Louis-Ferdinand Céline
Lettres à Marie Bell (1943-1950)
EXTRAITS
Cette correspondance comprend un total de 20 lettres et
billets.
Nous en reproduisons ici 6 dans leur intégralité.
[15 avril 1943]
Chère Amie
Soirée magnifique grâce à vous. Mille grâces et affectueuses
pensées ! Pièce superbe, acteurs admirables, vous la plus belle, parfaite.
Moins chaud sur les costumes plus quazarts [sic] que féeriques.
Ratés. Le vôtre du second (à plumes) affreux. Il vous gonfle le visage. La traîne
miteuse. Tout ceci manque de luxe. Le décor mauvais. On veut voir les jardins
d'Armide. On trouve une mine de charbon désaffectée. Et puis pourquoi voir si mesquin ne
pas utiliser toute votre scène toujours réduire vos actes à des levers de
rideau... Ratatiner tout. Êtes-vous fatigués ?
Pas assez de féerie dans ce décor. De projections de fleurs... de
grâce...
Vous vous traînez dans le coaltar, on imaginait des roses. Il faudrait
plus de musique Cette pièce comme toutes les grandes pièces est sur la pente
opéra plus de bruits d'atmosphère, le dernier acte est très réussi because,
mais un peu trop sourdes les musiques Tout devrait se rejoindre voix et
musique. Ne jamais oublier que l'Homme chantait avant de parler. Le chant
est naturel, la parole est apprise. Les sources à poésie sont au chant pas
au bavardage Cocteau aurait introduit un peu de drôlerie il frôlait Shaekspeare [sic]
déjà tel quel c'est bien agréable et vous êtes à la mesure ce qui magnifique [sic].
On n'y célèbre aucun juif, si ce n'est un peu Ben Jésus. J'y respire.
A bientôt et mille baisers et cent mille gros et affectionneries [?]
Louis-F Céline
Le prologue vous fait grand tort. Il assomme déjà lauditoire de vers avant votre arrivée ! Quelle maladresse ! Et puis un concours de diction ! Les trois meilleurs jeunes gens lauréats de la confrérie Vincent de Paul ! Grotesque !
Le 8 Juillet [1947]
C/o Thorwald Mikkelsen
45 A Bredgade
Copenhague
Chère Marie
Ne te désiste pas toi aussi ! Je compte plus sur ton cur
que sur les paroles des hommes... Un coup d'avion ! un coup d'aile ! et que je
t'embrasse ! Zoulou semble défaillir finalement... Depuis 3 ans on crève d'être
à sec des brises natales !... Tu penses ! Tu ne verras pas des gens tristes ne
redoute rien ! Pleins d'histoires marrantes au contraire et je t'assure bien inédites !
Et puis aucun risque je t'affirme Il y a des touristes français plein les rues de
Copenhague. Je te céderai mon lit s'il le faut j'irai recoucher en prison pour te
faciliter les choses... au pire ! Mais l'Hôtel d'Angleterre et sa réputation
mondiale sont là pour un coup j'imagine ! N'attends pas les froids... Bien entendu
je ne dirai rien de ta venue, et tu sais que je peux me taire autant que je t'aime.
Ce n'est pas peu dire
Ton fidèle et bien affectueux
Ferdinand
Le 30 août [1948]
Chère Marie
Cet écho me ravit ! me porte aux nues ! Cher Escande ! lors de l'avant " dernière " la Grande, la vraie ! je vois encore le cher Escande me venir distribuer des cigarettes au " 2ème Blessé " au Val de Grâce escortant la duchesse de Camastra et le bouillonissime lyrissime d'Anuzzio [sic] ! 1915 ! Je n'étais alors que maréchal des logis fort blessé opéré pour la seconde fois ! déjà !(Service Jalaguier.) Cher Escande... ! Lors de la " dernière ", la fausse, entrant par hasard le jour de la St Charlemagne à la mairie de St Denis, après ma consultation une voix de haut lyrisme m'attire... j'écoute... je monte, tout un parterre = L'ambassade d'Allemagne au grand complet... Cet [sic] ode ? La Chanson de Roland ! Qui Roland ? Escande ! Cher Escande ! Toujours sur la brèche, au parapet du sublime ! Et maintenant le voici Président ! C'est le moins ! Par Turpin ! Par Abetz ! Tudieu qu'il pense au sort infime de celui qui joue toujours du cor au mauvais moment ! et sur la mauvaise scène ! Quand on est Président, Chevalier etc. peuchère on a de sacrées relations ! Qu'il m'ôte ou me fasse ôter donc l'article 75 et le mandat qui me pend encore au cul ! Et je lui jouerai un de ces sons du cor ! Qu'on l'entendra jusqu'à l'Oural ! Que puis-je lui offrir ? une douzaine de cigarettes ?! Je ne fume pas. C'est à poignées qu'il les distribuait sur chaque lit, je le vois encore, avec la Duchesse de Camastra. Cher Escande ! J'ai dû avoir droit à 2 poignées...Je venais d'être médaillé militaire...
Je t'aime. Je vous aime tous.
LF Céline
[Pierre Monnier
41 rue Lecourbe
Ségur 64-22]
Le 7 nov 49
Ah chère Marie chérie il était temps que tu
m'écrives l'encre commence à geler par ici, j'étais en panne de te répondre !
Certes je vais écrire à maître Doublet, s'il peut qq chose... mille grâces et
gratitudes... Que l'on m'en a promis des choses !... Rien n'est advenu !...
Depuis 7 ans que le Poteau m'attend...
Poteau-sur-Seine pour moi la Ville... la France... Et je suis
né à Courbevoie tu le sais ! 1894... au mois de mai ma jolie... et grelotter à [45] 47
ans ! en Baltique. Même que Lucette plus vicieuse que moi y prend encore 2 bains par
jour à travers la glace, trésor ! Le tempérament des femmes m'a toujours
étonné Quel brasier là-dedans ! J'ai tout tu sais, le Cirque La
Danseuse la Chienne 12 chats... la Ménagerie ! même un hérisson
! et 30 ou 40 mésanges.
Je t'envoie une photo récente de la Police mon
Penabert-pas-cher... Jamais j'ai été tant photographié ! moi qui
suis voyeur dans l'âme... pas scénique du tout... J'aurai tout subi !
Et je t'aime et je t'embrasse
Le 2 [décembre 1949]
Chère Marie, bien sûr, je suis tout à
fait de ton avis, il faudrait que je puisse remercier Tixier et Naud qui ne peuvent
plus m'aider en rien, au contraire, dans les circonstances ! Cette bonne évidence ! Je
voudrais tout à fait bien sûr que ton avocat prenne mon dossier en main. Je connais ton
génie non seulement d'artiste mais de la vie ! Je te suis aveuglément. Mais là comment
sans inexcusable muflerie signifier à ces deux défenseurs, parfaitement
désintéressés, que voudrais bien [sic] m'assurer désormais des soins de Me....
Évidemment cela n'est pas monstrueux mais jaimerais que cela se fasse sans heurt...
Une lettre en dépit de toutes les courtoisies blesse toujours un peu... Je voudrais que
Mikkelsen aille te voir au plus tôt ! dans ces prochains jours. Mais là
aussi je suis horriblement gêné, empoté, contraint...
Je n'ai aucune action sur lui Tu t'en doutes ! Dans la
misère tu sais il faut être d'une délicatesse infinie. On ne vous passe rien. Mais je
t'assure que je fais l'impossible pour qu'il reprenne le train, saute (!) te voir,... et agisse
Si je ne puis le décider alors tant pis j'écrirai directement à Tixier que c'est
fini... que j'ai demandé à Me... de bien vouloir m'aider.
Mille affectueuses
Pensées
Louis Ferd
Destouches
c/o Mikkelsen
Klarskovgaard
Korsør
Destouches
c/o Mikkelsen
Klarskovgaard
Korsør
Le 4 [octobre (?) 1950]
Chère Marie
Que de temps sans nouvelles ! Comment s'est passé l'Été ? De notre
côté ce ne fut pas brillant... Lucette opérée etc... dans notre condition tu
penses ! Enfin assez de gémir ! Voilà l'hiver à présent et il est pas drôle par
ici, tu le sais ! le septième loin de chez nous ! Et sans illusions quant au reste !
Mayer est assis sur mon dossier tu penses et voudrait que je me tasse un an à Fresnes
après les 15 mois de réclusion d'ici, plus 7 ans d'exil !
Et pour des prunes !
Tu vois j'ai l'air exagéré dans ma personne et mes propos, je suis
bien modeste au contraire. C'est mon vache Destin et mes dégueulasses contemporains qui
sont tout dingues et dingues méchants !
Ils me feront crever tu sais Marie... le plus lâchement du monde.
Je t'embrasse bien
Almanzor aussi
Bravo à Chevrier !
Tout le souvenir à Blanche !
Louis Ferdinand