GARANCE
Nombreux ont été les cinéphiles à rendre un dernier hommage à Arletty.Voici celui de l'hebdomadaire satirique belge PAN
"On m'appelle Garance" répondait-elle à Frédérick
Lemaître (Pierre Brasseur) qui lui avait demandé son nom après l'avoir abordée sur le
boulevard du Crime, au début des Enfants du Paradis. Le dialogue se poursuivait
:
"Garance... Oh ! C'est joli !" "C'est le nom d'une
fleur." D'une fleur, oui. D'une immortelle. Née en 1898, avant le siècle, elle
s'était retirée de tout quand elle était devenue aveugle en 1962, juste après sa
dernière apparition à l'écran dans Le jour le plus long. Avant cela son charme
déluré et gouailleur, son abattage, sa dégaine dégourdie, sa lumineuse beauté
(surtout dans Les Visiteurs du Soir et Les Enfants du Paradis) avaient
captivé durablement des milliers de spectateurs. Parmi lesquels, Marlon Brando qui avait
confié à Truman Capote être tombé amoureux d'elle, rien qu'à la voir sur l'écran et
être allé la voir, "comme on part en pèlerinage", la première fois qu'il
s'était rendu a Paris.
Garance, immortelle fleur de Paris. Que ce soit le Paris mythique
des Misérables et de Splendeurs et misères des courtisanes évoqué
dans le chef-d'uvre de Carné, ou le Paname d'Hôtel du Nord, du Jour
se lève, de Fric-frac, ou de Pension Mimosas, le film de Jacques
Feyder dans lequel Carné la repéra en 1934.
Elle avait d'abord fait du théâtre, du cabaret, de l'opérette,
avant de se lancer dans le cinéma, la maturité venue (ses grands rôles se situent entre
1938 et 1944). De ses origines plus que modestes, elle avait conservé cette voix
d"oseille'' qui savait prononcer l'argot et le parigot mieux que personne et dire les
dialogues d'Henri Jeanson avec une verve complice inoubliable, une voix qui, à elle
seule, avait une "gueule d'atmosphère".
Elle a voulu un service funèbre sans messe et sans fleurs. Est-ce
qu'on dit des messes pour la fille du diable ? Est-il utile de fleurir Garance ? Garance,
la fleur immortelle.
PANOPTIQUE (Pan, 29 juillet 1992)