Lettres à Joseph Garcin
(1929-1938)
Paris : Librairie Monnier, 1987. |
Préface de Pierre Laîné
" Les vingt-huit lettres
qui suivent ont été adressées par Céline à Joseph Garcin entre septembre 1929 et
octobre 1938.
Ces lettres abordent différents thèmes. Certaines, très brèves,
peuvent apparaître anodines ; l'ensemble cependant constitue un apport précieux à la
connaissance de l'homme et de l'uvre. Apport d'autant plus précieux que cette
correspondance s'étendant sur près de dix années présentent une indéniable cohérence
et s'oriente autour de la question fondamentale, encore insuffisamment développée, de la
genèse de l'oeuvre célinienne et de la création romanesque.
La découverte de la correspondance de Céline Garcin et de
Garcin lui-même est liée à une autre découverte, celle de Marcel Lafaye, que nous
présentions dès 1979 comme ayant joué un rôle de tout premier plan dans l'élaboration
du personnage de Bardamu. Garcin, lui, a servi de modèle pour le personnage de Cascade.
***
Lafaye et Garcin, inspirateurs de Céline, se sont rencontrés en
1916 semble-t-il, à la suite d'un séjour commun à l'hôpital où l'un et l'autre
soignaient des blessures de guerre.
Joseph Garcin est né en 1894 dans le Gard. Engagé volontaire,
il participe au premier combat de la guerre de 1914, est gravement blessé en
1916 et se voit bientôt décoré de la Croix de guerre et de plusieurs autres
décorations. En 1917 et 1918 Garcin séjourne en Angleterre et fréquente assidûment
le milieu londonien, ouvrant des relations nombreuses par ailleurs avec certains
responsables de la police anglaise, sans doute dans la perspective d'éventuelles
protections. Après la guerre, il mène de front diverses activités tant à Paris
à Montmartre qu'à Londres et dans le sud de la France ; dans la
capitale et en Angleterre, Garcin a eu très certainement de sérieuses accointances
avec le proxénétisme. Il est ensuite difficile de suivre pas à pas le personnage
compte-tenu du nombre et du genre de ses activités. Dans les années 1925-1930,
il est tenté par la politique et il côtoie à Paris et surtout à Londres différents
personnages du Parlement et des Ambassades, mais sans succès apparent. Lancé
dès 1920 ou 1921 dans l'hôtellerie et la restauration, gérant d'établissements
dans le Gard puis le Vaucluse établissements dont s'occupe sa femme pendant
ses fréquentes et longues absences il abandonne progressivement ses activités
parisiennes et londoniennes à partir de 1933-1934 et séjourne de plus en plus
souvent dans le Midi. Il conserve toutefois le goût des voyages et des séjours
à l'étranger et ne rompt pas complètement les liens avec certains amis londoniens,
notamment ceux proches de la pègre et des différents commerces plus ou moins
illicites. Pendant la seconde guerre mondiale, Garcin s'embarque pour l'Algérie
où sa trace se perd rapidement ; il est à nouveau dans le Midi peu après l'armistice
et succombe à un cancer en 1962.
La rencontre entre Louis Destouches et Joseph Garcin se situe en 1929.
Garcin est un personnage comme Céline les affectionne. Il est curieux des hommes et de
toutes les expériences, aimant l'aventure et la vie, mais facilement inquiet et
pessimiste, arriviste et sachant profiter de toutes les occasions pour fuir ce qu'il
appelait la médiocrité générale, peu scrupuleux sur les moyens certes, mais fidèle en
amitié. Comme Céline, Joseph Garcin a vécu la catastrophe de 1914 et comme l'écrivain
a été marqué dans sa chair ; de cette rencontre il conserve lui aussi un traumatisme et
une lucidité qui ne peuvent que les rapprocher. Et puis Garcin n'est pas un intellectuel,
mais un homme simple qui a acquis au contact des choses et après de patientes lectures,
un savoir, une culture que l'écrivain, dans ses lettres, se plaît à souligner.
***
La lecture des lettres de Céline à Garcin appelle de nombreuses
remarques. Outre les précisions imposées par certaines indications de Céline,
noms cités, faits rapportés, etc., une réflexion approfondie apparaît indispensable
dans la mesure où cette correspondance apporte des éléments d'information d'une
importance certaine quant à la thématique et surtout à la conception de l'oeuvre
romanesque entre 1929 et 1944.
Cette réflexion approfondie s'appuiera nécessairement sur le rôle
joué par Garcin mais également sur celui joué par Lafaye tant les deux influences sont
indissociables, influence de deux aventuriers proches un certain temps de Céline ou «
utilisés » sans vergogne par le romancier. Cette réflexion constituera la seconde
partie de cet ouvrage, que nous envisageons comme un complément ajoutant ici,
affirmant là, aux travaux céliniens publiés depuis une vingtaine d'années.
"
Pierre LAÎNÉ