Sur |
" Avec Guignol's band,
nous nous retrouvons, en effet, dans ce monde hors la loi, dont la dérision caricaturale
paraît enchanter M. L.-F. Céline et lui offre en tout cas prétexte à toutes les
divagations verbales qui constituent le meilleur de son talent. Le récit se déroule dans
le "milieu" interlope des bas quartiers de Londres en 1914 ! Il nous présente
une faune singulièrement avilie, celle des apaches, des mauvais garçons et des filles,
excroissance morbide des grandes villes, en une fresque brutalement coloriée. L'action
est nulle et, cependant, M. L.-F. Céline réussit à tenir le lecteur en haleine par une
suite incohérente de descriptions véhémentes et d'invectives. Les personnages parlent
sans cesse, en proie à un délirant bavardage qui, lorsque l'on a surmonté le dégoût
du propos littéral, n'est point sans saveur. Moins encore que le Voyage au bout de la
nuit, Guignol's band est un véritable récit, mais une succession
inarticulée de scènes animées dont il serait sans doute vain de chercher la
signification. De ce point de vue, malgré une atmosphère semblable, Guignol's band
n'offre pas la même profondeur que le Voyage au bout de la nuit. C'est une
uvre essentiellement superficielle qui prête peu à philosopher : c'est la geste
d'un monde substancié et vide, peut-être une satire de la frénésie belliqueuse dont le
sel sera plus sensible en des temps plus pacifiques.
Le style de M. L.-F. Céline, lui aussi, marque une décadence : de
plus en plus haché, précipité, informe, il tend à un langage informulé, abusant du
vocatif, de l'invective, des points de suspension qui dispensent de l'achèvement des
phrases, de toute une ponctuation haletante qui cisaille les mots et rompt l'enchaînement
logique du discours. "
René Vincent, L.-F. Céline : Guignol's band, in Demain, 28 mai 1944.
" Guignol's band n'est pas autre chose qu'un kaléidoscope d'images pénibles, souvent ordurières. C'est, si l'on préfère, une fresque tout au long de laquelle sont dessinés des voyous, des souteneurs, des filles, des proxénètes, des fous et des voleurs. Que vous commenciez le livre par le début ou par la fin, il n'a pas plus de sens, pas plus d'utilité. Un talent supérieur s'est appliqué à narrer pendant trois cent quarante-huit pages les aventures, imaginaires en général, mais parfois vraisemblables d'un monde d'arsouilles, de lamentables comparses de déchets d'humanité. Il nous présente ce ramassis d'individus, il nous décrit ses comportements abjects, ses trivialités, ses crimes et ses folies comme un témoignage adéquat du monde tel qu'il est. "
Jacques de Lesdain, A propos de Guignol's band, in Aspects, 2 juin 1944.