L'Internet francophone se porte décidément très mal...

 

    Les affaires juridiques concernant Altern.org et Levillage ont, semble-t-il, donné des idées à certains. C'est en effet au tour du site consacré à Louis-Ferdinand Céline de devoir limiter ses activités en raison d'une décision du service juridique des bien nommées éditions Gallimard©. Il est étonnant que cette maison, indiscutablement propriétaire des droits d'auteurs de l'œuvre de Céline, ait attendu plus d'un an avant de se manifester. J'ai effectivement sous-estimé l'ombre que j'étais susceptible de faire à la prestigieuse collection Blanche, et du manque à gagner que j'allais occasionner en publiant des textes issus d'ouvrages épuisés et introuvables en librairie (je pense à la collection des "Cahiers Céline...©").
    Afin que chacun puisse juger de la politique des éditions Gallimard© en matière de publicité gratuite faite à ses auteurs, voici la reproduction intégrale de la lettre qui m'a été adressée et de celles qui ont suivi. Évidemment, je ne saurais trop vous recommander de leur envoyer à votre tour un message si vous souhaitez leur expliquer qu'Internet ne rime pas seulement avec profit et législation draconienne... Je préciserais également, à titre informatif, qu'il n'a jamais été question de publier le texte des pamphlets de Céline sur le site, comme il est écrit dans cette lettre. Reste à savoir si le plus dérangeant est de dédier un site à un auteur Gallimard© sans leur autorisation (j'en connais d'autres) ou plutôt à Louis-Ferdinand Céline. Car, bien entendu, il semble que le problème soulevé par la possible diffusion des pamphlets soit encore et toujours le cœur de la polémique...

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J'ai reçu un message du service juridique des éditions Gallimard le jeudi 22 avril 1999, à 18 heures, dont le libellé était le suivant :
" Votre site pose un problème de fond aux Éditions Gallimard et aux ayants droit Céline.
Merci d'accorder toute votre attention au document attaché ci-joint. "

À ce message était jointe une lettre dont voici la copie intégrale :
" Monsieur,
Vous êtes à l’origine d’un site Internet consacré à Louis-Ferdinand Céline, illustré de photographies de l’auteur et de nombreux extraits de ses œuvres.
Nous vous rappelons que Louis-Ferdinand Céline est un auteur publié par les Éditions Gallimard et que son œuvre est protégée par les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle.
Quelles que soient vos motivations, nous attirons votre attention sur l’interdiction qui en résulte de toute représentation, même partielle, de ces œuvres dont les Éditions Gallimard sont cessionnaires des droits. En l’occurrence, leur adaptation et leur représentation sur écrans reliés à des réseaux impliquent tant au titre des droits patrimoniaux que du droit moral, l’autorisation préalable et spécifique de l’éditeur d’une part, de l’Auteur ou de ses Ayants droit d’autre part.
Les mêmes restrictions s’appliquent aux photographies représentées qui ne sont pas non plus de libre accès.
Relativement à l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline une telle démarche s’impose d’autant plus que les Ayants droit de l’Auteur ont décidé au nom du droit moral, que les pamphlets (
Bagatelles, L’École et Les Beaux draps), dont ils ont conservé l’intégralité des droits de propriété littéraire, ne feraient plus l’objet d’une quelconque communication au public.
En créant ce site Internet vous avez offert la représentation de même que permis la reproduction d’œuvres protégées et ainsi commis un acte de contrefaçon susceptible de sanctions pénales.
C’est pourquoi nous vous demandons de faire cesser immédiatement ces représentations illicites et de vous abstenir de toute tentative de communication au public des pamphlets, qui vous exposeraient à de sévères poursuites judiciaires que les Ayants droit de Louis-Ferdinand Céline et les Éditions Gallimard ne manqueraient pas d’entreprendre solidairement à votre encontre, à défaut pour vous d’avoir fait le nécessaire et de nous avoir confirmé par écrit, sous huitaine, l’abandon de votre projet.
Nous vous prions de considérer la présente comme valant mise en demeure.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments distingués.

La Direction Juridique. "

Je leur ai envoyé le message suivant, resté sans réponse à ce jour :

" Madame, Monsieur,
J'ai pris connaissance du document que vous m'avez envoyé, relatif aux problèmes de droits d'auteur liés au site consacré à LF Céline.
Permettez-moi tout d'abord de vous dire ma surprise, ce site étant ouvert depuis plus d'un an. Je ne pense pas - en toute bonne foi - faire de l'ombre à votre maison d'édition en rendant accessible certains extraits de romans (
Voyage au bout de la nuit et Casse pipe uniquement si vous avez pris le temps de le vérifier) ainsi que certains textes difficiles d'accès publiés dans la collection "Cahiers Céline" (épuisés chez de nombreux libraires...). En ce qui concerne les correspondances de Céline dont de nombreux extraits sont publiés, j'ignorais, jusqu'à réception de votre courrier, que vous étiez propriétaire de ces droits, ces ouvrages n'étant pas édités par vos soins. Sorti de ces questions juridiques, j'espère que vous serez d'accord avec moi pour reconnaître que diffuser des extraits de correspondances de Céline dont les tirages restent pour la plupart très confidentiels, peut tout à fait s'avérer UTILE et INTÉRESSANT pour de nombreux internautes.
En ce qui concerne le problème relatif aux pamphlets, il n'a jamais été question de les publier sur ce site (vous avez pu vous en rendre compte si vous avez pris le temps de le visiter...) Je suis évidemment tout à fait au courant de la situation "particulière" de ces écrits. Rassurez-moi... Êtes-vous au courant que des éditions pirates circulent et SE VENDENT en France ? Savez-vous également qu'un site propose les 100 premières pages
de Bagatelles sur Internet ? Alors, quel genre de démarche entreprenez-vous pour éviter ce piratage intempestif de vos droits ?
De plus, j'aimerais comprendre pourquoi, selon l'auteur, les traitements diffèrent ? Il y a d'autres sites dédiés à des auteurs édités chez vous qui, à ma connaissance, n'ont jamais rencontré de problème particulier (et qui proposent également des extraits d'oeuvres). Est-ce dû, comme pour beaucoup d'autres choses, à la sulfureuse réputation de Céline ?
Quoi qu'il en soit, soyez assuré que je me conformerai à votre volonté et à la loi relative au Code de la propriété intellectuelle. Pouvez-vous simplement m'indiquer s'il est toléré de publier de simples extraits de romans ou textes divers, comme cela se fait dans n'importe quel ouvrage critique ? Voyez-vous un inconvénient à ce que perdure le site si tous les textes de Céline sont enlevés ? Je suppose que non. Je vous signale, si vous l'ignorez, que votre serveur propose un lien vers un autre site consacré à Céline, beaucoup plus sobre celui-ci, osant mettre en ligne des photos qui ne sont pas de "libre accès", et que le serveur de la librairie Gallimard de Montréal propose un lien... vers le mien. Paradoxe, ou manque de communication interne ?
N'étant absolument pas compétent en matière juridique, je m'abstiendrai donc d'encourir les foudres d'un grand éditeur. Je vous remercie en tout cas d'encourager les initiatives personnelles qui, à mon sens, vous servent plus de support publicitaire qu'elles ne vous font de tort.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
PS : Un mél n'a pas, je crois, de valeur juridique ? Pouvez-vous me le confirmer ? "

Le lendemain, le site était purement et simplement supprimé par Infonie et mon accès FTP bloqué. En fin de journée, le service juridique d'Infonie m'envoyait le message suivant :

" Monsieur,
Conformément aux conditions générales d'utilisation d'INFONIE, nous vous informons que nous avons reçu une vive protestation des Éditions GALLIMARD, relative au contenu de votre site web hébergé par INFONIE.
Après examen de votre site, il nous est apparu que le contenu de vos pages pouvait être de nature à soulever une difficulté au regard des droits de propriété intellectuelle dont les éditions GALLIMARD seraient cessionnaires.
Nous avons suspendu l'accès à votre site dans l'attente d'une clarification de cette situation.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sincères salutations.

Jean-Philippe CARBONEL
Service Juridique
INFONIE "

 

Évidemment, j'ai renvoyé un message leur précisant que la situation était on ne peut plus claire, le litige ne portant que sur les textes DE Céline dont Gallimard détient les droits, et non pas sur l'ensemble du site. L'intimidation de Gallimard envers Infonie avait pourtant porté ses fruits.
Le lundi 26 avril (soit trois jours après la fermeture du site), Infonie s'engageait à rétablir mon accès à condition que le site soit expurgé de tout ce qui pouvait engendrer une action en justice des éditions Gallimard © (textes et photos), mettant en avant pour justifier leur décision cavalière l'affaire ayant opposé Estelle Halliday et Altern.org... Cet accès a été rétabli le 27 avril 1999...

 

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Plusieurs questions se posent :
- Le problème soulevé par la liberté d'expression sur Internet tout d'abord. Chaque maison d'édition peut-elle ainsi contrôler le contenu du Net en claquant des doigts ? Je peux tout à fait loger le site ailleurs que chez Infonie, et ainsi jouer au chat et à la souris avec Gallimard. Cette solution semble à la hauteur de leur manière de procéder.
- La rapidité d'exécution d'Infonie : même si les "conditions générales d'Infonie" contraignent le responsable d'un site à respecter certaines règles (notamment le droit d'auteur), leur décision a été prise avant qu'ils ne m'en informent, et ils n'ont, semble-t-il, pas compris que le litige portait sur les textes DE Céline et non sur le reste.
- Céline pose un réel problème de fond aux éditions Gallimard. La lettre met très clairement l'accent sur la mise en ligne des pamphlets de Céline, jamais réédités depuis 1942. Il n'a pourtant jamais été question de les "communiquer au public". Pourquoi mettre cet argument en avant ? Je m'étonne qu'une bonne partie de la lettre porte sur cet aspect. De toute façon, Gallimard ne peut empêcher personne de le faire - matériellement et juridiquement - avec les possibilités offertes par Internet de contourner la loi française.
- Un tel site cause-t-il du tort à un éditeur qui ne publie pas les correspondances de Céline mais qui en détient le copyright, un tel site cause-t-il du tort à un éditeur qui ne réédite pas la collection des Cahiers Céline depuis plus de 10 ans ? À titre indicatif, les textes intégraux de Céline qui étaient disponibles sur le site étaient des textes difficiles d'accès à cause de ce manque (Trois des Ballets, Hommage à Zola, À l'agité du bocal, Qu'on s'explique, etc.).

 

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    Le Bulletin célinien étant associé à la création de ce site, je me bornerai à souligner le comportement surprenant des éditions Gallimard. Celles-ci auraient tout lieu de se féliciter de la création d’un site destiné à mieux faire connaître un écrivain qui appartient à leur fonds éditorial. Pourquoi d’ailleurs ce traitement discriminatoire envers notre site alors qu’il en existe bien d’autres (consacrés à Aragon, Gide, Prévert...) qui, eux aussi, reproduisent sans être du tout inquiétés des textes et des photos de ces auteurs-Gallimard ?
    Serait-ce que la réussite du site a suscité ici et là quelques jalousies peu avouables ? On sait que les initiatives parallèles sont mal considérées par d’aucuns qui s’estiment seuls habilités à traiter de Céline. Déjà, Le Bulletin célinien, modeste mensuel au tirage confidentiel, irrite, je le sais, certains "exégètes" qui voient d’un mauvais œil les francs-tireurs non conformistes dans ce qui est considéré comme un domaine réservé.
    L’affaire n’est pas close. Il est clair que nous n’avons nullement l’intention de saborder le site-Céline dès la moindre menace. D’autant qu’il est tout de même navrant que ce mauvais coup provienne de milieux qui devraient, au contraire, nous encourager et même faire preuve de reconnaissance à notre égard. Las ! Au moins, les lecteurs du Bulletin célinien sont-ils désormais au courant de cette manœuvre peu reluisante. Et ils peuvent désormais juger en toute connaissance de cause. Le cas échéant, ils manifesteront leur mécontentement, voire leur indignation.
    Je les y invite, tant il est vrai que lutter contre la bêtise est un combat salubre et tellement... célinien.

Marc Laudelout

 

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Malveillance ?

    Un élément apparaît comme très étrange dans la mise en demeure que les éditions Gallimard ont adressée au concepteur du site Céline sur Internet. Elles y évoquent, en effet, trois titres de Céline (Bagatelles, L’École des cadavres et Les beaux draps) et exigent qu’il s’abstienne "de toute tentative de communication au public des pamphlets".
    Or, notre site-Céline n’a jamais présenté aucun extrait de ces trois livres de Céline, hormis les ballets réédités en 1959 et plus récemment en 1988 par Gallimard et qui ne peuvent donc être visés ici.
    Il semblerait que Gallimard ait sciemment été désinformé. On n’aurait pas craint, en effet, d’affirmer que le site proposait de larges extraits des pamphlets, ce qui est rigoureusement inexact et constitue une diffamation patentée.
    Tous les moyens sont donc bons pour éliminer un gêneur. Serait-ce qu’un autre site-Céline est en projet et qu’il s’agisse en l’occurrence de nuire à une initiative considérée comme concurrente ? L’avenir nous le dira...
    Tout cela manque en tout cas furieusement d’élégance. Et on imagine sans peine ce que Céline eût pu rétorquer face à de tels procédés. Affaire à suivre...

 

M. L.

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