A-t-on envie de lire Bonneton ?
La mode actuelle est aux repentances en tout genre. Sans faillir, il faut pouvoir pointer le doigt sur un coupable, désigner un bouc émissaire, et exiger des réparations. Deuxième grande habitude, l’art de faire des amalgames en tous genres et de juger à l’emporte-pièce des faits historiques. Dernière marotte des éditeurs, l’anticélinisme primaire qui fait florès avec plus ou moins de succès auprès du public. Le livre de M. Rossel-Kirchen en est le dernier avatar.
Miracle des temps modernes, un ouvrage fait la synthèse de ces trois grands courants de pensée. Ainsi, M. Bonneton et son As-tu lu Céline ? entreprend de nous livrer des révélations fracassantes… Céline est un antisémite furieux, d’ailleurs, ses pamphlets le prouvent… Pire, Céline a déclenché la seconde guerre mondiale, a collaboré « intellectuellement » avec les Allemands, et (allons-y n’ayons peur de rien), il est la cause de la Shoah. Pour M. Bonneton, cela ne fait pas de doute, Céline doit être jugé pour « crimes contre l’humanité ». Il fallait y penser… Avec une telle construction « intellectuelle », il ne faut pas s’attendre à de la finesse dans les propos. Céline est coupable, c’est tout. Les 296 pages à charge de ce livre ne servent qu’à convaincre le lecteur du bien-fondé des propos de M.
Bonneton.
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L’introduction de ce chef d’œuvre de mauvaise foi est consacrée à la biographie de l’écrivain. Dès la première ligne, ça démarre mal, l’auteur fait naître Céline au 11, rampe du Pont (au lieu du 12). Le meilleur est à venir. Selon M. Bonneton, Céline est un trafiquant de drogue (période londonienne), un maquereau, Suzanne Nebout, une prostituée. En vrac, Céline est aussi un affabulateur-né, un égoïste, un froussard, un mythomane, un présomptueux, un ignorant, et un parnassien attardé (sic)… On en passe, et des meilleurs.
La première partie du livre traite du style de l’écrivain. Là aussi, on reste dans le n’importe quoi érigé en littérature comparée. Visiblement, M. Bonneton ne comprend pas l’intérêt soulevé par le style de l’écrivain, qu’il trouve grossier et vulgaire. Pour M. Bonneton, Céline est un vulgaire plagiaire. Son style argotique et populaire ? emprunté à Le Vigan et à Mahé. Son « rendu émotif » ?, il l’a repris d’Hôtel du Nord, un livre « qui rappelle nos rédactions de 5e ou de 4e. » Avec un tel raisonnement, La Sorbonne tremble sur ses bases…
La deuxième et la troisième partie du livre sont consacrées à Céline pamphlétaire, et à son « procès ». Pour M. Bonneton, Céline est un abominable salaud, un monstre antisémite qui ne doit sa survie qu’à l’incompétence du personnel de l’ambassade de France, et à la mansuétude des juges qui n’ont rien compris au personnage. L’auteur veut refaire l’histoire et il va s’y employer avec tout le zèle possible. Pour convaincre le lecteur, de (très) longs passages des pamphlets sont recopiés tout au long du livre. Inutile de chercher la moindre mention de copyright ou la moindre autorisation, car, dans l’esprit de M. Bonneton, une ordure du calibre de Céline n’est même pas digne d’être protégé par une quelconque loi sur le droit d’auteur. C’est entendu. En plus les textes des pamphlets sont pris au premier degré, sans aucune précaution d’usage. Là aussi, inutile de rechercher le moindre atome de raisonnement, ni la moindre mise en perspective (au passage, on y apprendra que les pamphlets ont été publiés à compte d’auteur !), le but est d’assommer le lecteur devant tant de monstruosité, et d’anihilier la moindre tentative de raisonnement objectif. Ainsi que le font les régimes totalitaires. On objectera par ailleurs que « L’ennemi de tous les racismes » (dixit la 4e de couverture) ne s’encombre guère des droits de l’homme… Il paraît qu’ils naissent et demeurent libres et égaux en droits, « sauf Céline » tente de nous convaincre M.
Bonneton.
La quatrième partie est donc consacrée aux crimes monstrueux de Céline que M. Bonneton veut traîner devant un tribunal ad hoc. La déclaration est prête, il n’y a plus qu’à signer !
Histoire de finir en beauté (et l’on se demande bien pourquoi), M. Bonneton nous gratifie d’un pastiche célinien « àlamanièredeux ». Certainement pour prouver au lecteur que, tout compte fait, ce n’est pas si difficile de faire du Céline. Le talent de M. Bonneton en moins, cela va sans dire.
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À la lecture de cet ouvrage, l’on reste stupéfait devant l’aplomb de M. Bonneton qui fait feu de tout bois. Amalgames douteux, mauvaise foi suintante, approximations flagrantes, déformations chronologiques, préjugés haineux, mises en causes infondées, écriture à charge, absence de la moindre perspective historique ou littéraire… rien n’est épargné au lecteur, une véritable anthologie du mauvais goût. Coûte que coûte, M. Bonneton veut faire rentrer le matelas dans la valise…Et il n’y arrive pas.
Et que dire du travail éditorial qui devrait accompagner un tel ouvrage. Propos redondants, festival de coquilles, perles à chaque coin de page… La bibliographie et « l’appareil critique » sont des chefs d’œuvre du genre, peut-être la seule partie de l’ouvrage qui prête à rire. Ainsi en fonction des pages Lucette Destouches garde ou perd son « s » final ; Casse-Pïpe (sic) est publié à compte d’auteur ; Philippe Djian devient l’auteur de « Céline Scandale » (désolé M. Godard) ; la déclaration de l’UNESCO a été signée en 1877 ; plus drôle encore, le livre de Pierre Merle chez Milan, devient « Céline, les paradoxes du latent » (lapsus révélateur M. Bonneton !). Et dans une note du livre, on peut lire ce petit bijou : « F. Gibault, d’après F. Vitoux, op. cit. » Arrêtons-là. Tout ceci n’est qu’un modeste aperçu des « talents » de M. Bonneton. As-tu lu Céline ? (on est en droit de poser la question à son auteur) sent l’approximation, le n’importe quoi, le livre bâclé, certainement publié pour faire du fric, le créneau est porteur.
Qu’apprendra le célinien de cet ouvrage ? Rien. Les anticéliniens non plus d’ailleurs, car, il faut bien le reconnaître, nos adversaires utilisent a minima des procédés intellectuels beaucoup plus rigoureux et argumentés. As-tu lu Céline ? et son galimatias haineux ne leur sera d’aucun secours. Il n’y a pas cinq lignes de raisonnement qui tiennent debout dans cet ouvrage. Restent les fous, les esprits simples et influençables, prompts à suivre l’auteur dans ses délires paranoïaques. La 4e de couverture nous apprends que M. Bonneton est psychiatre. Sans nul doute il a écrit ce livre pour ces patients. Son seul public.
Tout le monde a le droit d’écrire ce qu’il pense de Céline. Mais cette liberté n’exclut pas un minimum de recherche, de déontologie et d’honnêteté intellectuelle. Ce ne sont pas les priorités de son auteur. C’est son choix, on ne peut que regretter. Souhaitons simplement qu’après ce torchon, M. Bonneton retournera à ses poèmes et à ses romans plutôt que d’encombrer inutilement les linéaires des librairies avec d’autres « essais » du même calibre. Souhaitons également que la prochaine fois, M. Bonneton évitera de s’aventurer sur des sujets qu’il ne maîtrise pas.
En conclusion, nous sommes bien tristes en pensant aux éditions Ibis Rouge qui se sont fourvoyées en acceptant de publier un tel navet. Ils nous avaient habitués à des ouvrages de meilleure qualité. Espérons que la publication du « Bonneton » est un cas isolé, une simple erreur d’appréciation. Une exception qui confirme la règle.
David Alliot
André-Alexandre Bonneton, As-tu lu Céline ?, Matoury, Ibis Rouge éditions,
2006 296 pages, 20 €
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