Lettre de Céline à François Mauriac
Le 14 [janvier 1933] ¹
Monsieur,
Vous venez de si loin pour me tendre la main quil faudrait être bien sauvage pour
ne pas être ému par votre lettre.
Que je vous exprime dabord toute ma gratitude un peu émerveillée par un tel
témoignage de bienveillance et de spirituelle sympathie.
Rien cependant ne nous rapproche, rien ne peut nous rapprocher ; vous appartenez à une
autre espèce, vous voyez dautres gens, vous entendez dautres voix. Pour moi,
simplet, Dieu cest un truc pour penser mieux à soi-même et pour ne pas penser aux
hommes, pour déserter en somme superbement.
Voyez combien je suis argileux et vulgaire !
Je suis écrasé par la vie, je veux quon le sache avant den crever, le reste
je men fous, je nai que lambition dune mort peu douloureuse mais
bien lucide et tout le reste cest du yoyo.
Bien sincèrement je vous prie.
Destouches Céline
1. Lettre sur papier à en-tête du dispensaire de Clichy, reproduite par Jean Lacouture dans sa biographie de Mauriac parue en 1980 aux Éditions du Seuil.