Bloc-notes, Février 2012
Après 1945, Céline ne souhaitait
pas la réédition de ses textes polémiques, y compris
Mea culpa (1936) jamais republié de son
vivant. Par la suite, c’est à plusieurs reprises que l’ayant droit autorisa sa
parution dans des éditions collectives : celle de Balland (1967), puis celle du
Club de l’Honnête Homme (1982), et enfin celle des Cahiers Céline (1986). Ce
libelle (20 pages dans l’édition princeps) est l’un des textes politiques les
plus importants de Céline. C’est à tort qu’on l’a pris, à cause du titre
essentiellement, pour une sorte de repentir. «
La vraie révolution ça serait bien celle des Aveux », écrit-il pourtant
dans ce texte. Au-delà du communisme ¹, la charge vise le matérialisme et
l’essence même de l’homme. Tel qu’il est réellement et non pas tel que le rêvent
les utopismes totalitaires. À la fin du siècle passé, il se trouvait encore des
céliniens pour dénoncer « l’anticommunisme
criminel » [sic] de Mea culpa.
C’était, on l’aura compris, avant la chute du Mur de Berlin.
Jean-Paul Louis, lui, nous propose aujourd’hui une merveille : la version
préparatoire et le texte définitif de Mea
culpa, avec la reproduction intégrale du manuscrit ². Le format in-octavo
a été judicieusement choisi pour présenter au mieux, folio après folio, le
fac-similé du manuscrit, accompagné en regard de sa transposition en haut de
page et du passage correspondant au texte final en pied de page. Cette édition
scientifique du manuscrit, on la doit sans surprise à Henri Godard, familier des
textes céliniens. Dans l’avant-propos, il dit l’intérêt de cette présentation :
« On saisit ici visuellement à la fois, dans
la graphie, la fièvre d’une écriture toujours improvisée dans l’instant et les
états successifs, qui sont en l’occurrence au nombre d’au moins quatre. »
Et de constater que « ses formules les plus
fortes ou les plus drôles viennent souvent dans une reprise ultérieure. Ses
ajouts sont des développements. Quand on a l’occasion de les isoler, ils mettent
en évidence les idées auxquelles il tient le plus. » Cette édition,
imprimée sur beau papier, met ainsi à l’honneur l’écrivain de combat que fut
aussi Céline. Il suffit de relire ce brûlot pour se rendre compte que l’écrivain
ne perd pas son talent lorsqu’il trempe sa plume dans le vitriol, bien au
contraire. Et ce qui est vrai pour Mea culpa
l’est aussi pour Bagatelles pour un massacre
qui comporte des pages fulgurantes sur l’enfer soviétique ³, absentes du premier
pamphlet. Henri Godard note que celui-ci est bien différent de ceux qui le
suivront. C’est vrai en partie seulement car ce «
sentiment fraternel » – « quatrième
dimension » appelée de ses vœux dans
Mea culpa – trouvera dans Les Beaux
draps l’expression d’une manière de programme : «
Il faut que les enfants des autres vous
deviennent presque aussi chers, aussi précieux que les vôtres, que vous pensiez
aussi à eux, comme des enfants d’une même famille, la vôtre, la France toute
entière. C’est ça le bonheur d’un pays, le vrai bouleversement social, c’est des
papas mamans partout. » On est assurément loin, n’en déplaise à ses
contempteurs, d’un Céline misanthrope et nihiliste.
Marc LAUDELOUT
1. Même si, rappelons le, la bande-annonce
du livre portait en 1936 ce seul mot : «
Communisme » (peut-être proposée par Robert Denoël et avalisée par
Céline). Le tirage était de 20.000 exemplaires.
2. Louis-Ferdinand Céline,
Mea culpa (Version préparatoire et
texte définitif. Édition d’Henri Godard avec la reproduction intégrale du
manuscrit), Du Lérot, 2011, 104 pages. Tirage limité à 300 exemplaires numérotés
sur bouffant ivoiré et quelques exemplaires hors commerce sur Hollande pur
chiffon. Cet ouvrage ne sera pas réimprimé. Saluons, une fois encore, le
remarquable travail de Jean-Paul Louis, éditeur-imprimeur.
3. Le retour d’URSS s’effectua, comme on
sait, sur le paquebot le Meknès. Découverte récente : sur un livre de Panaït
Istrati, Le Bureau de placement (1936),
lecture de voyage d’une passagère, Céline apporta cette dédicace : «
À madame Pierre Ducoudert. Souvenir d’un très agréable voyage après une terrible
aventure. LF Céline. »
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