Sur Céline...
Jugements de
critiques et
d'écrivains

 

 

" Pour nous la question n’est pas de savoir si la peinture de M. Céline est atroce, nous demandons si elle est vraie. Elle l’est. "

Georges Bernanos. Le Figaro, 13 décembre 1932.

 

" [...] M Céline est un médecin. On aime à croire toutefois qu'il est moins dur avec ses clients qu'il ne l'est avec ses lecteurs, et que sa sincérité ne va pas à déclarer à ses malades : "Mon ami, vous êtes incurable !" comme il ne cesse de nous le répéter dans ses écrits. "

Emile Henriot, "Céline et Zola". In Le Temps, 4 décembre 1933.

 

"Ceux qui n'aiment pas Céline ? Ah ! comme je les reconnais bien, tous. C'est l'innombrable troupeau de ceux qui acceptent tout de cette vie, que rien ne révolte, qui composent avec toutes les saletés, pactisent avec toutes les injustices. Ce sont les quiets, les résignés, les tièdes - ce vomissement de Dieu ! - ce sont les satisfaits, les béats, les pourvus."

Pierre Scize, "Ceux qui n'aiment pas Céline". In Le merle blanc, 19 septembre 1936.

 

"Le processus créateur de M. L.-F. Céline s'apparente assez à celui d'une indigestion : c'est tout d'abord une ingurgitation énorme, sans mesure, lourde d'épices et qui lève le cœur ; son talent ne trouve sa forme parfaite que dans l'expectoration. Tout ce que ce langage comporte de mots orduriers, toutes les images obscènes que peut concevoir l'esprit, s'y mêlent dans le liquide débordant d'une scatologie ignoble et visqueuse."

René Vincent, "Les aveux du juif Céline". In Combat, mars 1938.

 

" Ce n'est pas la réalité que peint Céline ; c'est l'hallucination que la réalité provoque ; et c'est par là qu'il intéresse."

André Gide, "Les juifs, Céline et Maritain", La Nouvelle Revue Française, Avril 1938.

 

" Quel que soit le sort que le grand public et la critique de demain réserveront à l’œuvre de L.-F. Céline, elle demeurera comme un signe caractéristique de notre temps. Au moment où les civilisations s’écroulent, où les empires se font et se défont, où la pensée vacille et cherche sa voie, quelques hommes, plus sensibles, plus audacieux que la masse se dressent pour juger ou prédire. Qu’on le veuille ou non, Céline est de ceux-là. "

Choron-Gourewitz. Shem, août 1944.

 

" Personne, non pas même Proust, n'a exercé sur la littérature de ce siècle une plus grande influence que Louis-Ferdinand Céline. Cela se reconnaît à ceci que - quelques rares exceptions, de la lignée analytique et traditionnelle, mises à part - on peut toujours dire d'un roman contemporain s'il a été écrit avant ou après le Voyage au bout de la nuit. Il suffit d'une page pour en juger. Cela signifie que l'auteur de ce chef d'œuvre en désordre a provoqué dans l'imagination française une révolution."

Robert Poulet, "L.-F. Céline. Normance". In Rivarol, 22 juillet 1954.

 

" Il est très naturel de ne pas aimer Céline. On peut le trouver un peu précieux ou bien trop oratoire. Mais il est également permis de l'aimer. De toute façon, il est très mal connu. On l'accuse injustement d'avoir écrit et inventé des gros mots pour le plaisir, quand il lançait seulement des invectives, au sens grec : exhortations au combat contre les puissances néfastes de la vie. "

Roger Nimier, "Le Maréchal des logis Céline". In Carrefour, 6 août 1952.

 

" Il s’est créé autour de la personne de Céline une mauvaise légende dont il est en partie responsable, n’ayant rien fait pour la détruire et s’étant même plu à l’entretenir. C’est celle d’un homme violent, hargneux, implacable dans ses haines comme dans ses antipathies, avide d’argent, ennemi de son pays, celle aussi d’un démolisseur anarchisant et d’un pessimiste se délectant de l’être. Bien que les apparences plaident parfois pour elle, une pareille légende est aussi éloignée que possible de la vérité."

Marcel Aymé. Cahiers de l’Herne, 1963.

 

" Faites une expérience : interrompez la lecture du Voyage ou de Mort à crédit et essayez de lire votre romancier préféré. Il vous faudra plusieurs pages de lecture pour vous dégager de l’emprise de Céline. Encore ne parviendrez-vous pas, le jour même, à retrouver un peu de saveur et de couleur à votre auteur de prédilection. "

André PULICANI. Cahiers de L’Herne, 1963.

 

" On ne peut pas ne pas lire Céline. Un jour ou l'autre on y vient parce que c'est ainsi, parce qu'il est là, et qu'on ne peut pas l'ignorer. La littérature française contemporaine passe par lui, comme elle passe par Rimbaud, par Kafka et par Joyce. Céline appartient à cette culture continuellement naissante qui est en quelque sorte le rêve de la pensée moderne."

J.-M. G. Le Clézio, "Comment peut-on écrire autrement". In Le Monde, supplément au n° du 15 février 1969.

 

"Céline, c'est souvent moins une débâcle de la langue qui s'écrit qu'un accident du tout-à-l'égout."

Julien Gracq, Lettrines. Paris : Ed. José Corti, 1974.

 

" Contrairement à l’impression générale, l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline demeure assez mal connue dans son ensemble comme dans sa distribution. Les a priori de la critique, certains choix de l’écrivain et des censures ultérieures sont responsables de la dislocation d’une œuvre profondément cohérente dans l’ordre de ses phases successives et dans l’évolution de sa facture. "

Jean-Pierre Dauphin. Céline et les critiques de notre temps , Ed. Garnier, 1976.

 

" Vingt ans après sa mort, Céline semble toujours davantage polariser l’intérêt de la critique et du public. Chacun tend à le considérer aujourd’hui comme le plus marquant et le plus décisif, avec Proust, des romanciers français de notre siècle, parce qu’il a su allier l’acuité de sa conscience et du témoignage historiques à celle d’une recherche et d’une réflexion esthétiques. Parce qu’il a réussi à être à la fois, comme l’on disait jadis, "témoin de son temps" — un temps qui, au fond, est et demeure le nôtre — et prophète, au point de vue littéraire, de ce que nous appelons un peu orgueilleusement modernité. "

Philippe Dulac. La Nouvelle Revue Française, 1er février 1982.

 

" Peu importe son talent. Céline participe de Vichy, d’Hitler et d’Auschwitz. Comme tel, le mieux qui puisse arriver à sa mémoire, c’est qu’on l’oublie. "

Roger Ascot. L’Arche, 1984.

 

" Du fait de ses positions idéologiques et de tout ce qui les sous-tend en lui, Céline n’est pas seulement, de tous les écrivains contemporains de son envergure, le plus controversé. Il laisse aussi beaucoup de ses lecteurs, même parmi ceux qui prennent le plus de plaisir à ses romans, dans un état d’irrémédiable partage. Mais on n’en a que plus vivement, lorsqu’on cherche à analyser les raisons de ce plaisir et à comprendre à quoi tiennent dans les romans cette force, ce formidable comique, cette délicatesse et cette puissance de suggestion, le sentiment de s’interroger en même temps sur ce qui fait le pouvoir et la valeur de la littérature."

Henri Godard, Poétique de Céline. Gallimard, 1985.

 

"Proust et Céline : voilà tout mon bonheur inépuisable de lecteur."

Claude Lévi-Strauss, interview de novembre 1990.

 

" Il a pris ses risques. Il a vu et dit. Il a payé. Cartes sur table. Les dévots ne l’aimeront jamais. Lecteur de bonne foi, lis-le. "

Philippe Sollers, Lettres à la N.R.F. Gallimard, 1991.

 

" Céline, c’est la fusion à chaud des langages. Il est le seul depuis Rabelais à n’avoir pas trié ses mots d’avance : il les aspire en bloc au contraire, du délicat savant au charretier très affirmé, mettant au travail la palette entière des couleurs du français dont il s’est imprégné à vif au cours de son enfance, de sa jeunesse laborieuse. C’est à partir de ce riche matériau, hautement sonore et rythmé, secoué par lui dans la poche à malice aux vocables, que le poète compose — il n’y a pas de terme mieux approprié pour désigner son engagement lyrico-stylistique. Et qu’on ne me parle pas de code écrit et de code oral, ces tartes à la crème. Céline prend dans les livres, il prend dans la rue, comme au salon. Il moissonne sa provision chez les Muses et dans les pissotières... Poète chroniqueur des guerres de ce temps, il écrit un chant haut et vif, dont le secret réside dans un travail de dentelier harmoniste."

Claude Duneton. Le Figaro littéraire, 27 mai 1994.

 

" Quel autre au XXème siècle s’est donné pour tâche de restituer l’atmosphère de notre époque entière et a démythifié en termes aussi précis, aussi amèrement sarcastiques, la grande illusion des temps modernes dont la parade progressiste dissimule l’enlisement dans l’histoire de toujours ? Quel autre portant l’inconfort jusqu’à l’intolérable a décapé le vernis de la civilisation qui dissimule la misère humaine et assigné à toute manifestation de la vie la seule réalité de l’instinct, répétant "tu es cela" — tu n’es que cela ? Qui d’autre enfin a présenté avec une telle proximité l’inguérissable et humiliante blessure, celle de l’individu écrasé, nié par l’invasion du monde extérieur, l’arbitraire des mouvements collectifs, la rapacité de tous, la dureté des choses, le mur de l’universelle bêtise, pour ne rien dire des encombrements créés par ceux qui prétendent vous envelopper d’amour, la famille, les femmes, les copains, cet ensemble qui corrode le seul bien auquel est attaché un homme, son intégrité subjective ? "

Anne Henry, Céline écrivain. L’Harmattan, 1994.

 

" Céline est un bloc. A prendre ou à laisser. Mais si on prend, on ne laisse rien. Le même homme est à l’origine de l’œuvre une et indivisible. Si on lui trouve du génie on ne peut faire l’économie de l’abjection, des vomissures, de la haine (...) Elles ont partie liée avec sa création, c’est triste à dire, mais elles renforcent aussi la puissance comique de certaines de ses pages les plus délirantes. Il faut vraiment n’avoir jamais lu ses chapitres diabolisés pour passer à côté de cette évidence. "

Pierre ASSOULINE, Le fleuve Combelle. Calmann-Lévy, 1997.

 

" Je trouve qu’il était un écrivain de grand charme, d’un charme et d’une intelligence suprêmes que personne n’a pu égaler."

Jack Kerouac