Lettres à Milton Hindus,
1947-1949

 

(Éd. Gallimard, 2012)

 

 

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En 1948, Louis-Ferdinand Céline a endossé les habits de paria des lettres françaises. Réfugié au Danemark, l’écrivain attend fébrilement son procès. Epaulé par son avocat Thorvald Mikkelsen, il s’est installé dans une maison au confort spartiate en bordure de la Baltique. Les autorités danoises refusent de l’extrader. L’écrivain maintient le contact avec ses proches grâce à  une correspondance surabondante et s’en donne à cœur joie. Tantôt nostalgique de son pays natal, tantôt en proie à de violents ressentiments, ses humeurs varient au fil des jours, et sa plume témoigne de ces changements permanents. L’un de ses correspondants s’appelle Milton Hindus.

Au début de l’année 1947, ce jeune universitaire américain a pris contact avec l’écrivain qu’il admire et considère comme le plus grand. Milton Hindus a chanté les louanges littéraires des Beaux draps et s’est proposé de rédiger la préface d’une réédition américaine de Mort à crédit. Voilà bien le meilleur moyen d’harponner Céline, d’autant qu’Hindus est juif. Les deux hommes entament une correspondance et Céline ménage, avec la flatterie qu’il a toujours favorisée quand il pouvait y trouver son compte, ce jeune correspondant plein de candeur et d’admiration.

Durant presque deux ans, le romancier se laisse aller aux confidences. Patient, méticuleux, il prend le temps de détailler son travail d’écrivain, d’expliquer à ce jeune américain à quel point il se soucie de la mélodie des mots. Céline s’est décrit comme un machiniste plongé dans les soutes d’un bateau, et a comparé le lecteur au vacancier qui goûte au charme de la traversée en flânant sur le pont. Cette fois, il détaille son travail qui consiste à nettoyer « une sorte de médaille cachée, une statue enfouie dans la glaise ». Retirer le gras et gratter jusqu’à l’os, comme le déclareront d’autres après lui… Cela s’apparente un peu à un Traité stylistique selon Ferdinand, à l’intention d’une communauté universitaire trop lisse, sept ans avant la parution des Entretiens avec le professeur Y

Et puis, à l’invitation de Céline, Hindus lui rend visite durant l’été 48. Il fait alors la connaissance d’un écrivain délirant, cultivant sa part de folie, impétueux, désagréable et imprévisible. Leur rencontre tourne court et se termine en brouille définitive. Céline comme Hindus n’auront pas de mots assez durs pour parler l’un de l’autre. En 1950, Hindus fait paraître le récit de cette rencontre dans The Crippled Geant (L.-F. Céline tel que je l’ai vu, traduit en 1951), auquel il ajoute l’essentiel de leur correspondance. L’ultime lettre qu’il lui envoie, en octobre 1949, montre à quel point Hindus a perdu l’estime et la confiance de Céline : "Vous êtes si fat et si idiot que vous iriez assassiner votre grand-mère pour qu’on parle de vous !". Aujourd’hui, Jean-Paul Louis rassemble la totalité de cette correspondance enrichie d’un appareil critique dans ce onzième numéro des Cahiers Céline. L’occasion de redécouvrir une voix exceptionnelle du vingtième siècle, à travers un échange essentiel pour qui souhaite éclairer la technique romanesque de Louis-Ferdinand Céline et la misanthropie maladive du docteur Louis Destouches. Une grande leçon.

David Desvérité

Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Milton Hindus 1947-1949, nouvelle édition présentée et annotée par Jean-Paul Louis, éd. Gallimard, 304 p., 27 €.