Lettre ouverte à Philippe Sollers, célinien
Article paru en mai 1994 dans Le Bulletin célinien

 

    Depuis des années, un de nos fidèles abonnés, M. Wilfred Naar, milite inlassablement pour une édition intégrale de la correspondance de Céline. Il nous prie de publier cette lettre ouverte à Philippe Sollers, fervent admirateur de Céline et directeur de la revue L’Infini qui lui a consacré un numéro spécial, cet automne.

    " J’ai eu l’honneur le 30 janvier dernier de vous prier par écrit de me recevoir dans les bureaux de la Maison Gallimard dans le dessein de vous entretenir d’un problème qui me tient à cœur depuis bien longtemps, à savoir la publication intégrale de la correspondance de Céline.
    Ne m’étant présenté à vous ni comme chercheur, universitaire ou professionnel de la littérature ou de la critique littéraire — je ne suis en effet qu’un courtier maritime en retraite — vous avez sans doute jugé bon de ne pas me répondre. Aussi je remercie bien vivement M. Marc Laudelout d’accueillir cette lettre ouverte dans les colonnes du Bulletin célinien, avec le (secret) espoir que cette publicité pourra faire avancer les choses.
    En préambule j’aimerais préciser que je ne veux en aucun cas participer à la polémique sur les idées de Céline, polémique dont je commence d’ailleurs à me lasser, le problème ici évoqué étant purement d’ordre éditorial.
    Sur le plan littéraire c’est presque devenu une banalité de dire que Céline est pour un grand nombre le plus grand écrivain français de ce siècle (comme Joyce l’est certainement pour les Anglo-Saxons). Ses œuvres romanesques sont publiées, le problème des pamphlets sera certainement résolu à plus ou moins longue échéance. Reste la correspondance éparpillée parmi de nombreux ouvrages, publications, magazines, articles, etc. Il est évident qu’une édition complète serait un excellent outil pour les chercheurs et de nombreux lecteurs, sans doute beaucoup plus que l’on pourrait croire, y trouveraient au hasard des pages un plaisir évident. Je ne suis ni assez sot, obtus ou dépourvu de bon sens pour oublier un seul instant ce que cette entreprise a de considérable et je ne doute pas de l’extrême attention que la Maison Gallimard porte à ses intérêts commerciaux. Il est évident que la correspondance intégrale de Céline ne saurait être un succès de librairie comparable à une œuvre de Philippe Sollers mais que dire des 15 volumes de la correspondance de Diderot (au Seuil) et des quelque 22 volumes de la correspondance de Proust (chez Plon) ?
    Il y a à ce problème financier une parade évidente : la souscription. A titre d’exemple, la maison Hermann poursuit avec succès, me semble-t-il, l’édition intégrale critique des œuvres de Diderot (34 volumes prévus) et ce, uniquement par souscription.
    La Maison Gallimard pourrait fort bien lancer dès cette année (année du centenaire) un tel projet et se fixer la publication disons de 3 à 5 volumes par an avec mise à jour régulières pour les lettres inédites. Je suis sûr que ce serait un succès.
    Le recensement des lettres existantes n’étant qu’un problème purement technique, il reste à trouver une personnalité désireuse de s’attaquer à cette tâche avec quelques collaborateurs. Le nom de Henri Godard vient évidemment à l’esprit de tous mais ayant donné tant de son énergie pour l’édition de la Pléiade, serait-il prêt à patronner une telle entreprise ? Je peux en douter mais je ne serais pas surpris qu’un universitaire de haut vol puisse le remplacer.
    Quand il s’agit de Céline il n’est bien sûr pas question de publier un choix de lettres et l’on se doit de rendre au Céline écrivain un hommage durable ; il fait après tout partie d’un patrimoine littéraire que l’on ne peut ignorer.
    Je doute, Monsieur, qu’une fois encore vous ayez le désir de répondre à cette lettre ; peut-être se trouvera-t-il parmi ses lecteurs quelqu’un de plus influent que moi et qui pourrait faire "démarrer" l’affaire. Et si cela était, cette lettre n’aurait pas été écrite en vain.
    Je vous prie d’agréer, Monsieur, mes très respectueuses salutations.

Wilfred NAAR "

 

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* NDLR : Sur ce sujet, on lira avec profit la communication de Colin W. Nettelbeck, "Céline épistolier : pour une mise en marche" in Actes du colloque international de Paris (L.-F. Céline), Éd. du Lérot & SEC, 1987, pp. 223-30.

* Voir aussi, de Jean-Paul LOUIS, le "Discours de soutenance" de sa thèse de doctorat (Université Paris-Sorbonne, 1997) : "Pour une édition de la correspondance générale de Céline. Principes d'établissement du texte et de l'appareil critique à partir de l'édition de plusieurs correspondances particulières" in L'Année Céline 1997, Éd du Lérot, 1998, pp. 97-104.