Au cœur du Cotentin : Le manoir des Touches de l’Antillière

Dix mai 2002. Au terme d'un petit voyage de découverte dans le Cotentin, nous quittons Saint-Sauveur-le-Vicomte et Barbey-d'Aurevilly pour partir à la recherche de ce qui fut la demeure des ancêtres paternels de Céline, quelque part entre Saint-Lô, Périers et Coutances. Venant du nord, et suivant les indications assez sommaires données par François Gibault ¹, nous prenons à Périers la route de Coutances que nous quittons au bout de trois kilomètres et demi pour suivre celle de Saint-Aubin-du-Perron, paroisse des Des Touches au XVIIIème siècle. Cet itinéraire s' est imposé, mais il en est d'autres, bien sûr, pour les voyageurs venant du sud ou de I’est ². Nous arrivons peu après dans cette petite localité sans avoir aperçu de manoir, contrairement à ce que laissait entendre notre guide livresque. Une conclusion doit en être tirée : l’édifice n'est pas " à bord de route ", comme l'on dit en Haute Bretagne (et peut-être aussi ailleurs).

 

Où se trouve-t-il donc ? Curieusement, le nom de l'Antillière ne paraît pas dire grand’ chose de précis aux premiers habitants de Saint-Aubin que nous questionnons, mais, fort heureusement, l'un d'eux nous apporte une carte d'état-major, et à l'aide de cet instrument de précision, il devient fort simple de localiser notre objectif, très proche du bourg. Il faut tout d'abord reprendre la route de Périers et ensuite suivre un chemin de terre, sur la droite ; à une faible distance, nous trouvons enfin l'Antillière.

Un écriteau avertit les passants de la présence active d'un chien. Cave canem ! C’est avec une légère appréhension que nous nous engageons dans le chemin d'accès à la maison, située en contre-bas du chemin de terre. Mais le propriétaire nous accueille aimablement. Il calme son chien, qui d'ailleurs n'était guère agressif, et je lui expose le but de notre visite. Il n'est pas surpris : " Vous n'êtes pas les premiers ! ". Il nous autorise à prendre une photographie, mais il ne nous propose pas de visiter l'intérieur de sa demeure ; il nous explique : " Cette maison appartenait à ma grand-mère qui, après la guerre, n'avait pas voulu la faire réparer, préférant utiliser le montant de ses dommages de guerre à faire construire autre chose, ailleurs ". Voici pourquoi, il y a une vingtaine d'années, on ne trouvait plus qu’une " bâtisse en ruine, ouverte à tous les vents, couverte de tôles ondulées " ³ , toujours présentes, hélas. Mais la maison a été remise en état, et elle est de nouveau habitée.

Sur le linteau de pierre de la porte principale, on peut toujours lire le nom de Des Touches, la particule étant très nette- ment détachée du reste du patronyme, ce que François Gibault ne semble pas avoir remarqué 4. En son état actuel, le manoir est de dimensions modestes. A-t-il été plus important dans le passé ? La chose n'est pas invraisemblable.

En tout cas, la demeure n'est plus en ruine, après avoir longtemps porté les marques d'une guerre effroyablement meurtrière et destructrice, tout particulièrement dans cette Normandie martyrisée de 1944, où se sont amoncelés les cadavres de non combattants, hommes, femmes et enfants de tous âges 5.

Ce massacre, Céline en a eu la prescience en 1937 et 1938. Il a tenté de toutes ses forces de lutter contre la guerre, et c'est la raison pour laquelle sa plume est devenue celle d'un pamphlétaire, ce que beaucoup ignorent ou veulent ignorer. Il n'avait personnellement rien à gagner en dénonçant avec violence les fauteurs de guerre, mais en agissant comme il l'a fait, il a illustré la devise de ses ancêtres normands : " Plus d’honneur que d’honneurs " 6.

 

Charles-Antoine CARDOT

 

Notes

1. " Sur la route de Saint-Aubin à Périers, près de Coutances, au détour d'un chemin creux... ". François Gibault, Céline, I. Le Temps des espérances (1894-1932), Mercure de France, 1986, p. 22.

2. On peut aussi, à Coutances, prendre la route de Périers que l'on quittera à Saint-Sauveur-Landelin pour gagner Saint-Aubin-du- Perron. Enfin, partant de Saint-Lô, il convient de suivre la route de Périers jusqu'à Saint-Martin-d'Aubigny, d'où on se dirigera vers Saint-Aubin-du-Perron.

3. François Gibault, ibidem.

4. " Avant de mourir en 1878, Aimable Destouches, fermier plus que seigneur de ce lieu, avait fait graver son nom sur le linteau de la porte ". F. Gibault, op. cit., p. 23.

5. Voir notamment Christophe Beaudufe, L’été 1944. Le sacrifice des Normands, Perrin, 1994. Dans le seul département de la Manche, du 1er avril au 30 septembre 1944, on a dénombré 3676 victimes civiles, tuées pour la plupart par les bombes anglo-américaines. Voir Michel Boivin et Bernard Garnier, Les victimes civiles de la Manche dans la bataille de Normandie, CRHQ (Centre de Recherche d’Histoire Quantitative de l’Université de Caen) – Éditions du Lys, 1994, p. 9.

6. Fr. Gibault, op. cit., p. 31.