Texte de la défense
rédigé par Maître
Tixier-Vignancour pour le procès
de Louis-Ferdinand Céline
Cette note est rédigée par Tixier en 1949. Les arguments avancés sont évidemment soufflés par Céline lui-même qui, dans une lettre du 23 juin 1949, réfute un à un les éléments qui lui sont reprochés, repris ici par son avocat. La photographie sur laquelle on a cru reconnaître Céline à Katyn provient d'un film dans lequel Fernand de Brinon, représentant du Gouvernement de Vichy à Paris, visite le charnier en juin 1943 (il s'agit effectivement d'une affubalation totale). On reconnaît dans cette défense les nombreux arguments que Céline n'aura de cesse d'avancer jusqu'à son amnistie.
NOTE DANS L'INTÉRÊT DE LOUIS-FERDINAND CÉLINE
" La réédition de Bagatelles pour un massacre a eu
lieu sous l'occupation par le fait et à la demande de Robert DENOËL, éditeur, qui, sur
cet ouvrage, avait perdu de l'argent. Cette perte avait été causée par des procès en
diffamation et en suppression de pages.
Or, les prix ayant été bloqués par le Gouvernement à la date du 2
Septembre 1939, une réédition n'était possible à un prix supérieur que si des
éléments nouveaux étaient incorporés au livre réédité. C'est pourquoi CÉLINE a
écrit une préface et DENOËL a ajouté quelques photographies.
La réédition a donc eu un but purement commercial et CÉLINE a écrit
la préface dans le but de dédommager son éditeur d'une perte sensible.
Jamais CÉLINE n'a été photographié en compagnie d'officiers
allemands ni à Katyn, ni ailleurs et la photographie se trouvant au dossier n'est pas
celle de CÉLINE. Une photographie de CÉLINE est jointe à la présente note à titre de
comparaison. Lors de la visite à Katyn de la Croix Rouge Internationale, CÉLINE se
trouvait à Paris et n'a jamais accompagné une délégation quelconque en Russie.
Il est incontestable que, pendant tout le cours de l'occupation,
CÉLINE s'est refusé à toute collaboration avec l'occupant. Jamais il n'a écrit dans un
journal paraissant à cette époque. Il n'a jamais pris la parole à la Radio. Il est
établi par des attestations ci-jointes que, dès 1941 CÉLINE voulait partir pour le
Danemark, ne voulant pas demeurer en France occupée.
CÉLINE a fait plusieurs démarches, à l'époque, au Consulat de
Danemark. Par crainte d'être dénoncé aux Allemands qui le tenaient en suspicion, il n'a
pas fait évidemment de demande écrite. Mais sa volonté de partir dès 1941 étant
établie, il est indiscutable que son départ en 1944 constitue la réalisation d'un
projet ancien et non une fuite quelconque.
La suspicion que les Allemands éprouvaient à son égard est établie
par la mise à l'index du livre Les beaux draps par les autorités d'occupation.
Une attestation concernant ce point est jointe à la présente note.
D' autre part, l'attitude de CÉLINE lors de son séjour en Allemagne
antérieur à son arrivée au Danemark ne saurait prêter à aucune critique. En tentant
de se rendre au Danemark, il a été interné deux fois à Krantzlin à 90 kms de Berlin.
Il a, en outre, exercé avec son dévouement habituel et avec un total désintéressement
sa profession de médecin.
Ce dévouement et ce désintéressement se sont manifestés tout au
long de la vie de CÉLINE. Pendant l'exode de 1940, étant médecin de la municipalité,
il a accompagné, soigné et conduit dans une petite ambulance trois nourrissons
abandonnés et une vieille femme de Sartrouville à La Rochelle. Précédemment, embarqué
à bord du Chella comme médecin militarisé volontaire, il avait manifesté les mêmes
qualités lorsque le bateau sauta au début de la guerre de 1939.
Il paraît utile de rappeler la magnifique conduite de CÉLINE au cours
de la guerre 1914-1918 où il obtint la médaille militaire en Décembre 1914 à
l'occasion d'un fait d'armes relaté dans L'Illustré National. Une photocopie
est jointe.
Grièvement blessé, CÉLINE est réformé à 75%.
Il paraît donc impossible de retenir contre lui un fait d'intelligence
avec l'ennemi ou un acte de nature à nuire à la défense nationale.
Or, CÉLINE fait l'objet d'un mandat d'arrêt dont la main-levée lui
permettra de rentrer libre en France après avoir vécu pendant cinq ans au Danemark dans
les pires conditions matérielles et morales. Il a, notamment, été détenu pendant 18
mois au titre d'une demande d'extradition qui avait été adressée par la France au
Gouvernement Danois. Rendu très malade par le climat, il ne dispose même pas des moyens
nécessaires pour se soigner."