Appartement de L.-F. Céline

4 rue Girardon, Paris, 18ème arrondissement

 

 

A l’angle des rues de Norvin et Girardon se dresse l’imposant immeuble. Il symbolise toujours l’un des lieux céliniens les plus emblématiques, alors que l’écrivain n’y est resté que quatre ans, entre 1941 et 1944. Cet immeuble détient le privilège de constituer le théâtre de toutes les folies dans Féerie pour une autre fois. Montmartre est bombardé pendant que Ferdinand contemple ce spectacle d’apocalypse depuis son septième étage, résistant tant bien que mal à la valse des meubles, des voisins et du monde.

Et puis, il s’agit de l’appartement pillé en 1944, dans lequel Céline avait abandonné plusieurs manuscrits, aujourd’hui disparus ou détruits. L’écrivain a hurlé sa colère à maintes reprises, s’estimant spolié, volé, ruiné par les épurateurs lancés à ses trousses.

En réalité, le logement occupé par Céline se situe au cinquième étage, palier gauche. Deux fenêtres s’ouvrent sur l’atelier de Gen Paul et le moulin de la Galette, deux autres sur la cour intérieure, avec Paris pour toile de fond.

 

Vu d’en bas, la hauteur de l’édifice écrase tout, provoque une sensation de vertige. Le bâtiment domine, impérial. Sur la façade, des graffitis sauvages témoignent de la ferveur urbaine et de l’air du temps. Le pochoir représentant Céline index levé, identique à celui apposé à l’entrée du dispensaire de Clichy, a depuis longtemps été recouvert.

Avant de pénétrer à l’intérieur, plusieurs portes sont à franchir, plusieurs codes à taper. Vient ensuite la loge du concierge devant laquelle il faut montrer patte blanche. Cet immeuble figure la conception moderne de la forteresse. L’ascenseur se situe dans le prolongement de la porte d’entrée. Un escalier tapissé d’un lourd tissu pourpre zigzague au travers des étages.

Du vieux quartier populaire, il reste à peine quelques traces. La vie de la rue se réduit désormais au passage de quelques touristes égarés, cherchant le chemin le plus court pour rejoindre la place du Tertre et le Sacré-Cœur. Sur la place face à cet immeuble, quelques-uns remarquent l’étrange statue d’un personnage traversant un mur. En hommage à l’auteur de La jument verte, une plaque commémorative a été scellée. Cerné par Gen Paul et Marcel Aymé, Ferdinand reste dans l’ombre de la honte. A moins que, sur le banc de l’avenue Junot, ne vienne de temps en temps s’asseoir un fantôme prenant un malin plaisir à sourire en constatant ce qu’est devenue la Butte…

 

 

" Moi j’avais c’est vrai, mon " 7e ", l’air ! la vue ! lointaine ! cent bornes ! toutes les collines jusqu’à Mantes ! Mais quelle haine cet air m’a valu ! cette vue !… personne me les pardonne encore !… "

Féerie pour une autre fois, p. 139

 

" Je regarde pas souvent par la fenêtre, j’ai pas le temps dans la journée… De l’autre côté le petit immeuble torchis d’un étage, en ruine, c’est l’atelier à Jules… Après sur le même côté c’est l’impasse qui finit dans le mur, et puis le palais à Lambrecaze, enfin genre palais florentin en rose, à fronton, trois étages, voilà de l’artiste pignon sur rue ! et ni cresson ni rien du tout, ni Lambrecaze ni sa femme… "

Version B de Féerie pour une autre fois, p. 712