Bloc-notes, Octobre 2011
Il y a quelques années,
un célinien connu évoquait dans une émission radiophonique «
la foi du charbonnier » de Céline.
C’était interpréter abusivement une lettre au Pasteur Löchen auquel l’écrivain
n’avait pas voulu faire mauvaise figure en avouant tout uniment son athéisme
résolu.
Si Céline n’était pas croyant, il était surtout très hostile à l’Église
catholique. La manifestation la plus éclatante figure dans
Les Beaux draps : «
La religion catholique fut à travers toute
notre histoire, la grande proxénète, la grande métisseuse des races nobles, la
grande procureuse aux pourris (avec tous les saints sacrements), l’enragée
contaminatrice ». Et de déplorer que «
l’aryen n’a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de
religion propre, de religion blanche ». C’est aussi l’époque où il
reproche vivement à la presse doriotiste d’avoir censuré une lettre qu’il
adressa au chef du PPF, le passage caviardé visant précisément «
l’Église, notre grande métisseuse, la
maquerelle criminelle en chef, l’anti-raciste par excellence ».
Ces attaques virulentes datent de la période noire. Peu de temps avant, Charles
Lacotte lui avait adressé son roman, Nicias le Pythagoricien (sous-titré «
Comment les Juifs font sauter les empires »), avec cette dédicace bien sentie :
« À l’effrayant Louis-Ferdinand Céline, homme
d’effroyable vérité » (1). Un bilan exhaustif des nombreuses lectures du
pamphlétaire dans ce domaine est impossible. On en connaît en tout cas un
certain nombre, dont celles qu’il cite lui-même au début de
L’École des cadavres (2).
Jusqu’à la fin, Céline n’abjura en rien ses convictions. Ainsi, dans un
entretien accordé un an avant sa mort à Robert Stromberg, il constate que «
l’homme blanc est une chose du passé » et qu’il «
a laissé l’Église le corrompre » (3).
Dans son œuvre romanesque d’après-guerre, on trouve ainsi de nombreuses
allusions au déclin biologique de l’homme blanc et au manque de volonté qui fut
le sien de demeurer maître de son destin. C’est la raison pour laquelle il est
vain, une fois encore, de faire une distinction entre le romancier et le
pamphlétaire, les écrits de fiction et les écrits de combat. On ne le répètera
jamais assez : l’œuvre de Céline forme un tout. Et s’il est politiquement
incorrect dans les textes interdits de réédition, il l’est tout autant sur
papier bible (4).
Marc LAUDELOUT
1. Exemplaire proposé dans le catalogue de
la Librairie ancienne Bruno Sepulchre. Ce «
roman judéo-christien du Ier siècle » parut en 1939. Professeur révoqué
pour raisons politiques, Charles Lacotte se lança dans le combat et le
journalisme politique à la fin du XIXème siècle. Il publia diverses brochures,
dont Nos seigneurs républicains (1909),
et un pamphlet Les Guêpes, qui parut
très irrégulièrement de 1906 à 1939. Député socialiste de l’Aube de 1919 à 1924,
il devint délégué à la propagande du PPF pour ce département sous l’Occupation.
Assassiné d’une balle dans la nuque le 31 août 1943.
2. Citons à ce propos
Où va l’Église ? (1938) de Henry-Robert
Petit. Céline estima cet opuscule « très
remarquable » et en distribua plusieurs exemplaires autour de lui. Son
auteur est d’ailleurs cité dans L’École des
cadavres parmi d’autres dont Henry Coston. Celui-ci confia à Emmanuel
Ratier avoir procuré une documentation à Céline pour la rédaction de ce pamphlet
(cf. l’émission radiophonique « Le Libre Journal de Serge de Beketch » [2001] en
hommage à Coston à la suite de son décès. Voir aussi « Lettres à Henri-Robert
Petit (1938-1942) » in L’Année Céline
1994, Du Lérot-Imec Éditions, pp. 67-90.
3. Robert Stromberg, « A Talk with L.-F.
Céline », Evergreen Review [New York],
vol. V, n° 19, July-August 1961. Traduction française dans
Céline et l’actualité littéraire, 1957-1961,
Les Cahiers de la nrf (Cahiers Céline 2), 1993, pp. 172-177.
4. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, une
phrase comme « Moi qui suis extrêmement
raciste... » ne figure pas dans les pamphlets mais bien dans
D’un château l’autre (Pléiade, p. 161).
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