants, devez-vous penser. Le ciné mis à part, ça s’est toujours passé comme ça, on a toujours dit que la nouvelle génération allait tout chambarder, tout changer, et la nouvelle génération est devenue la vieille génération à la barbe du malheur, sans oser y toucher. Bien extravagants sont ceux qui comptent sur la jeunesse pour opérer un relèvement que personne n’a jamais défini, mais dont tout le monde parle. La panacée universelle de la jeunesse est un mythe qui a assez duré... Vous êtes le seul à vous exprimer ainsi ou à peu près, Céline, et c’est pourquoi c’est à vous que je m’adresse. Quand le ministre Chéron a suspendu le recrutement des fonctionnaires, les soi-disant défenseurs de la jeunesse ont écrit de longues tartines intitulées : le drame de la nouvelle génération. "La jeunesse peut changer la face du monde, lisait-on, mais il faut lui donner les moyens et ne pas l’empêcher de s’établir aux postes qu’elle mérite..." Quelle erreur !... Dès qu’un étudiant, devenu rond-de-cuir, est casé dans un petit trou de province, c’en est fini des espoirs de changement. Le poste, c’est une assurance pour le statu-quo. Si tous les Allemands avaient eu des postes, Hitler serait encore peintre en bâtiment. Le manque de postes, voyez-vous, Céline, ça c’est du nouveau pour la jeunesse d’aujourd’hui. J’ai bien peur qu’il n’en résulte du vilain, mais en tout cas, encore quelques décrets Chéron, et le changement ne tardera pas à se produire. Sans doute, direz-vous qu’il n’y a là qu’un réflexe de malheureux, crevant de faim, qui lutte pour son beefsteak et qui se déclare prêt à tout abandonner à partir du moment où il n’a plus rien à perdre. "Rien de neuf". Or, je veux précisément vous montrer qu’il y a quelque chose de nouveau dans cette attitude. Ce fameux drame de la jeunesse d’aujourd’hui, dont on nous rebat les oreilles, n’est pas seulement une question d’ "Arbeit und Brot", de travail et de pain, de chômage en col blanc, il y faut voir l’expression d’un profond dégoût, auquel vous n’avez fait que contribuer, Céline, dégoût à l’égard de la petite popote du médecin, du receveur de l’enregistrement ou du professeur chahuté. Jadis la place, le poste, la situation, la position, la carrière, on ne voyait pas plus loin que cela... Le bureau, les pantoufles, la robe de chambre, le tramway quatre fois par jour, puis, plus tard, quand on serait "arrivé", la voiture particulière, la redingote, la Légion d’honneur, la petite épouse et le petit enfant... Voilà tout ce que l’étudiant pouvait rêver dans sa mansarde, au temps où Murger écrivait le Pays Latin. Aujourd’hui Marius a crié : "J’ai envie d’ailleurs", et les jeunes aussi pensent qu’ils ont envie d’ailleurs. Quand les portes des administrations se sont fermées devant eux, ils ont hurlé comme des loups, mais au fond, que diable allaient-ils faire dans cette galère puisqu’ils avaient envie d’ailleurs ? Tout le drame de la jeunesse, c’est qu’elle ne sait pas où est cet ailleurs. Le plus beau, c’est que tout en jouant son destin, la nouvelle génération n’en continue pas moins à rire, à rire, quitte à se faire taxer de légèreté ou d’inconscience ou d’inconvenance par tous ceux qui n’ont pas connu cet état d’esprit quand ils étaient jeunes parce que précisément cet état d’esprit n’existait pas encore. Sans doute, ce n’est pas le rire qui est nouveau, ce n’est pas la situation non plus qui est tout à fait nouvelle, mais ce qui est neuf, c’est ce rire dans cette situation, ce rire éclatant ; ce rire sincère, qui n’est pas celui de Paillasse, de Figaro, de Bardamu, qui est celui de la jeunesse et qui fera crever la misère du désespoir parce qu’il ne lui fait pas l’honneur d’y prendre garde ! " Charles RICKARD Cette "Lettre ouverte à
L.-F. Céline" parut dans la revue Holàhée ! en janvier 1934 sous
le titre " Oui, la jeunesse !... ".
Jeunesse Les propos de Céline sur la
jeunesse qui heurtèrent le jeune Charles Rickard figurent dans cet
Hommage à Zola publié en octobre 1933 par l’hebdomadaire Marianne.
Extrait. L.-F. Céline (Hommage à Zola)
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