Bloc-notes,
Mai 2005
Deux livres, dans lesquels Céline tient une place importante, viennent de
paraître. Aucun n’aura les honneurs de la grande presse, et ce, pour des
raisons différentes.
Le premier est cette enquête passionnante sur le meurtre de Robert Denoël
due à une universitaire américaine, A. Louise Staman. Sa traduction
française a paru sous le titre Assassinat d’un éditeur à la
Libération ¹. Certes, le livre n’est pas sans défauts. Ainsi, se
laissant abuser par le langage paroxystique de Céline, l’auteur écrit à
trois reprises, pages 142 et 143, que le pamphlétaire appelle "à l’extermination
des juifs", ce qui est commettre un pénible contresens. Hanté par
l’idée d’une nouvelle guerre franco-allemande qu’il considérait
fratricide, Céline estimait que les juifs, jugés par lui bellicistes,
devraient dans ce cas figurer en première ligne. Langage polémique
dépassant la mesure, certes, mais on est loin de l’invitation au
génocide auquel fait nécessairement penser l’expression utilisée par l’auteur.
Ceci est corrigé, nous assure-t-on, dans la réédition sous presse.
Cette réserve faite, le livre se dévore comme un roman policier, et après
l'avoir lu, l'hypothèse du crime commis par un rôdeur semble peu
crédible. L'éditeur français, Jean-Christophe Pichon, ne craint pas de
comparer Jeanne Loviton à l'Eva de James Hadley Chase ². Ce roman
raconte la passion destructrice d'un écrivain pour une prostituée de luxe.
Celle qui fut, notamment, la maîtresse de Jean Giraudoux, de Paul Valéry
et du malheureux éditeur apparaît, en effet, tel un personnage de roman,
fascinante et dangereuse à la fois. Jusqu'à présent, le livre n'a guère
été commenté dans la presse. C'est le sort qui est réservé aux livres
gênants sur lesquels s'abat une chape de plomb.
On ne parlera pas davantage du Manifeste libertin d’Éric Delcroix.
Présenté comme un " essai révolutionnaire contre l’ordre moral
antiraciste ", il dérange tout autant. Le mot "libertin"
doit se comprendre dans le sens qu’on lui donnait au XVIIIe
siècle: un esprit fort qui se refuse à entretenir et à justifier la
dévotion régnante. L'auteur considère Céline comme un authentique
rebelle qui ne plie pas le genou devant les idoles et les diktats de
l'époque. Le mot " race " a été diabolisé de telle manière
que Céline est aujourd'hui un écrivain maudit. Éric Delcroix, qui le
considère comme un prophète libertin, il est temps de mettre un terme à
ce qu'il nomme la " raciopudibonderie ". On aura compris qu’il
n’est pas sur la même longueur d’ondes que ceux qui voient en Céline
un très grand écrivain, méritant assurément d’être pléiadisé, mais
dont toutes les vues extra-littéraires sont à mettre au rebut.
M. L.
1. A. Louise
Staman, Assassinat d’un éditeur à la Libération. Robert Denoël
(1902-1945), Éd. e-dite, 342 pages (28 €, franco). Disponible auprès
du Bulletin célinien.
2. Dans l'émission "Le Vif du sujet", diffusée le 22 mars 2005
sur France-Culture. Signalons que, le 10 mai, toute l'émission sera
consacrée à Robert Denoël. On pourra ensuite l'écouter sur le site
Internet de France-Culture. Voir détails page 17.
3. Éric Delcroix, Manifeste libertin (Essai révolutionnaire contre l’ordre
moral antiraciste), Éd. L'Æncre (12 rue de la Sourdière, 75001
Paris), 120 pages (18 €).
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