Bloc-notes, Juin 2011

 

Colette Turpin-Destouches, fille unique de Céline, est décédée le 9 mai à Lannilis (Finistère) à l’âge de 90 ans. Comme les lecteurs de ce bulletin le savent, elle était née en 1920 à Rennes. Sa mère, Édith Follet, était la deuxième épouse de Céline. Comment ne pas se souvenir de cette journée du 30 mars 1996 où elle fut l’invitée d’honneur de la « Journée Louis-Ferdinand Céline » ? Un peu intimidée, elle avait très gentiment accepté de répondre à mes questions et, à l’issue de cette journée, de participer à notre dîner en compagnie d’Alphonse Juilland, Pierre Monnier, Alain de Benoist, Henri Thyssens, Éric Mazet et tant d’autres amis céliniens. Jean-Paul Angelelli rendit compte de cette journée : « Mme Destouches-Turpin se souvient de ce père extraordinaire, pas laxiste du tout, qui l’emmena plusieurs fois à la SDN (…) et dont elle partagea un temps l’existence, y compris quand il écrivait de nuit (et en parlant) le Voyage, ce qui empêchait la fillette de dormir. Un père superbe et tendre qui lui écrivait des lettres « touchantes » du Danemark. (…) Colette Destouches a évolué dans son jugement sur l’œuvre paternelle, qu’elle apprécie davantage maintenant. (…) Elle évoqua cet épisode du Voyage où Bardamu assiste à la mort d’un enfant atteint de méningite tuberculose. Céline avait vécu douloureusement ce décès, le gosse étant le fils de la concierge rue Lepic, devenue dans le livre la mère Henrouille. ¹ » C’était il y a quinze ans déjà… Depuis sa santé s’était altérée. Abonnée au BC, elle avait tenu à m’écrire pour me remercier de ce que je faisais « en mémoire de son père », ce qui m’avait – pourquoi le taire ? – très touché.
Certes ses relations avec lui ne furent pas toujours faciles, notamment à la suite du divorce survenu alors qu’elle n’avait que cinq ans. En atteste le témoignage de l’éditeur Maurice Girodias qui fit sa connaissance en 1942 alors qu’elle venait d’épouser Yves Turpin. Lequel ne tenait pas en haute estime son beau-père ². Ni même l’écrivain qu’il était, à la différence de Girodias ébloui de rencontrer la fille de Céline : « “Tu es idiot ! ”, gronda Turpin. “Si tu crois que c’est pour la célébrité de Céline que j’ai épousé sa fille, tu te trompes ! L’as-tu seulement lu, son livre ?” — “Et comment ! le Voyage ! Enfin ! Quelqu’un qui sait se servir de la langue française pour...” — “Oui”, coupa Turpin, l’œil étincelant. “...pour en faire du boudin !” Tout le monde le regardait, avec des airs éberlués. “Et pour ce qui est de son rôle de père, je dois dire que… enfin que… enfin que...” Il se tut sans conclure, égaré ; sa jolie épouse était à côté de lui, tête baissée, cramoisie, les yeux brouillés de larmes. C’était une scène terrible, bouleversante. » L’interprétation de ce chagrin par Girodias – qui ignorait que les parents de Colette étaient divorcés – est malveillante et l’on se reportera à son livre pour découvrir, avec les réserves qui s’imposent, ce témoignage. On sait que les relations de Céline avec sa fille ne furent pas toujours empreintes de la plus grande sérénité en raison du destin tumultueux de l’écrivain honni et exilé. Le fait que celui-ci désapprouvait les maternités multiples de sa fille n’avait pas arrangé les choses. Dans un volume récemment paru, on lira des souvenirs apaisés sur la relation intense qui lièrent ces deux êtres ³. Ils constituent un témoignage irremplaçable sur le père que fut Céline.
 

Marc LAUDELOUT
 

1. Jean-Paul Angelelli, « Notre Journée Céline », Le Bulletin célinien, n° 164, mai 1996, pp. 3-5.
2. Maurice Girodias, Une Journée sur la terre. I. L’Arrivée, Éditions de la Différence, 1990, pp. 186-187. La première édition de ce livre fut publiée en 1978 par les éditions Stock sous le titre J’arrive.
3. « Céline vu par sa fille Colette Turpin-Destouches » (entretiens avec David Alliot, 2001, et avec Jacques-Marie Bourget, 1994) in David Alliot (éd.), D'un Céline l'autre, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2011, pp. 453-475.