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Lettre de Céline à Pierre Monnier, à propos d'A. Juilland (6 Décembre 1950)

Mon cher Ami,

Pour ce jeune homme qui veut étudier mes livres, diantre, ils sont là ! Qu'il s'y plonge. De ma part dites-lui que lorsqu'il aura fini son étude je la lirai et lui donnerai mon avis, et pas de cadeau, modeste, mais aller engager des correspondances  Hum ! Pouh ! Non, vieille expérience, et le temps ! Je me suis crevé, vous savez, de fatigue sur mon propre tapin ! Toutes les amabilités tournent mal... Faites au mieux. ( ... )

Pierre Monnier, Ferdinand furieux. Avec trois cent treize lettres de Louis-Ferdinand Céline, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1979, p.160

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Trois jours avec Alphonse Juilland
Par Pierre Monnier

Au vernissage de l'exposition de Guy Vignoht (19 mai 1995)

De gauche à droite : Marc Laudelout, Alphonse Juilland, Guy Vignoht, Pierre Monnier, Éric Mazet.

 

    Aiguillonné par l'admiration autant que déprimé par l'inaptitude à gloser sur son œuvre, j'éprouve de l'angoisse et du plaisir à parier de lui. Tant de science me rend muet, tout comme celui qui écrivit : "Tacitus fecit me tacitum". Je crois que pour moi, le plus facile est de raconter Alphonse comme je l'ai fait pour Jouhandeau et Chaval, à partir de rencontres et de bavardages.

    Alphonse Juilland m'est apparu un jour de mille neuf cent cinquante. Le jeune homme, qui n'avait pas encore trente ans, sonna chez moi ce matin-là et me dit qu'il aimerait parler à Louis Ferdinand Céline. Ayant appris que j'étais en relation avec le proscrit du Danemark, il souhaitait lui poser, par mon intermédiaire, quelques questions liées à ses travaux de linguistique. Encore sous le coup de l'émotion suscitée par la récente découverte de Voyage au bout de la nuit, il me demandait de l'aider à manifester son amitié, en faisant parvenir à Korsør, lieu d'exil, un peu de chocolat acheté avec difficulté au marché noir.
    J'étais perplexe. Tout ce qu'il désirait eut été facile à régler s'il ne s'était agi d'aborder un personnage bougon, ultra-sensible et écorché vif. Et surtout, si les conditions de son existence en exil n'avaient pas été si pénibles. Céline venait de quitter la prison de Copenhague.
    Son caractère abrupt, sa méfiance naturelle ( "En quart est mon nom de baptême") l'installaient dans une attitude de refus voisine de l'exaspération. Sa situation juridique était inquiétante. Sous le coup d'une extravagante accusation de trahison en application de l'article 75, il vivait dans l'attente de décisions imprévisibles dont il pouvait redouter le pire. Soumis aux aléas des divagations judiciaires de l'époque, il avait tout à redouter des idiosyncrasies d'une presse qui lui était hostile sans nuance.
    Le jeune savoyard qui n'était pas encore américain m'inspirait de la sympathie: je tentai de présenter sa requête avec souplesse. La réponse est venue, qu'Alphonse Juilland a trouvée trente-cinq ans plus tard dans mon Ferdinand furieux. Il l'a reproduite en tête de son livre sur Les verbes de Céline... "Pour ce jeune homme qui veut étudier mes livres, diantre, ils sont là ! ... Qu'il s'y plonge !... Lorsqu'il aura fini son étude, je la lirai et lui donnerai mon avis..." Hélas, de question, point... et "pas de cadeau". Je ne pouvais être étonné de cette attitude, mais je n'aimais pas avoir à en rendre compte au jeune enthousiaste dont le propos était sérieux à l'évidence. Il me restait à tenir le vilain rôle de celui qui refuse et éconduit. Avec humour, Alphonse me décrit ce jour-là "aussi prévenant qu'embarrassé". Rien n'est plus exact.
    Nous sommes restés longtemps sans nous revoir. Nous avons échangé quelques lettres dans lesquelles il posait des questions Sur le sens de certains mots. L'un d'eux lui donnait à réfléchir... "giraudiser"... S'agissait-il du général Giraud ou de Jean Giraudoux? La bonne réponse est Giraudoux qui, pour Céline, est l'écrivain exemplaire d'un talent précieux, qu'il goûte, mais de loin ; un art qui relève de "l'agrégation des dentelles".
    Beaucoup plus tard, j'ai reçu le livre d'Alphonse, Les verbes de Céline, première partie dune étude d'ensemble, un formidable travail de quarante années qui m'épate et m'intimide.
    Sa dédicace est trop indulgente... "À Pierre Monnier qui se trouve à l'origine même de ce commencement". Si peu. Je peux tout de même témoigner de la ténacité du jeune linguiste que l'échec de sa rencontre désirée avec Ferdinand n'a jamais découragé. Cent cinquante pages et les définitions d'un millier de verbes : sûrement passionnant pour les spécialistes et époustouflant pour les profanes comme moi. Je relève au hasard ce qui aurait sans doute fait sourire Céline: "Vauvego- guenardiser", lire, étudier, émuler Vauvenargues, de Vauvenarguiser, sur goguenard et goguenardise, évoque les mots d'argot "gogue", "vase de nuit, gogues, lieux d'aisance"... Un verbe sur mille. La bibliographie à la fin du livre est savoureuse dans sa diversité. Elle intègre un grand nombre d'écrivains dits du "second rayon", souvent peu connus, voire inconnus ou marginaux... Jean de Tinan, Penses-tu que ça réussisse?... Silvagni, La peau des mercenaires... Montesquiou, Les Paons... Jean Lorrain, Pall-Mall Chroniques... Delbousquet, En les Landes. Il choisit et isole parfois dans une œuvre abondante et riche un titre de qualité moyenne. Les Bacchantes de Léon Daudet. Pour le non initié, ces "verbes" sont un livre austère et difficile qui excite une curiosité nuancée de respect admiratif.
    Après le livre, c'est une lettre qui me parvient ... "Je serai à Paris à la fin du mois de juin... Peut-on se rencontrer ?" Je lui réponds de m'appeler dès qu'il débarquera. Quelques jours plus tard, je me rends à Jussieu pour assister aux deux journées du colloque organisé par Henri Godard au nom de la Société d'études céliniennes. Au moment de la pause, je m'approche de Godard pour le saluer. Il est en conversation avec un barbu d'allure distinguée que je vois de trois-quarts et qui se retourne au moment où je m'approche. Il a des yeux clairs et des cheveux blancs. Il me dit dans un large sourire: "Alphonse Juilland... je vous ai reconnu..." – " Eh bien moi, je vous attends !..." Je le trouve éclatant de sympathie et d'intelligence ... "Vous savez qu'en vous lisant, j'ai très bien compris ce qui s'était passé, il y a trente-cinq ans. Dans la situation et l'état d'esprit où se trouvait Céline, il vous était impossible d'organiser une rencontre..."
    Je comprends que pendant trois ou quatre jours nous allons bavarder, parier de temps en temps de choses sérieuses, et plaisanter, et nous moquer et bien rire. Le départ est bon. A midi nous nous retrouvons avec une demi-douzaine de participants au colloque autour d'une table de restaurant. La conversation passe de l'érudition linguistique à la jovialité la plus dépourvue de rigueur. Il y a Stanford Luce, autre éminent célinien américain, une jeune femme, professeur à Montréal, Paul Chambrillon, René Roques, Florent Morési et sa femme. On s'arrête un moment sur l'étrange proverbe prétendument découvert et en fait inventé par Ferdinand: "Un peu de vaseline, beaucoup de patience, éléphant encugule fourmi". C'est le "gu" intercalé qui fait problème... Galant et homme du monde, Juilland prie les dames de lui pardonner l'involontaire grossièreté du propos. Il aimerait comprendre tout de même ce que signifie ce "gu" intempestif et superfétatoire. La discussion est sérieuse. Tout le monde admet finalement que le déroulement euphonique exigeait bien le "gu". Dans la soirée, nous sommes invités à une réception en l'hôtel de Saint-Simon, rue Monsieur, chez François Gibault, auteur d'une biographie de Louis-Ferdinand Céline. Occasion pour Alphonse Juilland de bavarder avec d'autres familiers de l'auteur du Voyage, Jean Guenot, Philippe Alméras. Une question vient à l'esprit: "Que penserait Céline de ces gloses, discussions et exégèses, de ces sodomisations de diptères dont il avait l'habitude de se moquer. Il ne pourrait qu'être flatté. Il est sûr aussi qu'il n'en manifesterait rien".
    Nous convenons de nous retrouver le lendemain à la librairie "La Flûte de Pan", rue de Rome, où mon fils Frédéric publie des textes inédits de Céline, "Lettres à son avocat, Albert Naud", 'Lettres à Tixier-Vignancour". Alphonse est tout joyeux de découvrir la plaquette où figurent les paroles et les partitions des chansons "À nœud coulant" et "Règlement", le seul texte de Céline qui manquait à sa bibliothèque. Avec Frédéric et ma femme Renée, nous déjeunons sur la terrasse du petit restaurant voisin de la librairie. Et là révélation ! Nous apprenons que notre illustre savant est un athlète confirmé. Nous découvrons aussi qu'il paraît moins fier de ses mérites linguistiques que de ses performances sportives : "Il y a une dizaine d'années, à cinquante ans, j'ai gagné le championnat du monde de vitesse dans la catégorie des vétérans. J'ai couru le cent mètres en onze secondes quatre dixièmes... Je suis le champion du monde des vieillards".
    Avant de nous quitter pour se rendre à l'un des rendez-vous qui ponctuent son emploi du temps parisien, il nous demande de lui indiquer un restaurant agréable où il aurait plaisir à nous inviter pour le surlendemain. Je lui promets d'y penser : "J'aimerais aussi faire quelques pèlerinages". Son premier vœu est facile à exaucer. Il m'accompagne chez moi et se retrouve dans le bureau où, il y a trente-cinq ans, il me parlait de ses projets... Il serait heureux aussi de se rendre à Meudon pour voir la maison où vécut et mourut Céline. Je téléphone à Lucette Destouches qui est alitée, clouée par la fatigue et les douleurs.
    Quand je lui apprends ce que représente Alphonse Juilland, elle me déclare sans une hésitation... "Je ne pourrai pas vous recevoir, mais venez, la maison vous sera ouverte, vous pourrez y regarder tout ce que vous voudrez. Excusez-moi si je ne peux pas descendre..." Et quand, après avoir traversé le jardin, nous entrons dans la maison, Lucette fait un effort et descend du second étage pour accueillir Alphonse pendant trois ou quatre minutes. Nous circulons dans la maison ; le rez-de-chaussée, avec ce qui fut le bureau de Céline, le sous-sol et l'entrée où il se tenait souvent assis sous le tableau que lui avait offert son ami Eugène Dabit. Je montre à Alphonse l'endroit où Céline est mort ; là ont été prises les empreintes de son visage et de sa main, moulages que nous avons vus la veille chez François Gibault. Dans la voiture, en revenant, nous parlons des amis de Céline, des admirateurs qui ont fait sa gloire avant la guerre de 1939, quelques intellectuels, professeurs et écrivains, comme Lucien Descaves et Léon Daudet, et surtout ce petit peuple de travailleurs, habitués des dispensaires de banlieue où le docteur Destouches se dévouait au chevet de malades qu'il ne manquait pas d'engueuler copieusement pour leur manque d'hygiène et leur ivrognerie.
    En 1945, le groupe des amis de Ferdinand était réduit à une dizaine. Alphonse me demande de parler de ceux que j'ai connus, Daragnès, Marcel Aymé, Pulicani. Quand je prononce le nom d'Arletty, son émotion éclate: "Ah ! Arletty, l'immense artiste, tellement admirée quand j'avais vingt ans".
    C'est vrai. Arletty est une actrice fascinante. C'est aussi une amie d'une irréductible fidélité. Elle est de la poignée qui n'a jamais abandonné Céline. Aujourd'hui, à quatre-vingt-huit ans, aveugle, elle est toujours aussi vive, intelligente, rapide et d'une gentillesse qui force l'émotion. L'idée me vient de dire à Alphonse: "Vous serait-il agréable de la rencontrer ?..." "C'est très simple", répond-il. "J'ai rencontré dans ma vie quatre présidents. Si j'avais aujourd'hui un rendez-vous avec le vôtre, je le décommanderais pour pouvoir saluer la grande Arletty..."
    Dans la soirée, je l'appelle à son hôtel de la rive gauche... "Nous déjeunons après-demain avec Arletty". Tout va très bien. Il est inutile d'inviter Juilland à l'Élysée pour ce jour-là. Il est pris.
    En attendant, j'ai arrangé une rencontre entre Alphonse Juilland et mon ami Pierre Robert qui fit, il y a deux ans, à la Société d'études céliniennes, une communication sur la correspondance échangée entre Céline et un journaliste lyonnais, Charles Deshayes.
    Pierre Robert est professeur de littérature comparée dans une uni-versité du Michigan. Il est venu passer une année en France pour établir la nouvelle édition de Marcel Proust dans La Pléiade, La Prisonnière et Le Temps retrouvé : il a soutenu l'an dernier, en Sorbonne, une thèse sur Eugène Dabit. Pierre Robert fait rire Alphonse en racontant que dans les diverses maisons d'édition où il a tenté de placer le manuscrit tiré de sa thèse, personne ne sait qui est Eugène Dabit. Sur les cinq membres du jury de la soutenance de thèse, un seul avait lu un livre de Dabit ( pour la circonstance ).
    Ils dissertent maintenant sur Marcel Proust en attendant que la conversation prenne un tour moins austère, ce qui ne tarde pas. Pierre Robert est sportif. C'est un costaud qui a pratiqué l'athlétisme, la natation, et joué comme pilier dans une équipe de rugby. Il éclate de bonheur quand il apprend que son grand linguiste d'interlocuteur est le champion des vieillards. Proust et Dabit sont délaissés : on parle de sport. Où s'achève le sprint ? Où commence le demi-fond ? Comment régler le souffle sur cent, deux cents ou quatre cents mètres ? Il est évident que chacun est content de l'autre. Ça baigne.
    Pour le dîner auquel Alphonse m'invite avec Renée, je crois avoir trouvé le restaurant idoine : Le Moulin d'Orgemont à Argenteuil. Cette commune banlieusarde proche de Courbevoie appartient à l'univers du grand Ferdinand. Le restaurant est situé sur une hauteur au pied d'un grand moulin à vent auquel seule manque la voilure. Eugène Dabit en a parlé dans P'tit Louis. La gaieté, la cordialité d'Alphonse Juilland, sa gentillesse et l'esprit de tout ce qu'il raconte s'épanouissent dans un site bien accordé à ce qui nous réunit. On en arrive à former des projets... L'an prochain, réunion à Stanford University... conférences, séminaires. je pourrai en toute liberté parler de Ferdinand, de ses mésaventures, de son art, de sa tendresse, de ses fureurs et de ses imprécations.
    Le restaurant n'est pas le seul attrait du moulin d'Orgemont. Dans le vaste sous-sol a été installé un manège de foire avec sa caravane sans fin de carrosses, de nacelles, de chevaux de bois peinturlurés et de dorures. Tout cela tourne sur la musique d'un "Limonaire" bruyant, dispensateur des mélopées les plus rococos. Cette attraction est faite sur mesure pour rendre hommage à un fervent de Céline, linguiste éclatant, professeur de l'une des plus prestigieuses universités des États-Unis. Nous tournons en rond pendant cinq minutes sur l'air "belle époque" de "Sobre las olas". Alphonse est ravi.
    À midi le lendemain, notre ami accourt à notre rendez-vous, rue de Rome, d'où nous partirons pour rejoindre Arletty. Il est rayonnant : "J'ai trouvé le moyen d'augmenter mon prestige auprès du personnel de l'hôtel... J'ai dit : "Devinez avec qui je déjeune à midi... Avec Madame Arletty !" Si vous aviez vu leurs têtes !..." Alphonse exulte, il s'amuse, il en rajoute...
    Arletty a perdu la vue depuis vingt ans. Elle n'est jamais remontée sur une scène et n'a plus jamais tourné aucun film. Son prestige est pourtant resté exceptionnel. On s'arrête ou se retourne quand on la croise dans la rue. Alphonse sait bien qu'elle est un personnage impair, d'une espèce rare. Ce que Cocteau avait appelé un "monstre sacré", avec, en plus, une intelligente simplicité. Coïncidence: c'est en interprétant Les Monstres sacrés qu'elle subit l'accident qui la rendit aveugle. Sa dernière représentation. Son amitié pour Céline est d'un ordre naturel comme l'exprime son témoignage au procès de l'écrivain maudit. Elle déclara sans ambiguïté : "Il ne peut pas avoir trahi. Il est de Courbevoie". Comme elle.
    Il n'est pas moins naturel que les spécialistes et les familiers de Ferdinand comme Alphonse soient séduits par son caractère. Je dis à Alphonse : "Quelqu'un a écrit un jour qu'Arletty attirait les hommes intelligents". Il n'en est pas étonné, et c'est sûrement vrai puisqu'elle l'attire.
    Nous sommes au restaurant "Le Hameau d'Auteuil" près du pont Mirabeau, sous lequel coule la Seine. Arletty fait son entrée accompagnée de ma femme qui est allée la chercher. Elle habite à une centaine de mètres de ce restaurant où ses amis l'emmènent souvent. L'amitié s'installe d'emblée. Le repas couvre, sans apéritif, avec une bouteille de Graves, le vin préféré d'Arletty : un rite auquel Alphonse se conforme avec jubilation. Entre Arletty et mon ami, le courant est vite passé. Je le savais. Comme toujours, la conversation est gaie, sérieuse et comique. Arletty interroge. Elle a passé sa vie à questionner, à apprendre, à emmagasiner. Alphonse est une proie idéale pour sa curiosité. A travers les plaisanteries et les éclats de rire on accu-mule les informations sérieuses... : "Dans Maudits soupirs pour une autre fois, le dernier texte de Céline qu'Henri Godard a mis en ordre et publié, déclare Alphonse, j'ai trouvé deux cent cinquante néologismes, pas un de moins"... Arletty lui demande de répéter... Elle est admirative et étonnée... "Deux cent cinquante ?", s'écrie-t-elle, avec cette cascade argentée de la voix qui la fait partout reconnaître. Tout au long du repas, la conversation pétillera, mêlant le frivole au sérieux et au rigolard. Arletty demande du café, alors qu'elle n'en prend jamais. C'est la preuve du succès.
    Nous la raccompagnons. Alphonse prend son bras et l'aide à traverser la rue de Rémusat avant de gagner le troisième étage de son "HLM de luxe". La conversation se prolonge chez elle pendant deux bonnes heures. Arletty nous offre de ces petites bouteilles de "champ" qu'elle a toujours en réserve pour les amis. En revenant vers l'Hôtel Colbert, Alphonse dit sa joie d'une conclusion aussi réussie à un voyage parisien qui fut à la fois pleinement fructueux pour le travail, et enrichissant pour l'amitié. Demain à regagnera sa Californie. Il me téléphone quelques jours plus tard pour me redire sa satisfaction et son espoir de nous revoir bientôt. Moi aussi, je lui confirme combien j'ai été heureux et honoré de sa présence. Et puis, je lui parle du coup de téléphone d'Arletty, hier, qui m'a dit son plaisir et le sentiment d'estime qu'elle a éprouvé pour "l'Américain de Pierre Monnier".
    Deux jours plus tard Alphonse m'écrit et me demande de faire parvenir à Arletty quelques bouteilles de vin de Graves en souvenir dune belle journée... "Dites-lui que j'ai été amoureux d'elle deux fois... Dans les années quarante quand j'ai vu Les Enfants du paradis et l'autre jour, quand j'ai déjeuné avec elle..."
    Il a bien raison, Alphonse. À bientôt. On reparlera de Ferdinand, de ses mots, de ses colères, de son génie... de nos amis, d'Arletty et de notre gaieté, du fou rire, du plaisir, du bonheur, de l'amitié.
    À bientôt.

Pierre Monnier