Bloc-notes, Mars 2011
Le
colloque « Céline, réprouvé et classique » fut une réussite. Durant deux jours,
la « petite salle » (158 places) du Centre Pompidou était comble et les
organisateurs peuvent se targuer d’avoir obtenu, en guise d’heureux épilogue, la
participation (gracieuse !) de Fabrice Luchini. La veille, le spectacle, conçu
par Émile Brami et magistralement interprété par Denis Lavant, remporta un égal
succès. Bémol : à la différence des colloques organisés par la seule Société des
Études céliniennes, quasi aucun apport nouveau ne fut délivré dans les diverses
communications, les orateurs ayant puisé la teneur de celles-ci dans leurs
contributions antérieures (parues en livre ou en revue). Une faiblesse de
l’organisation – rien n’était prévu le samedi matin – contraignit certains
orateurs à condenser leur texte au moment même où ils le lisaient. Ce fut
parfois dommage...
L’originalité de ce colloque fut de donner la parole à des anti-céliniens
patentés : Jean-Pierre Martin, qui signa naguère un mémorable
Contre Céline (1997), et Daniel
Lindenberg, auteur d’une belle contrevérité : «
Sous l’Occupation, Céline alla jusqu’à poser
très sérieusement [sic] sa candidature
au Commissariat général aux questions juives » (1) . Ces deux
universitaires ont comme point commun d’avoir communié jadis dans la même
ferveur maoïste. L’un à la GP (Gauche prolétarienne), l’autre à l’UJCML (Union
des jeunesses communistes marxistes-léninistes). Cette expérience militante leur
permet assurément de juger avec acuité la dérive totalitaire de romanciers ayant
été aussi des écrivains de combat. La nouveauté consiste à relier Céline à
Auschwitz. Ainsi, J.-P. Martin cita, pour l’approuver, Serge Doubrovsky : «
Que vouliez-vous que moi, juif, je fasse d'un
écrivain qui voulait mon extermination ? Si je n'ai pas été gazé à Auschwitz,
c'est malgré Céline (2).» Jamais auparavant de tels propos ne furent
tenus dans un colloque consacré à l’écrivain. Les céliniens qui font autorité
ont écrit exactement le contraire : « Céline,
mieux que tout autre, savait qu’il n’avait pas voulu l’holocauste et qu’il n’en
avait pas même été l’involontaire instrument (3).» Dixit François Gibault.
Quant à Henri Godard, il a toujours considéré que, si l’antisémitisme de Céline
fut virulent, il ne fut pas meurtrier (4). Et Serge Klarsfeld lui-même tint ce
propos lors d’une soutenance de thèse consacrée précisément aux pamphlets : «
Malgré leur outrance insupportable, ils ne
contiennent pas directement d’intention homicide (5). » En cette année du
cinquantenaire, une étape a donc été franchie. Il s’agit de faire d’un
antisémite incontestable un partisan des camps de la mort. En décembre 1941,
lors d’une réunion politique, Céline se rallia à un programme préconisant la «
régénération de la France par le racisme
». Il précisait ceci : « Aucune haine contre
le Juif, simplement la volonté de l’éliminer de la vie française (6). »
Il suffira désormais de supprimer ces quatre derniers mots pour faire de Céline
un partisan du meurtre de masse.
Marc LAUDELOUT
1. Daniel Lindenberg, « Le
national-socialisme aux couleurs de la France. II. Louis-Ferdinand Destouches,
dit “Céline” », Esprit, mars-avril
1993, p. 209.
2. Michel Contat, « Serge Doubrovsky au stade ultime de l’autofiction »,
Le Monde, 3 février 2011. Et Jean
Daniel de blâmer « une célébration qui ferait
l’impasse sur le caractère infâme, abject et déshonorant des écrits antisémites
que Céline a publiés, y compris dans le moment même où il savait [sic]
que les juifs étaient déportés en Allemagne
pour y être gazés. » (« Carnets d’actualité. Instants de pensée et
d’humeur », Le Nouvel Obs.com, 2
février 2011.)
3. François Gibault, Préface à Lettres de
prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, Gallimard, 1998.
4. Henri Godard, « Louis-Ferdinand Céline » in
Célébrations nationales 2011, Ministère de la Culture, 2010.
5. Propos tenus le 16 octobre 1993 à l’Université Paris VII lors de la
soutenance de Régis Tettamanzi (thèse sur Les
pamphlets de Louis-Ferdinand Céline et l'extrême droite des années 30. Mise en
contexte et analyse du discours.)
6. Voir Céline et l’actualité,
1933-1961 [Les Cahiers de la Nrf] (Gallimard, 2003, rééd.), pp. 143-146.
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